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L’Editorial de Kern Grand-Pierre : Qu’avons-nous fait de notre pays?

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Jean-Claude Duvalier au tribunal.

Quand l’ex-President Jean-Claude Duvalier eut a proférer le mot “qu’avez-vous fait de mon pays ?” lors d’une audience par devant la justice haitienne pour accusation de détournement de fonds publics et de crimes contre l’humanite, ni la presse ni la classe politique ne se sont données la peine d’étayer  sur les implications d’une pareille inculpation par un ancien Chef d’Etat honni et décrié par une bonne partie de la population,ses anciennes victimes et ses adversaires politiques, mais paradoxalement admiré et applaudi par beaucoup de jeunes qui n’etaient meme pas encore nés quand il était au pouvoir .

Etait-ce parce que ce qu’il disait etait faux ou ne valait pas la peine ? Etait-ce une manoeuvre de diversion de sa part pour  détourner  l’attention de l’opinion publique et se soustraire a la justice de son pays ? Personne n’en fit echo parce que l’opinion venait de Jean-Claude Duvalier.

Pourtant, le “qu’avez-vous fait de mon pays ?” de JCD aurait du interpeller tous les Haitiens,noirs et mulâtres,riches et pauvres,hommes et femmes, a une analyse introspective de la performance de la nation depuis un certain 7 Fevrier 1986…Une question que chaque Haitien devrait se poser tous les jours : “qu’avons-nous fait de notre pays ?”. JCD a quitte un pays relativement propre et stable en 1986 ,ou nous étions encore une destination visitée par des centaines de milliers de touristes,  pour retrouver 25 ans plus tard une capitale sale, remplie d’ordures(fatras) en certains endroits  et un pays totalement déboisé,réduit a 2% de couverture végétale,voila la réalité si toute vérité est encore bonne a dire.

D’un cote il y a les nostalgiques de la dictature papadocratique,puis jean-claudiste,qui croient resolument que le pays marchait mieux sous le regime, que les coupures de courant etaient moins frequentes et que la misere n’etait pas aussi feroce a  P-au-P et dans l’arrierre-pays, et qu’il y avait quand meme une classe moyenne dynamique et productive, pierre angulaire du pays, et qu’il était mieux de vivre en compagnie des Tontons Macoutes qu’avec les zenglendos,les chimeres ,les GNB, les kidnappeurs,les Domi nan Bwa et les Rat pa KK…Le hic est que beaucoup de  jeunes souscrivent a cette opinion et ce sont eux qui ont fait un accueil triomphal a JCD a son retour au pays en 2011.

D’un autre cote, il y a les acteurs de l’opposition radicale,basiquement partie prenante d ‘une idéologie anarchique-noiriste anti-Etat, accuses, a tort ou a raison,d’etre les artisans de la descente aux enfers du pays, et de la situation chaotique qui y  prevaut encore 32 ans après la fuite pour l’exil de la famille Duvalier.

Si ce pays  se portait mieux, selon les dires de plus d’un, sous la dictature que sous la bamboche democratique qui se poursuit depuis  l’arrivee d’Henri Namphy au pouvoir avec le Conseil National de Gouvernement(CNG), si les citoyens pouvaient tranquillement vaquer a leurs activites sans peur d’etre kidnappes contre rancon ou executes malgre paiement, il y a lieu d’analyser les differences de fonctionnement de l’Haitien sous la dictature et sous la democratie.

La grande question est la suivante : Qu’est-ce que la democratie et le peuple haitien est-il prêt pour la democratie ? L’une des definitions les plus courantes que j’ai trouvee en quelque part est celle-ci  “Le mot démocratie tient ses origines du grec : dêmokratia, formé de dêmos, « peuple », et de kratos, « pouvoir ». On parle donc de pouvoir du peuple, de gouvernement du peuple.

Abraham Lincoln, président des États-Unis de 1860 à 1865, aurait un jour déclaré que la démocratie était « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Suivant ce principe, la souveraineté appartient donc au peuple, qui choisit ceux qui le gouverneront.”

Chemeres

Le député Arnel Belizaire ( en t-shirt blanc), participant a une manifestation a P-au-P.

Si la démocratie c’est l’etablissement d’un Etat de droit ou les desiderata du peuple s’accomplissent a travers leurs représentants élus,l’image de l’ancien depute de Tabarre Arnel Belizaire se baladant avec une mitraillette AK-47 a la main suggère que nous ne sommes pas un Etat fonctionnel puisqu’on  s’imagine difficilement un congressman Américain, un depute Canadien ou Francais armé jusqu’aux dents dans une manifestation.

Cela ne veut pas dire qu’Arnel est un sale type car c’est quand meme,a sa facon, un patriote qui a ses propres idées sur ce que devrait être une Haiti idéale,un homme a l’elocution facile qui se positionne avec conviction dans le camp des masses démunies et exploitées d’un système cruel ou cohabitent ceux qui ont tout avec ceux qui n’ont rien… Mais ses agissements,trouves acceptables dans le contexte  de non-droit dans lequel nous opérons depuis 1986,montrent au grand jour que nous sommes a mille lieues être un état fonctionnel et surtout qu’avant 1986  Arnel n’aurait meme pas osé prendre la rue avec avec un canif, voire une machette…

Depuis la fin du regime le 7 Février 1986, notre pays est soumis a une nouvelle forme de dictature post-macoutique, plus virulente  et plus imprévisible que que dans les jours les plus sombres des VSN, du Fort-Dimanche et des celebres tortionnaires comme Ti Bobo, Boss Pent, Zo Requin,Ti Kandjo, Gerard Lumiere Rouge, et autres monstruosités du meme genre.

L’un de mes amis, le jacmelien Jacques Deshommes de Spring Valley,NY, avocat en Haiti et professeur de mathématiques a New York City aux Etats-Unis,croit dur comme fer que nous devrions  nécessairement passer par une nouvelle période autoritaire si  ce pays a encore une chance de retourner a la normale. C’est –a-dire un pays ou  l’on ne court plus le risque de se faire braquer par le premier olibrius au sortir d’une banque ou se faire assassiner par le premier voyou a moto.Selon maitre Jacques, ce qu’il faut a ce pays c’est “ une dictature de bienfaisance”,sans les arrestations arbitraires,les executions sommaires, et le pillage des caisses de l’Etat en toute impunité.

Certaines personnes mal pensantes et mal intentionnées ne manqueront pas de mésinterpreter les arguments ci-dessus comme un souhait de retour a la dictature en plein 21eme siècle et meme comme une apologie du duvaliérisme. Mais ceux d’entre nous qui  ont sacrifié notre jeunesse a militer pour une Haiti meilleure n’ont pas lutté pour voir ce pays s’enliser,jour après jour, dans une situation anarchique alarmante et presque irreversible. Je parle ici de rétablir l’autorite de l’Etat,désarmer les malfrats qui sèment la terreur dans la population au grand jour et redonner a ce pays un tant soit peu de paix sociale avant que ceux de nos jeunes qui n’ont pas encore pris la fuite ne mettent voile pour ailleurs.

Jean-Claude Duvalier, investi a 19 ans d’un pouvoir héréditaire pour lequel il n’avait aucune preparation, n’etait certainement pas un enfant de chœur, étant  predispose ,de par sa nature, a suivre l’exemple de son père en pronant”pitit tig se tig”( traduction grosso modo le fils du tigre est un tigre, il est aussi cruel que son père). Aucun doute la-dessus.Pour beaucoup d’observateurs de la conjoncture actuelle, malgré toutes les horreurs du regime ,la population ne vivait pas dans cet état de paupérisation extreme et les nécessites de base comme l’eau potable et le courant électrique n’etaient pas quasi-absentes pour la majorité de la population comme nous le constatons de nos jours. Malgré leur main de fer et leurs pratiques peu démocratiques,cote prestige et représentativité, il n’y a aucune comparaison possible entre des gens comme Roger Lafontant, Jean-Robert Estime,Theodore Achille,Jean-Marie Chanoine, Frantz Merceron et les semi-analphabètes qui se trouvent de nos jours au Parlement et dans certains ministères. Aucune comparaison.

Nous autres en diaspora ,qui avons laisse le pays en masse dans les années 70 et 80, nous n’en croyons pas nos yeux quand  nous débarquons a P-au-P et ce sont des dizaines de mendiants qui vous souhaitent la bienvenue a l’aéroport, prêts a vous arracher votre valise pour vous soutirer quelques dollars.

Durant les quatre dernières décennies, nous ne savons plus a quel saint nous vouer. Bon gré mal gré, nous nous sommes construits une nouvelle vie en terre étrangère, en nous donnant l’illusion d’une nouvelle normalité dans des pays comme les Etats-Unis,le Canada,la France,les Antilles,la République Dominicaine et récemment le Brésil et le Chili. Mais nous n’avons jamais divorcé de ce coin de terre qui nous a vus naître et dont les souvenirs de notre enfance pullulent encore notre mémoire. Comme disait l’autre, on peut retirer un Haitien d’Haiti mais on ne peut pas retirer Haiti d’un Haitien.

Mais d’année en année, notre rêve d’un éventuel retour au bercail semble s’éloigner de nous de plus en plus. Les charges sont lourdes et sont legion. Comme disait feu maitre Gregoire Eugene dans les années 70, commentant sur le phénomène boat-people et l’incident de Cayo Lobos , il n’y a aucun moyen d’aller plus bas au point ou nous en sommes. Et nous n’étions pas encore a ce niveau quand il s’exprimait de la sorte. Ce pays doit remonter la pente, redonner espoir a cette jeunesse qui aujourd’hui demande des comptes a ses aînés dans cette sordide affaire de PetroCaribe.Le moment est venu de nettoyer les écuries d’Augias. Ou périr comme nation.

A la lumière de ces réflexions,  j’invite les décideurs de ce pays(les decision makers) de qui dependent les destinées de plus de 12 millions d’âmes, a se hisser a la hauteur des defis et des urgences de cette onzième heure et a méditer sur cet extrait du discours d’investiture du président Dumarsais Estimé (1946-1950),prononcé a la Chambre Legislative le 16 août 1946  :

“Si, bergers du troupeau, nous nous en constituons les loups; si, gardiens de la maison, nous nous faisons les voleurs qui la brisent et la pillent; si,rebelles au meilleur de nous-mêmes, nous manquons à nos engagements solennels, alors il sera temps d’entrer en jugement avec nous et de nous demander des comptes.”

Des paroles prophétiques qui sont, malheureusement, toujours d’actualité plus de 70 ans plus tard.

                                                          kgp

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