L’homme a mûri. Il était plus que temps. Sweet Micky n’est plus président. Prière citoyenne exaucée. Alléluia ! Les contraintes du pouvoir ont finalement fait de Joseph Michel Martelly un vrai chef d’État.
Il en manquait un de vraiment digne du titre, à Haïti, depuis un certain temps. Notamment depuis l’ouverture de la transition démocratique en 1986, et, surtout, au lendemain de ce terrible goudougoudou de 2010 qui a failli nous transformer en engeances des cavernes et ramener notre pays à l’âge de la pierre. Depuis son intronisation au Palais national le 14 mai 2011, M. Martelly était tout, sauf ce président avec le recul et la pondération qu’il fallait pour bien évaluer l’ampleur de sa mission de redresseur d’un pays déstructuré et s’élever à la hauteur de sa fonction. Sous le masque mystificateur de la rhétorique du changement et de la rupture, se jouait, imperturbable, dans la médiocrité infantile, le script d’une continuité politique et managériale sans grande imagination.
La nouvelle manière d’être de M. Martelly au pouvoir, ses récentes grandes décisions de président de la République, semblent indiquer qu’il a décidé d’inaugurer enfin l’ère post-Sweet Micky. En langage informatique, nous parlerions d’un Martelly 2.0 et mis à jour. Il peut continuer à se déhancher en public face à son singulier peuple de guédés. Dans le fond, l’exercice du pouvoir l’a transformé. L’autorité dont il a usé pour faire évacuer les espaces publics occupés par ces faux militaires démobilisés, augurait, certes, une inflexion significative dans sa méthode populiste, tapageuse et brouillonne de gouverner. Cependant, c’est surtout par le rôle d’arbitre non partisan qu’il a joué pour faciliter l’entrée en vigueur de la Constitution révisée qu’il s’est vraiment fait homme d’État. Le pays ne peut que l’en féliciter. Car nous avons tous beaucoup à bénéficier de cette transfiguration salutaire de l’homme.
Elle fera date, cette image apaisée projetée, mardi 19 juin, au Palais national, par de hauts représentants souriants de pouvoirs d’État complémentaires en principe mais rendus concurrents et trop conflictuels dans la façon haïtienne d’envisager l’idée de séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. D’aucuns qualifieront de folle la décision du président Martelly de faciliter la prise d’effet de la révision constitutionnelle. Si l’on veut lui faire justice, l’option qu’il a privilégiée, en dernière instance, était la seule sage et républicaine possible. D’ailleurs, il n’a fait que rapporter sa propre décision illégale et anticonstitutionnelle d’empêcher, par un arrêté, l’entrée en vigueur d’une loi constitutionnelle déjà promulguée et publiée. En droit haïtien, l’arrêté n’est qu’un simple acte administratif. S’il y avait péril pour la République et la démocratie, il était plutôt inscrit dans l’arrêté suspensif initial de M. Martelly, non dans celui du 19 juin corrigeant et annulant cette faute première.
Il faut rappeler que tout le processus de révision avait été engagé de manière vicieuse. Le président René Préval porte, en rétrospective, la plus lourde des responsabilités dans l’imbroglio. Il avait tout initié dans des délais très minces, la tromperie et l’unilatéralisme arbitraire. L’affaire devenait l’œuvre solitaire d’un vieux loup madré dans la poursuite d’ambitions de pouvoir malignes. Le Parlement ne servait que d’agent avaliseur dans la transaction. Des parlementaires ont tenté, par des modifications de dernière minute, de rendre le texte à adopter plus potable. Rien n’y fit. Le processus bâclé s’est conclu dans le désordre. Et la tricherie.
Monsieur Martelly a hérité de son prédécesseur Préval un dossier toxique. Il a bien fait d’engager les trois pouvoirs de l’État dans la résolution du problème sur un mode consensuel. Il s’en est bien tiré. Ce serait malhonnête de dire que Martelly a finalement cédé sous les pressions renouvelées de la communauté internationale. Évidemment des diplomates étrangers très entreprenants ont contribué à cette sortie de l’impasse constitutionnelle. Car il faudra toujours à toute Haïti instable, et aux élites immatures, irresponsables et conflictuelles, sa communauté internationale tutrice et ingérante. L’autre vérité, elle-même plus fondamentale et déterminante, ce sont les plus hautes autorités constituées du pays au Parlement, dans le judiciaire et l’exécutif, qui, dans un accès de pragmatisme, ont trouvé, entre elles, l’entente cordiale et inespérée pour rendre effective la révision constitutionnelle.
Les discussions vont sans doute continuer. Un signe que la démocratie demeure en santé chez nous malgré ses handicaps congénitaux. Il faudra, toutefois, que nos élites intellectuelles et politiques bavardantes, plus habiles à mobiliser leurs bouches pour de vaines causes que de troupes militantes pour de nobles combats, cessent avec les discours fumeux qui ne clarifient rien. Dans ce flux incessant de paroles et de mises en garde alarmistes au Président, il nous a été difficile d’isoler le bon grain du discours savant et technique de l’ivraie des académismes boiteux et des formalismes juridiques politiquement motivés. La décision de M. Martelly aura servi au moins à clarifier le débat et à mettre un terme à ces ronrons hiératiques des figures traditionnelles de la contestation permanente. Il faut avancer. Et progresser. D’autres révisions corrigeront, à l’avenir, ce qu’il y a lieu de corriger. C’est une construction permanente, jamais parfaite et achevée, que d’édifier une démocratie constitutionnelle.
Entre-temps, la diaspora a désormais des droits étendus à la faveur de la révision. La plurinationalité est enfin reconnue. Une évolution majeure. Un Conseil constitutionnel est institué. Un plus pour la République. Le Conseil électoral permanent sera bientôt une réalité. Les femmes jouiront désormais d’un quota de représentation dans la politique. Rien là qui nous dit que ces avancées fragiliseront la République. Ou qu’elles mettent en danger le mandat de Michel Martelly. Au contraire, et Haïti et son chef d’État actuel sont sortis renforcés de cette crise constitutionnelle.
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