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Le coin de l’histoire,par Charles Dupuy – Henri Christophe : de l’esclavage à la royauté

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Black Crown | Henry Christophe, the Haitian Revolution and the Caribbean's  Forgotten Kingdom

  • « C’est en changeant, avec le secours du temps, jusqu’à la langue même que nous parlons, que nous aurons enfin réussi à saper à Hayti, la puissance française jusque dans sa source. »

    (Proclamation.
    1er janvier 1817 [Texte in: Thomas Madiou. Histoire d’Haiti. Tome V: 1811-1818. Port-au-Prince: Editions Henri Deschamps, 1988; p. 424.]

Christophe est né en 1767 à l’île de la Grenade. Son père l’aurait engagé dans la marine, une pratique alors courante dans les Antilles contre les fortes têtes. Arrivé au Cap-Français, il est confié à M. Badêche, propriétaire d’une sucrerie dans le quartier de la Petite-Anse, sur l’habitation Portelance, aujourd’hui Madeline. M. Badêche était l’associé de Mademoiselle Monjeon, propriétaire de l’hôtel La Couronne, sis à la rue Espagnole, où le jeune Christophe fut engagé comme aide-cuisinier. Lorsque l’amiral comte d’Estaing, arriva en 1779 afin de recruter des affranchis prêts à s’engager dans le corps des chasseurs royaux, Christophe courut s’enrôler et participera ainsi à la guerre de l’indépendance américaine. Il recevra même une vilaine blessure à la jambe lors du siège de Savannah. À son retour, il est aussitôt engagé comme maître d’hôtel par M. Badêche dont les affaires étaient alors florissantes. Quand, fortune faite, M. Badêche et Mademoiselle Monjeon quittent la colonie, c’est à Henri Christophe qu’ils vendent leur hôtel alors considéré comme l’un des mieux fréquentés de Saint-Domingue.

         En 1793, Christophe épouse Marie-Louise Coidavid, une affranchie originaire de la paroisse de Ouanaminthe. Marie-Louise n’avait que quinze ans au moment de son mariage. Le couple aura quatre enfants, François-Ferdinand [il mourra de faim dans la Maison des Orphelins à Paris], Françoise-Améthyste, Anne-Athénaïs et Jacques-Victor-Henri. Chef de Brigade et Instructeur de l’Armée au moment où surviennent les troubles révolutionnaires il est du groupe d’officiers solidaires de Toussaint lors de l’affaire Villate au Cap-Français et se fera remarquer par sa fougue martiale et ses talents de négociateur. C’est lui que choisira Toussaint pour remplacer Moyse après la sédition de ce dernier. En 1802, à l’angle des rues Dauphine et du Hasard, au Cap, le général Christophe vivait dans un luxueux palais richement meublé, dont les tableaux de maîtres, les lourdes soieries et les tapis de haute lisse seront livrés aux flammes de sa main même, peu avant le débarquement des forces françaises.

Tableau par l’artiste Edris Fortune

         Christophe est un monstre d’énergie à l’exubérante vitalité, une véritable force de la nature. Noir au teint rougeâtre et au physique avantageux, ses ennemis du Sud le désignaient, à cause de son charme naturel,du beau surnom «l’archange déchu». S’il faut en croire le colonel Vincent qui l’a bien connu et aussi Pamphile de Lacroix, dont il a été le collaborateur, Christophe était un homme instruit, prestigieux et de bonnes manières. Contrairement à la plupart des officiers-généraux de l’armée coloniale, il savait lire en plus de s’exprimer dans un excellent français. Quoique très sobre de caractère, il pèche par excès de vanité, fait souvent parade de sa vaillance et de sa force d’âme. Courageux, brave, épris d’ordre et de progrès, Christophe était doté d’une personnalité dominatrice à laquelle il joindra la plus sûre intuition politique ainsi qu’une intelligence des affaires de l’État, une exactitude de jugement et une fermeté d’esprit exceptionnelles.

         Jamais dans le cours de son histoire, Haïti ne sera aussi riche et aussi opulente que sous le gouvernement d’Henri Christophe. Les qualités d’organisation de Christophe, l’efficacité de son administration, sa gestion des affaires du pays et l’immense prospérité qui en résulta font de lui le plus grand chef d’État haïtien. De son vivant même, Christophe était déjà devenu une légende. C’était le Noir le plus célèbre au monde à l’époque et les rumeurs de richesses fabuleuses qu’il accumulait dans son royaume, la splendeur de ses châteaux, rallumaient les convoitises du parti colon, enflammaient la cupidité, l’envie et l’admiration de toutes les puissances coloniales. 

         Pour diriger l’État d’Haïti on retrouve aux côtés de Christophe les généraux les plus prestigieux de la guerre de l’indépendance: Paul Romain, Toussaint Brave, Jean-Philippe Daut, Étienne Magny, Martial Besse, Jean-Louis Larose, Cangé, Vernet, Philippe Guerrier, Jean-Louis Pierrot, Pierre Toussaint, Jean Fleury, des officiers fonctionnaires comme Prézeau, Bastien, Léveillé, Ménard, Tassy, Thomas Béliard, L. E. Bottex, Étienne Colas, Valentin Vastey, Alexis Dupuy, Juste Chanlatte, Julien Prévost, Nord Alexis (le père du président du même nom), Charles Imbert, J. Henry Latortue, Joachim Noël, Joachim Deschamps, Rouanez Jeune, Pierret Gourgue, Jean-Baptiste Petit, Louis Achille et des prêtres catholiques français comme Antoine Reyes et Corneille Brelle. Ils composeront le noyau de l’organisation administrative du pays et agiront en gestionnaires efficaces de l’opulente monarchie christophienne. Ce sont des Noirs et des Mulâtres qui se révéleront de très dévoués serviteurs du bien public et jamais aucun gouvernement haïtien ne réussira à associer aussi étroitement, dans une aussi forte cohésion d’idées et une aussi solide communauté d’objectifs, les deux classes saint-dominguoises qui avaient réalisé l’indépendance d’Haïti. Cette unité de vue, d’intérêts et de sentiments qu’il parvint à établir parmi les couches dirigeantes n’est pas le moindre des accomplissements politiques de Christophe et le phénomène n’est pas étranger au succès matériel de son régime.

Sans-Souci: The Ruined Palace of King Henry I of Haiti

Les ruines du palais Sans-Souci a Milot

         L’orientation politique du gouvernement sera inspirée pour une grande part de la gestion de Toussaint Louverture. Le Conseil d’État propose toute une série de lois concernant l’administration des finances, des douanes, du domaine de l’État, l’établissement des tribunaux de paix, des tribunaux civils et de commerce, la tutelle et l’émancipation, la successibilité des enfants naturels, les fêtes religieuses, le culte catholique, la paie de l’armée et la police des campagnes. L’agriculture reste la base du développement économique et l’infrastructure productive ressemble en tous points à celle du Saint-Domingue d’après 1801: grandes habitations, plantation intensive de denrées industrielles d’exportation, paysannerie militairement encadrée. Aujourd’hui, après le départ définitif des colons, c’est la catégorie des «généraux-planteurs» qui doit reconstituer la classe des grands producteurs agricoles, composer l’aristocratie terrienne dominante, prendre en charge ses propres affaires et veiller aux intérêts de l’État. Christophe établissait les premiers fondements d’une bourgeoisie haïtienne prospère, responsable et authentiquement nationale. Comme ces grands propriétaires ne recevaient aucune rémunération de l’État, c’est donc de la terre, de l’ancienne habitation coloniale dont ils venaient d’hériter en quelque sorte qu’ils devaient tirer la totalité de leurs revenus.

Le Code rural du Royaume leur fait d’ailleurs explicitement l’obligation de mettre en valeur la terre concédée dont le quart des profits bruts était versé en impôt à l’État. Toute la fortune du pays reposait sur son agriculture. Celle-ci était partout dans un état florissant et Christophe en faisait sa priorité, l’encourageait de tous ses soins et de toutes ses peines. Redoutant d’éventuelles tensions sociales après la distribution des biens domaniaux effectuée par Pétion dans les départements de l’Ouest et du Sud en 1812, Christophe résolut de faire d’importantes concession foncières en vendant des propriété du domaine public à des acquéreurs auxquels il accorda de grandes facilités de paiement. Plus de trois cent citoyens de tous rangs et de toutes conditions firent alors l’acquisition des biens de l’État avec obligation de payer à la couronne le quart des revenus de leurs plantations jusqu’au complet amortissement de leur créance. Rappelons qu’un quart des bénéfices allait à l’État, un autre quart aux cultivateurs et les derniers au propriétaire.

Legende : »Je renais de mes cendres »

         Trois mois après la vente de ces biens domaniaux, toutes les anciennes sucreries et toutes les manufactures avaient été relevées, entraînant une extraordinaire expansion du monde rural. Selon Thomas Madiou, la prospérité agricole était alors parvenue à son comble. (Vol. V, p.432) Le commerce, l’industrie agricole, les métiers étaient particulièrement en honneur dans le royaume. Chef d’État vigilant, appliqué, laborieux, Christophe était aussi commerçant et industriel. Fabricant de sucre et distillateur, il possédait à Sans-Souci une des plus belles rhumeries du pays, il stockait son sucre, son café et d’autres denrées qu’il vendait aux commissionnaires traitant pour les maisons anglaises ou américaines. Personne ne pouvait traiter avant lui, ni arrêter un prix de vente. (V. Leconte, Henri Christophe dans l’Histoire d’Haïti, 2004, p.452). Christophe ne livrait jamais ses denrées en dessous du prix qu’il avait lui-même établi. Selon Gaspard Théodore Mollien, Christophe «était en même temps roi, juge, gérant, négociant. […] Son royaume n’était qu’une vaste propriété, soumise à un régime unique et gouvernée à la manière des anciennes habitations». (Haïti ou Saint-Domingue, tome II, L’Harmattan, 2006, p.209) 

À la fin de son règne, selon Paul Moral, Christophe réunit les agriculteurs dans des ateliers de production découpés dans les habitations du domaine public. C’était une réponse à la brûlante question agraire opposant la culture des vivres à celle des denrées commerciales. En organisant ces colonies de vétérans, en rendant fermier des grandes plantations les soldats cultivateurs, il semble que Christophe tenait une solution originale pour contrecarrer l’émiettement des surfaces. Comme Toussaint, Christophe voulait maintenir le latifundium. C’est afin de protéger le domaine foncier de la parcellisation que le Code Henry interdit le divorce, écarte les enfants naturels du patrimoine familial et interdit enfin aux parents de déshériter leurs enfants légitimes. Enfin, comme sa loi sur la culture reprend dans les grandes lignes la formule portionnaire de 1793, il en découla le régime des «deux-moitiés», (récoltes partagées entre propriétaires et métayers) lequel se généralisera en Haïti comme méthode d’exploitation des grandes propriétés.

 

         Une intelligente organisation de la production et des exportations massives sur les marchés étrangers vont assurer une vigueur persistante à l’économie de l’État d’Haïti. Les performances et la rentabilité de ce régime administratif se mesuraient à l’augmentation constante du volume des marchandises manutentionnées dans les ports, année après année. Dans ses Mémoires, le baron de Vastey, l’un des plus fidèles auxiliaires politiques de Christophe, rapporte que durant l’année 1817, pas moins de 150 navires de commerce étrangers sont entrés dans la rade du Cap-Henry. Du 1er avril au 6 juin 1815, toujours dans le seul port du Cap, nous dit Madiou, «vingt-six bâtiments avaient été expédiés, exportant dix millions de livres de sucre et autant de café et de coton, et au 6 juin, il y en avait sept en chargement ou en partance. Dès les mois de juillet, août, septembre et octobre, il y en eut cinquante d’expédiés du même port, et en deux mois, trois millions de livres de sucre, café et coton avaient été exportés des autres ports». (Histoire d’Haïti, Vol V, p.319)

Haïti exporte principalement du sucre et du café mais aussi du cacao, du coton, du tabac, du rhum, de la mélasse, de l’indigo, de l’huile de ricin et du bois de campêche. Les ventes de ces denrées sont volumineuses et se comptent en dizaines de milliers de livres. Selon Madiou toujours, le royaume exportait vingt-cinq millions de livres de café soit le quart de ce que, jusqu’en 1789, produisait en cette denrée toute l’ancienne colonie française de Saint-Domingue. Le commerce se faisait avec les États-Unis, la Suède, le Royaume-Uni, le Danemark, la Hollande, les colonies espagnoles et, indirectement, la France. Haïti importe des étoffes, du drap, de l’acier, de la bijouterie, du vin et des spiritueux. L’Écosse fournit le beurre, le poisson salé et les articles de pêche, de Suède viennent les cylindres pour les moulins à sucre et les coffres en fonte pour chauffer les étuves des sucreries.

         Christophe profitera de ce puissant développement des affaires pour consolider la fortune publique et trouvera, dans les revenus d’exportations, les immenses ressources monétaires qui lui permettront d’entreprendre les ambitieux projets de travaux publics qui feront la splendeur et la gloire de son règne. Avec l’exaltante certitude d’œuvrer pour l’avenir, il accorda une attention particulière à la protection des eaux et forêts, à l’irrigation des terres, au dessèchement des marais, à la construction des ponts et chaussées, à l’entretien des chemins publics. Il restaure le réseau routier hérité de la période coloniale, construit des édifices, embellit les villes, rétablit le service des postes coloniales, arme et ravitaille une petite flotte militaire.

Selon Vergniaud Leconte, la marine de guerre du royaume était composée d’une frégate, d’une corvette, de plusieurs bricks et goélettes. Ces navires sont montés par des équipages disciplinés et, selon l’appréciation des officiers anglais, n’auraient pas déparé les flottes des grandes puissances maritimes de l’époque. Cette marine protégeait la navigation amie près des côtes haïtiennes et la défendait de la piraterie alors généralisée dans la mer des Antilles. Tout au long de son administration, en plus de réorganiser les finances et l’armée, de promulguer les plus utiles réformes, il édifiera des monuments, des palais, des théâtres, construira des écoles, des manufactures, des fortifications, des fontaines et des canaux d’irrigation.

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  • « A mon âge, je n’ai point besoin de conseil. Mon devoir, en toutes occasions, est mon conseiller ».Lettre au commandant Vitton, reproduit in the Haytian papers, p. 40.

         À Sans-Souci, Christophe établit une fonderie qui fabrique des canons, des bouches à feu, des projectiles, des armes de guerre et des objets d’utilité courante. Au Cap-Henry, une manufacture d’armes approvisionne l’armée. La poudre, le salpêtre et le soufre provenaient également des manufactures d’État. Christophe jette les bases d’une véritable industrie en créant une verrerie et une filature d’État. Cette dernière fait une exploitation industrielle du textile et produit une cotonnade d’assez bonne qualité pour confectionner les uniformes militaires. Les étoffes sont fabriquées dans les établissements de cette filature d’État où la production de coton local est égrenée, filée, cardée, peignée et tissée. Selon Gaspard Théodore Mollien, Christophe «avait établi en plusieurs endroits des fabriques de toile de coton, de bougies, de genièvre, de viande salée. Il faisait même cultiver le blé sur les hauteurs». (idem, p.174) Il encourageait la diversification des cultures, les nouvelles techniques agricoles, les industries de transformation, valorisait hautement les arts manuels et entretenait un intérêt passionné pour l’enseignement public.

         Après qu’il eut reçu d’Angleterre la voiture de luxe qu’il avait achetée pour son usage, Christophe fit exécuter par son maître ébéniste et carrossier Jacques César, une réplique d’aussi belle facture qu’il expédie fièrement à Londres au prince régent d’Angleterre. Ce beau cadeau fait au futur George IV attira autant l’admiration des courtisans de Saint-James que celle des carrossiers londoniens. Dans l’État d’Haïti les édifices sont rutilants de propreté, les rues pavées avec soin, les réverbères nombreux, les parcs publics méticuleusement entretenus. L’infatigable Christophe avait l’œil à tout, était partout, contrôlait tout, tendait de toute son énergie à établir la prospérité, galvanisait les masses par son magnétisme, sa détermination, sa fougue et sa fermeté, œuvrait avec opiniâtreté et acharnement pour l’avancement de son pays, le bien-être et l’enrichissement de son peuple.

« Si vous avez toute la force dont vous me menacez, je vous opposerai toute la résistance qui caractérise un général et, si le sort des armes vous est favorable, je ne vous livrerai la ville du Cap que lorsqu’elle sera réduite en cendres et, même sur la cendre, je vous combattrai encore ».

 

         Proclamé roi d’Haïti à Fort-Liberté, devenu Fort-Royal, le 26 mars 1811 par les soldats de son armée, Christophe se fera couronner le 2 juin suivant au Cap-Henry. Entre-temps le Conseil d’État avait révisé la constitution afin de préserver le peuple «de ces secousses fréquentes, de ces horribles convulsions qui ont si souvent agité et bouleversé le corps politique, pour mettre un frein au flux et reflux des passions, aux menées de l’intrigue, à la fureur des factions, à la réaction des partis, en un mot, pour éviter à jamais le chaos». Conduites par le père Corneille Brelle, les cérémonies du couronnement furent célébrées au milieu d’un faste et d’une magnificence dignes des richesses et de la prospérité de la petite nation. Ce fut un spectacle comme il ne s’en était jamais vu au pays. La liesse populaire est sincère, le clergé, l’armée, l’oligarchie terrienne, le négoce anglais sont avec Christophe et les jeunes en particulier manifestent un enthousiasme débordant. Une foule énorme assiste au Champ de Mars, sous l’immense tente dressée pour la circonstance, au sacre d’Henri Ier et regarde l’Assemblée des grands corps de l’État, les hauts dignitaires et les grands fonctionnaires prêter serment de fidélité au monarque.

Les réceptions somptueuses, les grands banquets, les feux d’artifice, les fêtes et les réjouissances populaires dureront huit jours. Dans la troisième voiture du cortège royal, très applaudie par le peuple, Claire-Heureuse, la veuve de Dessalines. Les revues militaires, les manœuvres impeccables de la garde d’élite, le Royal Dahomet, leurs éclatants uniformes, leur discipline et leur belle tenue sont l’occasion d’éblouir les hôtes étrangers. La parfaite organisation de la marine royale, la discipline et l’entraînement des 15,000 hommes de l’armée du royaume, ses trois régiments de cavalerie, ses chevau-légers et de ses gardes du corps ont inspiré ces commentaires remarquablement crâneurs au baron de Vastey: «Nos artilleurs bombardiers et canonniers sont excellents; nos grenadiers et chasseurs pour un assaut le disputeraient aux meilleures troupes du monde; il est impossible de trouver de meilleurs soldats que nos troupes légères.» Toute l’Europe saura désormais qu’Haïti, ce pays d’anciens esclaves révoltés, était capable de prospérer et d’équiper une armée invincible.

 

La Citadelle

         On inaugure aussi la Citadelle Henry dont la construction avait débuté en 1804 selon l’ordonnance du 9 avril 1804 de Dessalines prescrivant aux généraux de division de faire élever des fortifications sur les plus hautes montagnes de leur circonscription respective. Il fallait arrêter les coûteux travaux que nécessitait cette puissante forteresse aux dimensions colossales avec ses épaisses murailles, son pont-levis, ses étages de galeries interminables, ses escaliers en colimaçon, ses vertigineux donjons, ses meurtrières et ses mâchicoulis. Ces fortifications impressionnantes abritent maintenant, en plus des casernes, de la poudrière et du château de son gouverneur, la Trésorerie royale, où sommeille sous les voûtes secrètes, une immense fortune faite de pièces d’or frappées à l’effigie du nouveau monarque. Dans les voûtes de la citadelle également, des millions de livres de café, de coton, de sucre et d’indigo.

Les dispositions du Code Henry exigent en effet le prélèvement du quart des récoltes au bénéfice du Trésor royal. Le ministre des Finances, c’est le Prince des Gonaïves, encore le même général Vernet de Dessalines, mais la fonction est tout honorifique, la concussion est devenue impensable, les prévaricateurs éloignés, les finances publiques sont saines et l’économie solide. La politique financière et sa gestion rigoureuse restent l’affaire personnelle de Christophe assisté de ses hauts fonctionnaires, les comptables scrupuleux de la fortune publique. Pas de pronostics fictifs ou de comptes illusoires, grâce à un régime budgétaire discipliné et rigoureux, le royaume d’Haïti abonde de liquidités, regorge de telles richesses que Christophe entre en sérieux pourparler avec la couronne d’Espagne en vue d’acheter la partie orientale de l’île dont la province de Laxavon vivait déjà sous sa domination.

         Des pasteurs anglicans dirigeaient une Académie (équivalent de l’université dans la terminologie contemporaine) cependant qu’au Collège royal, l’enseignement de l’anglais était obligatoire. L’Académie royale des arts, dirigée par le peintre anglais Richard Evans, formait les jeunes artistes haïtiens . On ouvre un Conservatoire de musique et un Collège de jeunes filles. La vie culturelle, brillante et animée, connaissait une éblouissante richesse, on publie des livres, un journal, La Gazette Royale, et aussi un bottin administratif, L’Almanach Royal. On construit un grand théâtre où des troupes de comédiens amateurs montent régulièrement des pièces classiques, des opérettes et des comédies créoles écrites par les écrivains de la Cour. La mode anglophile avait suffisamment gagné la Cour pour que le roi engageât un moment deux demoiselles de Philadelphie comme gouvernantes des princesses.

Christophe avait son ambassadeur officieux auprès du roi Georges III d’Angleterre, c’était Jean-Gabriel Peltier, un légitimiste émigré à Londres, un pamphlétaire et journaliste de talent, compagnon d’exil de Chateaubriand. S’il est vrai que le système politique anglais séduisait l’élite cultivée, les rapides progrès des voisins américains la fascinait encore davantage et l’on cherchait à imiter ces partenaires économiques, cette nation libre, active, ambitieuse dont l’indépendance servait d’instrument stimulateur de la richesse économique et du progrès social. On encourage la réussite individuelle, l’esprit d’économie se généralisait chez le petit peuple, on entretenait la volonté de s’élever dans la hiérarchie sociale par le travail et la prévoyance.

Le Palais aux 365 Portes, Petite Riviere de l’Artibonite

         Si le Code rural contraint le cultivateur à travailler entre 9 à 10 heures par jour, dimanche et jours de fête exceptés, il prévoit aussi des mesures qui le mettent à l’abri de l’exploitation systématique de son employeur. Le travailleur peut porter plainte contre les abus de son patron devant les tribunaux, il reçoit les meilleurs soins de santé en cas de maladie et, en cas de décès, ses enfants mineurs sont pris en charge par ce dernier. La modification des conditions matérielles des masses découlant de l’indépendance conduit le gouvernement royal à prévoir dans la loi des institutions de protection collective comme les hôpitaux-dispensaires sur les habitations et la gratuité des services de santé. Ces clauses du Code Henry, demeurent assez révélatrices des orientations législatives généreuses de l’État d’Haïti. Ce Code Henry, quoiqu’il fût rédigé surtout par des militaires et des ecclésiastiques plutôt que par de véritables juristes, reste malgré tout, selon Vergniaud Leconte, une œuvre de grande valeur. Christophe, nous rappelle-t-il, «a été le premier à doter le pays de ces institutions écrites, formant un corps de dispositions conçues et agencées dans un esprit d’ordre et d’unité».

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La chapelle royale de Milot

          

         Christophe érigea de somptueux palais dans les villes importantes et sur ses propriétés. Palais royaux du Cap-Henry et de Saint-Marc, palais aux trois cent soixante-cinq portes de la Petite-Rivière-de-l’Artibonite et surtout le palais de Sans-Souci lequel, commencé en 1808, ne sera achevé qu’en 1813. Cet imposant édifice de cinquante et un mètres de long sur vingt-cinq de large et autant de haut, à coûté à lui seul quinze millions de dollars. Avec sa toiture d’ardoise, ses plafonds ornés de lambris dorés, ses fenêtres vitrées ceintes en acajou, ses murs recouverts de bois précieux, ses lustres de cristal, ses rideaux de soie, ses vastes escaliers aux envolées de marches en pierre de taille, ses jardins d’agrément, ses fontaines, ses statues, ses parterres, ses charmilles, sa chapelle en rotonde, ses casernes, son hôpital militaire, ses écuries, ses bibliothèques, son imprimerie, sa salle du trône et celle du Conseil d’État, sans oublier l’Hôtel de la Monnaie, c’est le véritable siège du gouvernement.

Dans l’esprit de Christophe possédé par le culte instinctif de la beauté et de la grandeur, il édifiait là un patrimoine haïtien, ces biens appartenaient à la nation, palais du royaume plus que ceux du roi, ils représentaient les marques de triomphe de la volonté nationale, les signes tangibles de la pérennité et de la solidité des institutions de la jeune nation. L’obstination infatigable que mettait Christophe afin de consolider la richesse matérielle de l’État, ses grands projets de travaux publics, la politique forcenée des pouvoirs administratifs en vue d’assurer la défense du territoire commençaient à peser sur les couches les moins nantis de la population qui espéraient tirer plus de dividendes de la fortune nationale.

Si le pays regorge de richesses considérables, le roi enthousiasmait de moins en moins. Voyant son soutien populaire s’éroder, Christophe va s’arc-bouter à son rôle de bâtisseur de pays, de despote éclairé travaillant avec passion au mieux des intérêts publics, construisant une nation qui n’aura bientôt rien à envier aux puissances d’Europe ou d’Amérique, et c’est vrai que les résultats éclatants obtenus sous sa poigne énergique après trois lustres d’un règne sans partage représentent bien des motifs d’orgueil. Il a mis sur pied une administration publique efficace, stimulé la production agricole et engagé son royaume avec succès dans des réalisations d’envergure.

Statue du general Henri Christophe au Champs de Mars a P-au-P

  • « La nécessité d’être homme, et homme libre, voilà le seul terme de mes calculs ».Lettre au général Leclerc. 5 Floral, An 10. In Histoire de la catastrophe de Saint-Domingue,… p. 118.

         Le 15 août 1820, Christophe tombait terrassé par une crise d’apoplexie pendant la messe dans la petite église de Limonade. Deux mois plus tard, malgré les soins d’un dévouement exemplaire que lui procurera son ami, le médecin irlandais Duncan Steward, le roi, trahi par ses principaux auxiliaires, se tirait une balle d’or au cœur dans son palais de Sans-Souci. C’était le 8 octobre 1820. Il avait 53 ans. La reine Marie-Louise et les princesses se rendirent en cortège à la citadelle avec les derniers dignitaires encore fidèles et les soldats du Royal-Dahomet qui portèrent le corps du monarque enveloppé dans un hamac. Peu après, la reine se réfugia dans sa propriété de Lambert, un ancien verger colonial situé dans les environs du Cap. C’est là que le président Boyer l’honora de sa visite et lui proposa de se mettre sous sa protection avant de l’accompagner à Port-au-Prince. Le 1er août 1821, la reine et les deux princesses quittaient Haïti pour aller s’établir en Toscane, en Italie. C’est là que moururent les deux princesses de tuberculose et c’est là aussi qu’après un exil interminable, mourut la reine en mars 1851. Elle fut enterrée dans la petite chapelle du couvent des Capucines de Pise en Italie où, aujourd’hui encore, elle repose à côté de ses deux filles, les princesses Améthyste et Athénaïs.

         Historiens et guides touristiques vilipenderont la mémoire de Christophe. Pour mieux expliquer les marques de progrès, la richesse matérielle et la splendeur de son royaume, ses contempteurs s’appliqueront à le peindre avec les plus ignobles couleurs, l’accuseront de crimes infamants et monstrueux, l’accableront des calomnies les plus injurieuses et les plus mensongères. Certains verront en lui l’incarnation de la plus abjecte tyrannie, ils en feront un oppresseur barbare, un tortionnaire féroce, un autocrate inhumain et sanguinaire, un despote capable des pires vilenies, un dément sadique et cruel. Les palais, les châteaux et les fortifications, tous ces vibrants témoignages d’un passé glorieux, tomberont en ruines, les écoles seront fermées, les manufactures abandonnées, les riches plantations délaissées.

Du royaume de Christophe, de sa vision du pays, de son rêve d’émancipation économique, rien ne survivra sinon qu’un certain «esprit christophien» et qui désigne, pour ceux qui s’en réclament, une certaine rigueur dans l’administration de la chose publique, un certain sens de la discipline, une volonté d’engagement et de changement, peut-être aussi un certain goût du panache et de la grandeur, c’est tout.

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Charles Dupuy
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4 Réponses à Le coin de l’histoire,par Charles Dupuy – Henri Christophe : de l’esclavage à la royauté

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