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Legendes d’Haiti : Macèl Kòkòb,par Serge H. Moise

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Illustration

Ceux de notre génération, donc d’un âge certain, se souviendront sans nul doute de l’inénarrable « Macèl Kòkòb », personnage haut en couleur à Port-au-Prince, au même titre que Dodo Diolbokiè, Alfredo, Alaronyaille, Lochard le resquilleur, Ti Lolite, alors qu’à Pétion-Ville rayonnaient Ti Clè Madanravèt, Sépoudi Piépoussiè ainsi que caporal Ti Clovis alias trois fois trois, dans les années cinquante.

Cette belle époque riche en souvenirs merveilleux, où il faisait bon vivre dans ce coin de pays, constitue pour plus d’un, ce lien indéfectible avec l’alma mater.

Macèl Kòkòb était connu de tous, mais personne ne savait quoi que ce soit de sa famille, de sa véritable identité encore moins le lot de misères que charriait ce malheureux qui claudiquait telle une loque humaine à travers les rues de la capitale, toujours flanqué de son inséparable bâton.
Et comme dans notre succulent vernaculaire, kokobé signifie handicapé, la malice des jeunes avait vite fait d’identifier notre homme comme étant Macèl Kòkòb, ce qui mettait ce dernier dans tous ses états, occasionnant des flots de menaces, d’insultes, d’invectives et d’injures les plus triviales et parfois des jets de pierres à l’endroit des malotrus qui s’avisaient de crier sur son passage : Macèl Kòkòb min chalan dèyè’w!

Ce manège se renouvelait tous les jours avec toutes les variantes que pouvait inspirer l’espièglerie de ces jeunes chenapans de bonnes familles. La musique ne tarda pas à se manifester entre temps et un beau refrain qui sera rendu célèbre par l’inoubliable Wébert Sicot et les virtuoses de la méringue haïtienne, fera le tour de la ville, de bouche à oreille longtemps après la mort de ce fou du village.

La fin de cette histoire, puisqu’il y en a une et qu’il faille y arriver, c’est que notre héros n’était point dénué de tout sens de l’humour. Après avoir passé des années à se faire enquiquiner à travers tous les quartiers de la ville et réalisant que ses menaces et injures se révélaient nulles et de nul effet, Il décida de contre attaquer mais différemment cette fois.

C’est ainsi qu’un beau jour, les saltimbanques du quartier vont avoir la surprise de leurs vies, agréable mais tellement inattendue qu’ils perdront toute leur contenance.Macèl Kòkòb toujours ponctuel, avançait tranquillement et avec les mêmes difficultés que d’habitude, la mine sérieuse de quelqu’un qui s’occupe de ses affaires, faisant semblant d’ignorer la présence de ces énergumènes qui ne rataient pas une occasion de le faire sortir de ses gonds.
Une fois à la portée de ces derniers, la rengaine ne se fit pas attendre : « Macèl Kòkòb min chalan dèyè’w ».

Coup de théâtre, à la manière des plus grands dramaturges, prenant appui sur son bâton et pivotant sur lui-même, notre homme se retourna et avec un calme olympien, écouta les refrains de ces freluquets et à l’instar d’un fin acteur fredonna à son tour : 
« Chalan lan bouda manman’w !!! »
Les mecs en furent totalement éberlués, ils ne s’attendaient pas à un tel revirement et l’effet de surprise passé, ce fut les gros éclats de rire à n’en plus finir.
A partir de ce jour, ce fut la trêve entre Macèl Kòkòb et ses enquiquineurs, lesquels, plutôt que de se faire la guerre, ont développé dorénavant l’agréable habitude de chanter en chœur et en franche camaraderie :

« Macèl Kòkòb min chalan dèyè’w »
« Chalan lan bouda manman’w »

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