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Par Ericq Pierre Les Haïtiens suivent de très près les faits et gestes de Bill Clinton, scrutant ses prestations et passant ses déclarations au peigne fin. Il faut dire que, pour des raisons évidentes, Bill Clinton ne laisse personne indifférent. Même ses adversaires (quand il en avait) le considéraient comme l’homme politique le plus habile et le plus intelligent de sa génération. C’est aussi le président américain qui a connu le plus de succès pendant et après son mandat; quelqu’un qui , dans le temps, a su affronter l’adversité avec une certaine sérénité, donnant l’impression qu’il finit toujours par triompher de ses déboires . Il a connu les plus grands honneurs et les plus grandes gloires. Depuis son départ de la Maison-Blanche , il est allé de succès en succès . Travailleur infatigable, il a réussi à monter l’une des plus impressionnantes machines socio-politico-institutionnelles qui aient jamais existé. C’est un homme sympathique. Il ne joue pas la comédie et met tout le monde à l’aise. Impossible de résister à son charme. La Fondation Clinton est actuellement l’une des ONG les mieux financées et les plus influentes de la planète. La Clinton Global Initiative est à la fois un cénacle, une académie et un haut lieu d’échanges pour les plus grands économistes, les plus grands humanistes et les célébrités les plus en vue. Il est difficile de trouver quelqu’un de par le monde qui ait un carnet d’adresses mieux garni que celui de Bill Clinton. Dans ce sens, on peut vraiment parler d’un Empire Clinton. Et ceci, sans même prendre en considération l’ apport d’Hillary Rodham Clinton dont le rayonnement , bien longtemps avant de devenir première dame, sénateur et secrétaire d’ Etat, était au moins aussi grand , sinon plus , que celui de son mari. L’importance d’Hillary ne date pas d’aujourd’hui. Dans les années 80, elle figurait déjà parmi les 100 avocats les plus influents des Etats-Unis. En fait, les observateurs de la scène politique américaine ont toujours reconnu que sans le support continu et inaltérable d’Hillary, Bill aurait pu ne pas conquérir la Maison-Blanche en 1992. Ce qui explique que, pendant la campagne des primaires, l’un des slogans que son équipe avait mis à la mode était Buy one , get the second one free. Elisez Bill et vous aurez aussi Hillary en prime. ». C’est ce personnage plus grand que nature que le secrétaire général de l’ONU, monsieur Ban Ki-Moon, a choisi pour être son envoyé spécial en Haïti en 2009, après les ravages causés par des cyclones en série et les difficultés de mobiliser les ressources nécessaires en faveur d’Haïti. Bill a accepté sans aucune hésitation. Qu’ une personnalité de la stature de Bill Clinton se soit mise au service d’Haïti pour essayer d’améliorer l’image du pays , d’y attirer des investissements et d’y créer des emplois, voilà une entreprise noble à plus d’un titre. Et les Haïtiens ne s’y sont pas trompés. Même s’il n’y a pas eu beaucoup de témoignages publics à ce sujet, ils n’ont jamais manqué en privé d’exprimer leur appréciation vis-à-vis de ce personnage exceptionnel. Personne ne pourra jamais vraiment évaluer le rôle crucial joué par Bill Clinton, les portes qu’il a ouvertes aux autorités haïtiennes et cette façon bien à lui de vendre Haïti et son peuple. Il a su trouver les mots qu’il faut au moment qu’il faut, réunir l’audience la plus appropriée au moment le plus approprié. Il a pu ainsi trouver au niveau de la plupart des institutions internationales des oreilles totalement favorables à sa démarche et des responsables vraiment bien disposés à former un partenariat avec lui et Haïti. Clinton est devenu le responsable en chef du dossier des Relations publiques d’Haïti. C’est aussi l’une des rares personnalités internationales à délivrer un message invariablement positif sur Haïti, ne doutant jamais qu’il relèvera de ses cendres. Il n’hésite pas non plus à dire du bien des présidents haïtiens avec lesquels il a eu l’occasion de collaborer, reconnaissant les mérites du président Préval à un moment où il était critiqué de toutes parts. Et considérant le président Martelly comme l’un des leaders haïtiens les plus articulés des trente dernières années. Dès le lendemain du tremblement de terre et pendant que les Haïtiens s’acharnaient à essayer de retrouver les cadavres de leurs êtres chers ensevelis sous les décombres, Bill Clinton était à pied d’œuvre , avec les experts du Département d’Etat et ceux de sa Fondation , esquissant les grandes lignes de la structure qui allait devenir la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH). Il a recommandé d’aller au-delà d’une simple reconstruction et de reconstruire mieux. Le slogan Build Back Better qui avait connu son heure de gloire et de succès en Indonésie, après le tsunami de 2004, est devenu chez nous Build Back Better and Beyond . Il ne faut pas seulement reconstruire, il faut reconstruire mieux et aller encore plus loin ! Voilà le rêve inspiré par Bill Clinton que contemplait Haïti sitôt après le 12 janvier 2010. Ce rêve est-il en train d’être réalisé ? Est-il encore réalisable ? En tout cas, Clinton continue d’y croire fermement. Pour cela, il s’est vraiment attelé à mobiliser ses nombreux amis pour les encourager à investir en Haïti. Parallèlement, il ne rate aucune occasion pour rappeler que sans l’établissement d’un État de droit, il n’y a pas d’investissement possible ni a fortiori de développement économique. C’est peut-être la raison pour laquelle de nombreux compatriotes, mélangeant rumeurs , anecdotes et observations propres, s’interrogent sur l’impact réel et les conséquences de la présence de Bill Clinton en Haïti. Au titre des rumeurs, il y en a qui ont vu tout de suite son empreinte dans la désignation de Garry Conille comme Premier ministre. En effet, quand le président Martelly a fait choix de Garry Conille, tous les commentateurs ont rappelé que M. Conille est ou était le chef de cabinet de Bill Clinton. De là à conclure que c’est Bill qui l’a proposé (les mauvaises langues disent même qu’il l’a imposé), il n’y a qu’un pas qui a été très vite franchi. Personnellement, sans être le dépositaire d’un quelconque secret ou d’une quelconque confidence, je doute fort que Bill Clinton ait quelque chose à voir avec cette nomination . Cela ne veut pas dire qu’il ne l’ait pas supportée quand il l’a apprise. Mais je suis porté à croire que la nomination n’a été ni de sa suggestion directe ni de son initiative. Il l’a bien accueillie, certes (pourquoi pas ?), mais il n’en a pas été l’instigateur.
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C’est sans doute le moment de clarifier que, malgré toute la prétendue servilité des chefs d’Etat haïtiens vis-à-vis des partenaires internationaux, il a toujours existé des sujets tabous et des zones réservées que ces chefs d’Etat considèrent comme étant uniquement de leur ressort et de leurs privilèges et qu’ils n’acceptent pas de partager avec les amis étrangers ou nationaux. Pour influents fussent-ils. La position de Premier ministre appartient à cette catégorie. Et la plupart des observateurs étrangers, au courant des pratiques locales teintées de xénophobie, savent que la meilleure façon de saboter un candidat haïtien auprès d’un chef d’Etat, c’est de prendre l’initiative de faire sa promotion auprès des autorités nationales. Ceci est valable pour tous les chefs d’Etat, qu’il s’agisse d’Aristide, de Préval ou de Martelly. Donc, malgré l’apparence copain-copain du président Martelly avec l’ancien président américain, je doute qu’il ait accepté que ce soit Bill Clinton qui lui choisisse son Premier ministre.
Ceci étant dit, beaucoup de compatriotes s’interrogent maintenant sur l’opportunité du tandem Bill Clinton/Garry Conille à la tête de la CIRH. Certes, ils estiment qu’au moment de la création de cette nouvelle entité, Bill Clinton lui a apporté son prestige, sa caution personnelle et son savoir-faire, donnant ainsi aux bailleurs les garanties que les ressources seront utilisées à bon escient. Ce qui n’est pas rien dans un contexte où Haïti est classée, à tort ou à raison, parmi les pays à très forte perception de corruption. Mais, à présent que son ex-chef de cabinet est le Premier ministre et de ce fait, coprésident de la CIRH, il n’est pas étonnant que des Haïtiens se posent des questions sur le bien-fondé d’un arrangement qui chatouille la susceptibilité nationaliste de plus d’un. Donc si le mandat de la CIRH est renouvelé et que Bill continue d’en être le coprésident avec son ex-chef de cabinet, il sera difficile de combattre la perception que le vrai et unique patron de la CIRH est Bill Clinton. Il n’en sera certes rien dans la réalité, car Bill ne cherche pas à être le patron de quoi que ce soit en Haïti. Mais c’est le genre d’ambiguïté qui devra être levé , si l’on veut mettre les parlementaires en situation de voir d’un œil plus favorable une extension de la CIRH, après bien sûr, un amendement ou l’abrogation de la fameuse loi d’urgence qui a présidé à sa création. Les Haïtiens apprécient donc l’action de Bill, mais ne sont pas disposés à prendre tout ce qu’il dit pour argent comptant. En fait, comme je l’ai dit plus haut, ils analysent minutieusement chacune de ses déclarations publiques. Ecoutons à cet effet les commentaires d’un vétéran de la diplomatie haïtienne très versé dans les questions de protocole. « Je ne crois vraiment pas que les anciens présidents américains aient encore besoin de médailles, mais je suis très honoré de recevoir celle-ci. J’aime Haïti et je crois dans ses promesses. » C’est en ces termes que Bill Clinton a accueilli en juillet 2011 la plus haute distinction que lui a octroyée le président Martelly. C’est la deuxième fois en moins d’un an que l’ex-président américain a été honoré par un président haïtien. Le président Préval l’avait aussi fait quelques mois après le séisme. Cette réponse de Bill avait plutôt surpris mon interlocuteur qui affirme qu’elle ne correspond ni au symbolisme du moment ni à l’homme qui met généralement un point d’honneur à ne pas froisser la susceptibilité de ses hôtes . Pour quelqu’un si habile dans le choix du mot juste , dans l’utilisation du langage le moins conflictuel possible , il aurait pu dire tout simplement : « J’ai déjà reçu plusieurs médailles et décorations, mais je suis très honoré de recevoir celle-ci , car j’aime Haïti et je crois dans ses promesses. » ?. Je laisse au lecteur le soin de commenter cette position du diplomate. Mais, je ne peux m’empêcher de souligner la référence au prix Nobel qui semble indiquer une appréciation certaine des efforts de Bill en faveur d’Haïti. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne l’avenir de leur pays, les Haïtiens sont ballottés entre espoir, optimisme modéré et inquiétudes. Espoir et optimisme dus à une somme de bonne volonté plurielle et à la solidarité internationale; à l’endurance du peuple haïtien qui, même dans les pires moments, accepte de considérer le verre à moitié plein et à continuer de lutter .(Bien entendu, cette dernière affirmation ne s’applique pas aux nihilistes) . Inquiétudes cependant pour l’avenir , exprimées sous formes d’interrogations muettes du genre : « Et si malgré les souffrances, malgré les efforts des uns et des autres, malgré toutes les énergies investies, les fruits ne passent pas les promesses des fleurs ? » Les plus pessimistes pensent que Bill qui est sollicité de toutes parts, abandonnera bientôt Haïti pour se consacrer à d’autres crises et affronter d’autres challenges, si des résultats satisfaisants et concrets se font trop attendre. Si cela devait arriver, ce serait certainement un signal que les choses ne s’amélioreront pas de sitôt. Alors, même parmi les amis autoproclamés d’Haïti, il s’en trouverait plusieurs pour associer notre pays avec un indéfinissable syndrome d’échec chronique . Je vois déjà ce journaliste de Time Magazine ,dont je ne me rappelle pas le nom, se référer à son dernier article titré « un pays en faillite et qui n’en finit pas de faillir » pour blâmer Haïti et les Haïtiens, non pas tellement parce que les choses vont mal chez nous mais surtout parce que nous aurons fait essuyer à Bill Clinton et à sa Fondation leur premier grand échec public. Heureusement qu’un tel scénario ne se matérialisera pas. Du moins pas pour le moment. Il n’y a pas non plus d’indication que le partenariat Haïti /Bill Clinton est en train de se fissurer. Ni que Bill pense à abandonner sa mission. Au contraire, par ses faits et gestes, par sa rhétorique invariablement positive et par les multiples initiatives qu’il prend pour encourager les investissements, il semble plutôt déterminé à accompagner Haïti aussi longtemps qu’il se sentira utile. |
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Ericq Pierre
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