Folha de São Paulo– Les confrontations de la première phase du championnat de l’Etat de São Paulo [le Paulistão, le plus ancien et le plus relevé du pays] entre les trois grandes équipes de la capitale, le FC São Paulo, Corinthians et Palmeiras, attirent de moins en moins de public au stade. Cette année, le Trio de Fer compte en moyenne 25 000 supporters par match, soit 3 000 de moins par rapport à 2012.
La chute est encore plus forte si on se réfère aux chiffres de 2008 : 20 000 de moins. Le prix des billets, le manque de confort, la violence dans les stades, la concurrence avec la télévision à la demande et le calendrier inadapté du championnat sont quelques uns des motifs qui expliquent la désertion du public.
« Impossible de trouver des toilettes propres et de manger un bon sandwich », se lamente Fábio Helfstein, qui, depuis trois ans, partage avec son frère les frais de la télévision à la demande. De 2004 à 2007, ce jeune architecte s’est rendu à tous les matchs de la Copa Libertadores [la Ligue des champions latino-américaine] du FC São Paulo. Puis, il s’est contenté de rester sur son canapé.
Selon Premiere FC, la chaîne du groupe Globo qui retransmet les matches à la demande, Helfstein n’est pas le seul dans ce cas. L’an dernier, il y a eu une augmentation de 9% du nombre d’abonnés pour les matches du Paulistão.
Tous ces éléments font que le Brésil se retrouve seulement au quinzième rang mondial en nombre moyen de spectateurs avec 12 900 personnes par match. En Allemagne, premier de ce classement, ils sont 45 000 en moyenne, et même aux Etats-Unis, un pays qui s’est ouvert au football tardivement, les matches parviennent à réunir 18 700 supporters en moyenne.
Malgré l’augmentation des abonnements à la chaîne, un stade plein est préférable pour Premiere FC car « le spectacle est plus beau et plus rentable », assure Marcos Botelho, l’un des dirigeants du média. Des gradins remplis sont également souhaitables pour les équipes. « On ne peut que se donner à fond quand les supporters sont nombreux, qu’ils crient notre nom et qu’ils chantent l’hymne du club », souligne le milieu du FC São Paulo, Paulo Ganso.
Le prix du billet a quadruplé en dix ans
Les supporters qui préfèrent désormais le canapé justifient ce choix par le contexte actuel. « A une époque, j’étais membre des Gaviões [l’un des clubs de supporters des Corinthians] et je collectionnais les billets d’entrée, j’en avais des centaines », raconte le publicitaire Stefan Menon. Depuis trois ans, il s’est tourné vers la TV à la demande par peur d’aller au stade. Lors de la Copa Libertadores de 2006, il s’en était même échappé quand les fans avaient affronté la police militaire.
Valdecir Fossaluza, 53 ans, a lui aussi déserté le stade de Palmeiras – ses enfants lui ont offert l’abonnement TV. « Mon père fait partie de ceux qui se sentent mal dès qu’ils voient de la violence dans un stade », affirme son fils Vinícius. Les justifications de Menon et Fossaluza pour s’éloigner des stades confirment une étude réalisée cette année qui a identifié 17 raisons pour lesquelles les Brésiliens ne vont plus voir de football. Dans l’ordre, on peut citer la mauvaise qualité des stades, le prix des billets, la possibilité de voir les matches à la télévision et la violence.
Selon le cabinet de consultant Pluri, de 2003 à 2013, le prix moyen du billet le moins cher est passé de 9,50 à 38 reais [3,6 à 14,5 euros] au Brésil. « N’importe quel secteur économique tend à baisser les prix quand la demande est faible. Mais le football a cette particularité d’aller contre la loi de l’offre et de la demande », observe Fernando Trevisan, directeur d’une agence de marketing sportif. Pour le président de Palmeiras, Paulo Nobre, cela ne sert à rien de se contenter de baisser le prix des billets : « le stade ne sera pas plein pour autant ». Roberto Natel, l’un des dirigeants du FC São Paulo va dans le même sens. « Nous avons réservé plus de 10 000 places à 10 reais pour des matches, dans le secteur famille, sans que cet espace se remplisse. L’explication réside plus dans le degré d’importance du match. »
« Rééduquer les supporters »
Le Brésil est à la tête du classement des morts découlant de la violence dans le football pointe le sociologue Mauricio Murad, auteur d’un ouvrage sur le sujet. « A court terme, il faut plus de répression et à moyen terme, de la prévention afin de parvenir à long terme à rééduquer les supporters », affirme-t-il. « Il n’est pas nécessaire d’en finir avec les clubs de supporters, encore moins faire le choix du canapé comme seule alternative. On peut essayer de trouver un équilibre. »
En quête de de ce dernier, Marco Yamada, gestionnaire d’entreprise, et Rogério Gois, kinésithérapeute, ont déjà assisté à près de dix rencontres cette année. S’ils reconnaissent que la violence existe, ils tiennent à se montrer optimistes. « Tout est en train de s’améliorer depuis quelques temps. Sur la violence, on a voulu créer un tabou. Mais si vous allez au stade, vous verrez des enfants et des familles », estime Gois. L’ingénieure Lívia Boccia le rejoint sur l’idée de « tabou de la violence ». « J’ai été surpris par l’interaction du public. Vous devez être prudent, bien sûr, mais c’est le cas dès qu’il y a foule, comme dans un grand spectacle. »
Le prix payé par les supporters est une petite part des recettes des clubs, qui gagnent plus d’argent avec la TV à la demande. Concernant le Trio de Fer, le pourcentage provenant de la billetterie ne dépasse pas les 10%, tandis que les droits TV atteignent les 40%. Les Corinthians, premiers en termes d’affluence dans les stades et d’entrées financières, ont récolté 358,5 millions de reais en 2012 [138 millions d’euros environ]. En Europe, les droits TV sont également représentatifs.
Au Real Madrid, l’équipe qui compte le plus de revenus, avec au moins 500 millions de reais par an [192 millions d’euros environ], 39% des recettes proviennent de la TV. La différence réside surtout dans le fait que la billetterie compte plus au Real Madrid. Elle y représente 25% des recettes. « Là-bas, les billets coûtent parfois cinq fois plus chers qu’ici, mais le public s’y rend car il sait qu’il bénéficiera de services en plus pendant le match », affirme Pedro Daniel, consultant.
Pour l’universitaire Luis Filipe Chateubriand, les supporters de canapé sont seulement un symptôme du fait que la qualité du spectacle est en baisse au Brésil. « Mais les gens ne vont pas arrêter de regarder des matches, simplement ils n’iront plus dans les stades. »