« Nous allons régler ce problème une bonne fois pour toutes. » Après avoir résisté pendant près de douze ans aux volontés de la Maison-Blanche de réviser la législation migratoire, John Boehner et ses collègues ont compris le message. Jamais depuis 1996 la droite américaine n’avait réalisé un aussi faible score auprès de l’électorat hispanique . Même le vote cubain, d’ordinaire acquis aux républicains avec une confortable majorité, est aujourd’hui menacé. En Floride, mercredi matin, un électeur d’origine cubaine sur deux a voté démocrate.
Résultat, les responsables du Parti républicain sont prêts à s’atteler, dès la rentrée parlementaire de janvier, à la réforme de la législation sur l’immigration. « Même si les détails seront extrêmement discutés », confie un proche du patron des élus républicains à la Chambre. C’est bien la plate-forme du parti adoptée sur ce sujet à la Convention de Tampa qu’il faut revoir, notamment les dispositions qui s’opposent à « toute forme d’amnistie » pour les immigrés clandestins, estimés entre 10 et 13 millions sur le sol américain. Naturaliser les sans-papiers sans en « encourager » des millions d’autres à s’engouffrer dans la brèche? Il faudra convaincre les plus récalcitrants pour lesquels il est impossible « d’avaler la pilule de la naturalisation ».
Latinos, Noirs et Asiatiques majoritaires en 2050
Et pourtant, il y a urgence. « Nous sommes en train de devenir le vieux parti des Blancs », se lamente l’ancien sénateur du Minnesota Norm Coleman. Selon les statistiques officielles, l’Amérique aura perdu sa majorité blanche en 2050 au profit de l’ensemble des Latinos, des Noirs et des Asiatiques. Obama a battu Romney chez les Latinos de 18 points en Floride, de 35 points en Virginie et de 77 points dans le Colorado! Et certains conservateurs se disent que si les Latinos s’organisent et se mobilisent massivement au Texas, l’État de George Bush pourrait basculer. Raison pour laquelle depuis mercredi le nom de son petit frère, Jeb Bush, revient sur toutes les lèvres.
Ancien gouverneur de Floride, marié à une Mexicaine, l’homme est partisan d’une réforme large qui puisse répondre aux craintes des Latinos intégrés de voir leurs proches venus les rejoindre expulsés. D’autant qu’idéologiquement ils ne sont pas si éloignés des valeurs républicaines. Pour le politologue Stuart Rothenberg, « le Latino moyen est catholique, petit chef d’entreprise, candidat à la propriété individuelle pour accéder à la classe moyenne, mais cela prendra du temps de le convaincre qu’il n’est pas discriminé ». C’est en effet le coeur du sujet. Selon Bill Schneider, chercheur au think tank Third Way, « les Latinos souffrent et souffriront encore longtemps d’être insultés dans leur dignité par les petits Blancs de l’Amérique profonde, comme les Italiens et les Polonais l’ont été au début du XXe siècle dans les grandes villes américaines ».
Les démocrates, eux, lorgnent la classe moyenne blanche
La volonté des républicains de réparer leur erreur vis-à-vis des communautés hispaniques est si criante que peu d’entre eux ont osé renverser la question : comment se fait-il que Barack Obama et le Parti démocrate soient de moins en moins rejoints par les électeurs blancs? Selon Will Marshall, président du Progressive Policy Institute, cette problématique es ttout aussi importante. Le PPI est aujourd’hui le principal laboratoire d’idées pour les démocrates centristes rassemblés autour des anciens clintoniens. « Obama et ceux qui veulent lui succéder doivent comprendre que, s’ils veulent reprendre la classe moyenne blanche aux conservateurs, il leur faut un programme qui renoue avec la croissance, avec la volonté de réformer l’État et se démarquer des tentations sociales-démocrates européennes », explique Marshall. De quoi donner du grain à moudre à celui, ou celle, qui voudra succéder au premier président « postracial » de l’Amérique.