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Le coin de l’histoire, par Charles Dupuy : Le dictateur Rafael Leonidas Trujillo et la République d’Haïti(1ere partie)

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Le dictateur Rafael Leonidas Trujillo

Arrivé au pouvoir en mai 1930, Trujillo se maintiendra aux affaires jusqu’à son assassinat le 30 mai 1961. Pendant sa longue dictature, le généralissime dominicain allait établir en Haïti son réseau d’espionnage, organiser une opposition, exercer enfin une influence si déterminante sur la diplomatie et la politique intérieure du pays, que certains iront jusqu’à se demander si, d’une certaine façon, Trujillo n’était pas le chef occulte de la République d’Haïti .

Pendant ses trente ans de règne, Trujillo dirigera son pays comme son bien propre et se bâtira une fortune colossale qui lui permettra d’orienter la politique des pays voisins et tout particulièrement celle d’Haïti en corrompant les fonctionnaires même aux échelons les plus élevés de l’administration publique. Alors que Vincent devait se contenter des rapports officiels de son ministre plénipotentiaire à Santo-Domingo, Trujillo se tenait informé des projets les plus confidentiels de son homologue haïtien, était au courant de ses moindres allées et venues, pénétrait jusque dans sa vie intime. Trujillo ne ratait jamais une occasion pour établir de précieuses relations en Haïti, il se montrait d’une générosité ostentatoire envers ses amis et protégés, distribuait avec prodigalité son argent, achetait les hommes proches du président haïtien, les officiers de son Palais et les hauts gradés de son état-major.

Le 18 octobre 1933, à Ouanaminthe, Vincent rencontrait pour la première fois le chef d’État dominicain, Rafael Leonidas Trujillo y Molina. Les deux présidents se trouvaient là pour signer un accord sur les frontières prévoyant la correction des erreurs matérielles du traité du 21 janvier 1929. L’épineuse question des frontières obligera bientôt les deux chefs d’État à faire la navette entre leurs deux capitales. Le 2 novembre 1934, c’est Trujillo qui, en habit brodé et bicorne à plumes blanches, entamait une visite de six jours à Port-au-Prince. À cette occasion, Vincent lui accrocha sur la poitrine déjà lourde de décorations, la plaque vermeil de la plus haute distinction nationale. Le 27 février 1935, c’était au tour de Vincent d’effectuer une visite officielle de trois jours dans la capitale dominicaine, afin de négocier avec le généralissime Trujillo le protocole rectificatif du traité des frontières de 1929.

STÉNIO VINCENT (February 22, 1874 — September 3, 1959), Haitian Diplomat,  politician, president | World Biographical Encyclopedia

President Stenio Vincent(1930-1941)

 Beaucoup d’Haïtiens ne cachaient pas leur admiration enthousiaste pour le dictateur dominicain. On prétendait souvent que ce dernier était d’origine haïtienne, qu’il venait de la région du Trou-du-Nord où il aurait passé une partie de sa jeunesse et où il aurait encore de la parenté. Toutefois, selon la propagande officielle du gouvernement de Trujillo, la République dominicaine subissait l’invasion silencieuse de la paysannerie haïtienne. Cette masse pauvre et illettrée s’était introduite en si grand nombre dans le pays que, dans certains quartiers de Monte-Cristi, par exemple, on n’entendait plus guère parler que le créole, pendant qu’à des kilomètres à l’intérieur des terres on retrouvait en libre circulation la monnaie haïtienne, on rencontrait des paysans haïtiens, très reconnaissables à leur accent et à la couleur de leur peau.

 Le samedi 2 octobre 1937, le président Rafael Leonidas Trujillo y Molina, en tournée officielle dans la petite ville frontalière de Dajabon, déclarait dans une harangue enflammée prononcée devant la foule venue l’accueillir: «Aux Dominicains qui se plaignent des déprédations de la part des Haïtiens qui vivent parmi eux, je réponds: nous réglerons cette affaire! D’ailleurs, nous avons déjà commencé! Environ trois cents Haïtiens ont été tués à Banica. Et nous devons continuer à résoudre ce problème.» Ce sont donc dans des termes passablement provocateurs que Trujillo annonçait ses intentions, approuvait publiquement la corte, ordonnait le massacre des Haïtiens. Dans la nuit même du 2 octobre 1937, commença dans la région de Dajabon un massacre de ressortissants haïtiens qui dura jusqu’au matin du surlendemain.

Haiti during WW2 « war2war

President Elie Lescot(1941-1946)

 Pour tuer leurs victimes, les soldats dominicains reçurent l’ordre formel de Trujillo de ne les assassiner qu’à l’arme blanche. Les meurtriers utiliseront donc des haches, des poignards, des baïonnettes mais surtout des machettes, afin de tromper l’opinion et les éventuels enquêteurs étrangers, en faisant croire qu’il s’agissait d’une tuerie spontanément organisée par des paysans dominicains en révolte contre les voleurs de bœufs haïtiens dont ils n’auraient que trop longtemps toléré les actes de banditisme. Personne ne fut épargné. Avec une méchanceté démoniaque, les soldats égorgèrent indistinctement les hommes, les femmes et les enfants haïtiens qu’ils rencontraient sur leur chemin.

Ces assassinats massifs s’étendirent dans toute la région nord de la frontière. On tua les Haïtiens à Santa Cerro, à Banica, à Dajabon, à Guagual, à Monte-Cristi, à Las Vegas, à Sabaneta, et ainsi simultanément dans une soixantaine de localités dominicaines, au point que le ministre plénipotentiaire d’Haïti à Washington, M. Élie Lescot, pourra affirmer ne pas douter que ces massacres «furent préparés et sciemment exécutés» par les autorités dominicaines. Bien que l’évaluation du nombre exact des victimes de ce carnage soit bien difficile à établir, les observateurs les plus crédibles s’accordent habituellement autour du chiffre de vingt mille morts, bilan humain qui leur semble assez juste et nullement exagéré.

Dès le lendemain, les rescapés affluaient dans une épouvante affolée du côté haïtien de la frontière. Une fois mis au courant de l’hécatombe, l’évêque du Cap, Mgr Jean-Marie Jan, se faisait conduire à toute allure sur la frontière, afin de donner, de la rive haïtienne de la rivière du Massacre, la bénédiction aux morts et l’extrême-onction aux agonisants. Quelques jours plus tard, arrivait à Port-au-Prince le rapport du consul haïtien à Dajabon, M. Arnold Fabre, qui accabla de consternation l’administration haïtienne. Le président chargea aussitôt le ministre Charles Féquière de faire enquête sur la situation. Peu après, Vincent se rendait abasourdi sur la frontière par où arrivaient encore des hordes de fuyards terrifiés cherchant asile en territoire haïtien.

Chaque réfugié avait d’épouvantables scènes de boucherie et d’horreur à raconter que reprenaient les journaux haïtiens et les grandes agences de presse internationale. Ils révélaient comment les milliers de cadavres des victimes pourrissaient dans des charniers infects et comment, pour se débarrasser des corps, les soldats dominicains les faisaient brûler ou les empilaient dans des embarcations de pêche avant d’aller les jeter au large. Ils disaient aussi que pour distinguer les Haïtiens des Dominicains, les massacreurs les mettaient en demeure de répéter sans accent le mot cotorrito, ou encore leur montraient une branche de persil, perejil, vocable espagnol contenant la lettre J, la jota, une constrictive vélaire particulièrement difficile à prononcer pour les non hispanophones.

Beaucoup de ces rescapés n’avaient eu la vie sauve que grâce à l’entraide et au courage de leurs amis dominicains, de simples citoyens qui, disaient-ils, affrontant tous les risques, les avaient fraternellement protégés, cachés et aidés à fuir. On apprendra par la suite comment la direction des grandes compagnies sucrières dominicaines avaient refusé de livrer les braceros haïtiens aux éléments provocateurs lesquels, armés de piques et de machettes, les réclamaient à l’entrée de leurs usines.

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Rep. Dom. President Joaquim Balaguer (1960-1962/1986-1996)

Le massacre des Haïtiens mit le pays en état de choc. Après avoir décrété la grève patriotique, les étudiants vont aussitôt manifester devant le Palais national où un président Vincent très ouvert au dialogue vient les haranguer avec conviction et spontanéité. Vincent leur avoue qu’à leur âge et à leur place, il aurait réagi exactement comme eux, c’est-à-dire avec cette fougue et cette pugnacité si caractéristiques de la jeunesse toujours prête à se sacrifier pour défendre la patrie menacée, mais maintenant qu’il portait ses lourdes responsabilités d’homme d’État, il lui fallait manœuvrer de façon réfléchie, agir de manière réaliste et pragmatique. Haïti, leur dit-il, n’avait pas les moyens humains, matériels et financiers ni son armée les capacités opérationnelles pour soutenir une guerre contre les Dominicains. Les trois mille soldats haïtiens, leur confia-t-il, ne disposaient que de deux heures de munitions et en pareille occurrence, ce serait de la pure folie que de les envoyer affronter au combat l’une des plus fortes armées du continent américain.

Le 15 octobre, le ministre plénipotentiaire d’Haïti à Ciudad-Trujillo, Evremont Carrié, et le ministre d’État dominicain des Relations extérieures, Joachim Balaguer, signaient un accord pour «éviter que quelques incidents qui ont eu lieu à la frontière nord entre Haïtiens et Dominicains ne produisent des commentaires exagérés et contraires à l’harmonie et à la cordialité qu’aussi bien l’honorable président Trujillo que l’honorable président Vincent se sont évertués à créer et à intensifier, etc.» Le dictateur Trujillo semblait narguer publiquement son collègue haïtien dont il rejetait les propositions de compromis en s’engageant à ordonner l’enquête la plus minutieuse afin d’appréhender les coupables, de les faire juger et d’appliquer contre eux les plus sévères sanctions possible.

Un mois après l’accord du 15 octobre cependant, le New-York Tribune publiait une série de reportages sur la tragédie sanglante vécue par les paysans haïtiens sur la frontière dominicaine. La grande presse sortit alors de son indifférence et reprit cette nouvelle à sensation qui provoqua bientôt un concert de réprobation horrifiée dans l’opinion publique américaine. Le président du comité des Affaires étrangères du sénat américain, le sénateur Hamilton Fish, condamna sévèrement ces horreurs et exigea du Département d’État la rupture immédiate des relations diplomatiques avec le gouvernement dominicain.

 

Senateur Hamilton Fish (NY)

Les représentants des deux pays discutaient chaudement d’un nouveau règlement à Washington, lorsque, grâce aux bons offices du nonce apostolique délégué à Port-au-Prince et à Santo-Domingo, Mgr Maurilio Silvani, les deux capitales annoncèrent qu’elles étaient parvenues à un arrangement à l’amiable. Selon cet accord qui sera signé à Port-au-Prince le 26 février 1938, Trujillo s’engageait à verser sept cent cinquante mille dollars au gouvernement haïtien, lequel promettait d’employer la somme au mieux des intérêts des victimes. La première tranche de deux cent cinquante mille dollars servit en effet à construire des colonies agricoles à Osmond, à Grand-Bassin, à Saltadère, à Biliguy et au Morne-des-Commissaires, où furent relogées quelques-unes des familles rescapées.

Trujillo devait payer le solde de cinq cent mille dollars par tranches de cent mille, payable à la fin du mois de janvier de chaque année, jusqu’à l’apurement total de la dette. En février 1939 cependant, Trujillo obtenait de la part des officiels haïtiens un rabais de deux cent vingt-cinq mille dollars après qu’il leur eut avancé par anticipation un peu plus de la moitié du solde, soit la somme de deux cent soixante-quinze mille dollars. Le gouvernement haïtien s’empressa d’évoquer la grave crise financière qu’il traversait pour se justifier dans l’affaire, mais les citoyens indignés demeurèrent convaincus que les hauts fonctionnaires de Port-au-Prince avaient été stipendiés par le dictateur Trujillo.

Quelque temps plus tard, en effet, une rumeur persistante voulut que le consul dominicain au Cap-Haïtien, M. Anselmo Paulino Alvarez, avait effectué une visite secrète à Port-au-Prince avec une valise contenant la somme de vingt-cinq mille dollars en petites coupures de dix et de vingt, un butin qui lui aurait servi à acheter les officiels haïtiens véreux. Les preuves de lâcheté du gouvernement haïtien justifièrent les plus graves accusations de vice qui vont pleuvoir sur Vincent et son entourage.

Vincent ne devait jamais se remettre du discrédit public que lui coûta le massacre de 1937 et encore moins de son épilogue honteux qui éclaboussa son gouvernement d’une flétrissure infamante.

Charles Dupuy

(à suivre)

 

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