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Nemours Jean-Baptiste – Webert Sicot : Un duel qui continue dans l’au-dela

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NEMOURS JEAN-BAPTISTE 2 Fevrier 1918 – 18 Mai, 1985 

Troisième d’une famille de quatre enfants, Nemours Jean-Baptiste est né le 2 février 1918 à Port-au-Prince. Ses parents Lucia Labissière, couturière et Clément Jean-Baptiste, cordonnier ont décédé prématurément. Nemours et ses frères et soeur André, Monfort et Altagrace furent confiés à des proches parents. Il fit de brèves études à Jean Marie Guilloux et chez les Frères de Saint Louis de Gonzague et a dû faire très tôt aux affres de la vie occupant de menus emplois pour survenir à ses besoins. Devenu coiffeur, Nemours a pu trouver, sans nul doute, en ses clients et le salon de coiffure, l’auditoire et l’endroit idéal pour discuter de son amour et don pour la musique. Ce don a reçu par hasard sa première sponsorisation à travers un ami, Antoine Duverger.
 
 Joueur et propriétaire de banjo, Duverger a décidé de confier son instrument à Nemours pour éviter les réprimandes parentales : « l’enfant de famille » des années 50 ne faisait pas de la musique. Nemours en a profité pour apprendre tout seul le banjo. La chance lui a sourit lorsque Duverger n’a pas pu respecter un de ses engagements auprès des frères Guignard.
 
 Nemours l’a remplacé. La performance fut un succès et lui a rapporté $30.00 et son recrutement par les frères Guignard. De cette date, Nemours s’était adonné complètement à la musique; une carrière qui allait durer environ vingt-cinq ans. Au cours d’une de ses performances, il a rencontré Marie Félicité C. Olivier. Ils se sont mariés le 28 Septembre 1946 et eurent trois enfants Marie Denise qui a vécut jusqu’à l’âge de deux (2) ans, Yvrose et Yves Nemours Jr. 

Les débuts de Nemours consistaient surtout de tournées à travers le pays animant les fêtes patronales. C’est d’ailleurs un jour de la Sainte Anne, le 26 juillet 1955, qu’il a créé le rythme qui allait devenir le compas et son propre groupe musical, Conjunto International avec pour Membres fondateurs Julien Paul, Monfort Jean-Baptiste, frère de Nemours, Anilus Cadet, Mozart et Krutzer Duroseau et pour une courte durée Webert Sicot qui sera remplacé par Frank Brignol. Mais, ce n’était pas son premier coup d’essai de maestro. Il a dirigé auparavant, des groupes de l’époque tels que Anacaona, Jazz Atomique, Jazz atomique Junior. 

En 1956, la carrière de l’artiste devait prendre une nouvelle direction lorsqu’il rencontra son premier promoteur, Jean Lumarque, propriétaire d’un Club à la mode, « Calebasses ». Ce dernier organisa la première tournée à l’étranger de Nemours et son groupe les accompagnant aux États Unis d’Amérique et au Mexique. Cependant, peu de temps après, Nemours devait quitter Lumarque pour Senatus Lafleur, propriétaire d’un autre Club, « Palladium ». Pourtant, c’était encore Jean Lumarque qui, en 1961, emmena aux États-unis le groupe et le 5 juillet, au cours d’une cérémonie au siège des Nations Unies, Nemours a reçu une plaque d’honneur.
 
 Après un autre aller-retour du Palladium au Calebasses, Nemours et son groupe successivement nommé « Ensemble aux Calebasses » et « Ensemble Nemours Jean Baptiste » ont été embauchés par René Martini, propriétaire de « Cabane Choucoune » où ils ont joué de 1962 à 1970. Au cours de cette période, en 1963, l’artiste a participé à son premier défilé carnavalesque, sur demande du public. A noter qu’il souffrait de glaucome. En juillet 1967, les médecins d’un hôpital de Port-au-Paix ont dû lui enlever son œil (droit ou gauche) au cours d’une intervention chirurgicale. 

Nemours a également séjourné deux ans (1970-1972) aux États Unis d’Amérique et performé dans des clubs tels que Château Caribe (Manhattan) et Canne-à-Sucre (Corona, Queens). De retour sur la terre natale en 1972, il a pris en charge un dernier groupe, le Top Compas, rebaptisé « Super Combo de Nemours Jean-Baptiste » et a été en tournée en Guadeloupe de mai à Décembre 1973. En mai 1974, un promoteur de la Guadeloupe, Hubert Romain leur fit faire une tournée passant par la Guadeloupe, la Martinique, la France et la Guadeloupe pour revenir au pays en Novembre 1974. Leur passage en France, au mois de septembre, a été un immense succès provoqué par la chanson « Ti Carole », en tête du hit parade sur « Radio Télévision France Inter » pendant six mois. De retour au pays en Novembre 1974, le groupe élut domicile à « Cabane Choucoune » jusqu’à sa dissolution en 1979 avec le départ pour les États Unis de son fondateur, Wagner Lalane. 

En 1980, environ un quart de siècle après le lancement de sa grande carrière, Nemours s’est retrouvé en musicien solitaire. Heureusement, Eddy Zamor, animateur de radio et présentateur durant les années 60 en Haïti, devenu promoteur de musique aux États-Unis, a pu venir à sa rescousse. Il sponsorisa une soirée de vingt-cinq ans d’anniversaire du compas et l’évènement a été célébré en grande pompe de concert avec le Skah Shah au club « Olympia Palace », New York. Cette soirée a été, en quelque sorte, un hommage couronnant la grande carrière de Nemours Jean-Baptiste.
 
 Sa prochaine tentative de jouer aux Etats-Unis en 1981, cette fois-ci accompagné de son rival musical de longue date, Webert Sicot, devait avorter. Nemours est tombé gravement malade et subit une intervention chirurgicale à New York (« Elmhurst Hospital », Queens). Il passera les quatre dernières années de sa vie en Haïti, luttant contre le cancer de la prostate et la cécité. En dépit de l’insistance de sa femme et enfants, il a préféré mourir dans son pays disant qu’à sa mort on reconnaîtra sa valeur. 

Nemours et le Compact Direct 

Jusqu’à la moitié du 20ième siècle, les besoins du public haïtien en animation musicale avaient été principalement satisfaits par les troubadours, et la cadence « tipico » venue de la République voisine et de Cuba. Cette cadence et/ou les groupes espagnols dominaient la majeure partie de nos festivités publiques ou/et privées. Les débuts de Nemours ont été marqués par cette cadence qui lui a permis de gagner le cœur du public. Cependant, Nemours n’a jamais apprécié cette colonisation du marché musical haïtien. Du côté haïtien de la frontière, le Dominicain et le Cubain vivaient de leur musique, de l’autre côté nos frères étaient humiliés par ces mêmes gens. 

Inspiré en quelque sorte par ce nationalisme et aidé de son génie, Nemours a donné aux haïtiens leur propre cadence : le compas. Après le lancement de sa carrière, il ne s’était pas arrêté à l’apprentissage du banjo, il a su maîtriser le saxophone et la guitare. 

Une autre facette attrayante du personnage Nemours a été sa verve prompte et légère. À l’apogée de sa carrière, il choyait son public régulièrement avec une nouvelle composition. Tous les samedis, ses fanatiques l’attendaient au Rex Théâtre et ils n’étaient jamais déçus ni par le fond ni par la forme. Les femmes haïtiennes, régulièrement l’objet de satyre de nos musiciens, étaient les chouchous de Nemours. En témoignent, les tubes « aprann renmen », « ròb antrav », « Solange » pour ne citer que cela. Quant au compas, son enfant chéri qu’il a mis au jour, il n’avait jamais cessé de prédire sa réussite et longévité. Des tubes comme : « Universal compas », « Vivre Compas », « La joie de vivre » en sont la preuve. Pour Nemours, la clé de ce succès ou cette longévité a été de garder la cadence aussi simple que possible. 

Joueur de banjo, guitariste, saxophoniste, compositeur et chef d’orchestre, Nemours Jean-Baptiste, a été un artiste complet. Il a été pour la musique haïtienne ce que furent les Pères de la Patrie pour Haïti. A sa mort le 18 Mai 1985, il a légué un riche héritage au marché musical haïtien. Les premières bases posées par Nemours constituent une source inépuisable qui a inspiré et continue à guider les jeunes générations. Aujourd’hui encore, un demi-siècle siècle après la création du compas, le public haïtien ne s’est jamais lassé de danser et la musique de Nemours et le compas.
 
 
 
 
 
Webert Sicot 
(1930: Port-au-Prince – 1985: Port-au-Prince)
 
 
Musicien extraordinaire, multi-instrumentiste, saxophoniste génial et virtuose éternel, c’est le « maestro difficile » par excellence. 

 
Saxophoniste génial, multi-instrumentiste, sans doute le plus doué de sa génération, si ce n’est pas de son pays. Cet incomparable musicien s’est frayé très tôt un chemin dans le music-hall local après avoir été formé par l’un des plus célèbres musiciens de l’époque Augustin Bruno, surnommé «le manchot des Casernes Dessalines» qui fut à un moment en charge de la Centrale des Arts et Métiers où Webert s’est initié à la musique de même que son frère Raymond.
 
Muni d’une formation musicale adéquate, ce musicien dans l’âme faisait déjà entrevoir les signes d’un génie qui allait tôt ou tard exceller. Ainsi, on le trouva dès l’adolescence rouler sa bosse dans l’entourage des musiciens les plus expérimentés. Entre autres, l’incontournable François Guignard qui était le grand manitou avec lequel la plupart des novices faisait leur début. Et c’est encore le père François qui recommanda l’adolescent Webert ainsi que son frère Raymond à Claudin Toussaint qui les embaucha afin de rallier son «Jazz Capois» du Cap, où Webert entama sa carrière de musicien professionnel.
 
Puis s’ensuivent de petites navettes entre «Jazz des Jeunes» et «L’orchestre Saieh», attendant son heure d’être un membre à part entière de l’un de ces groupes. Il a eu quand même l’opportunité d’enregistrer au moins un disque avec le second. Dans ces incessantes mutations, il est repéré au sein du «Conjunto international», sous la conduite de son aîné et futur compétiteur, Nemours Jean Baptiste avec qui une sublime rivalité va changer, dans peu de temps, le cour de la musique de danse urbaine. Avec à la clef, une solide amitié qui s’étendra jusqu’à leur mort.
 
On prétend qu’au stade de leur collaboration, le virtuose Sicot a eu le temps de prodiguer quelques secrets de sax au chef d’orchestre Nemours. Après son départ du « Conjunto », il s’est fait un peu remarquer avec «l’Orchestre Citadelle». Par le temps où il faisait des « stints » pour l’Orchestre du «Casino International», Sicot savait assez les dessus et les impondérables du show-biz haïtien, pour devenir le capitaine de son propre navire. De fait, au début des sixties, il s’allia à son frère Raymond, profitant de la désintégration de «l’Orchestre Latino», duquel il fit appel à la plupart des membres pour former «La Flèche d’or» des Frères Sicot (Raymond & Webert) et dont le premier hit: paré du refrain: « Nou pral danse nan Paladium, les frères Sicot », fut une sorte d’introduction de ce nouveau né, installé au Club Palladium à Bizoton.
 
Cependant, la collaboration des frères Sicot fut de courte durée, lorsque Raymond préféra aller muter ailleurs. Mais, plus déterminé que jamais, Webert voulait coûte que coûte prendre part au festin musical qui se faisait sous la forme d’une concurrence musclée entre le «Jazz des Jeunes» et «l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste». Et se sentant de poids à participer à l’aventure, il se lança sans retenue à l’attaque contre la bande à Nemours Jean Baptiste dans le morceau: « Sispan ‘n voye Tach ». Puis, apportant sa propre 
saveur, Sicot élabora une variante de la « méringue haïtienne », avec son Kadans Ranpa, fort de sa vitesse d’exécution et une approche rythmique complexe de mélodies et contre mélodies émaillée de modernité, grâce aux instruments amplifiés.
  La concurrence de ces deux rythmes (Konpa et Ranpa) devint le point culminant du music-hall haïtien, lorsque les deux maestros tournaient la musicalité en une aréne tapageuse, au comble de polémiques spectaculaires. Mais là, ce n’était que le côte du business, car, en fait d’ingéniosités, il n’y avait de personnages plus excentriques. Spécialement, Webert Sicot, saxophoniste virtuose et suprême, avec ses solos magiques, ses improvisations lumineuses, un jeu fulgurant, et une exubérance bon enfant tout en se servant du sax comme un joujou épatant, jusqu’à emboucher deux à la fois pour les jouer simultanément, de son style singulier et inimitable toujours en soliste incomparable. 

Instrumentiste multiple, il jouait aussi de la flûte, la trompette, le tambour, la guitare, la basse, le trombone à coulisse et saxes: alto, ténor et baryton. Exigeant, il s’entraînait parfois à l’aide d’une serviette, avec laquelle il obstruait l’embouchure du sax et en y mettant tout son souffle. Et que dire de ce phrasé mélodieux et de ce vibrato expressif qui lui faisaient rythmer même les ballades. Prince du sax, Webert Sicot était aussi l’ultime « showman » qui charma son sax jusqu’au délire. Pas étonnant qu’il fut l’une des grandes figures de la musique contemporaine.
 
Expert en combines, Sicot, qui voyageait très souvent à l’extérieur avec son orchestre, s’arrangea un beau jour avec des médecins qui désiraient quitter le pays pour les aider à prendre le large, à une époque où « Papa Doc », le vieux dictateur, interdisait à ceux-ci d’émigrer. C’était vers les années 1968 et la nouvelle vague mini jazz commençait à s’installer confortablement. Et, sentant tourner le vent, Sicot qui était passé comme le roi du carnaval laissait le pays furtivement, alors que ses fans, la mort dans l’âme, attendaient indéfiniment son retour. Il fut bruit que « Papa doc » était prêt à passer l’ éponge, mais le « maestro difficile », comme l’appelèrent ses inconditionnels, n’était pas disposé à prendre de risque.
 
 En s’installant à New York, Sicot continua à cultiver son sax pour un public de cabarets qui goûtait religieusement à cette sonorité et cette virtuosité impeccables. II profita pour assembler son «Orchestre Le Jeune», avec la collaboration des vétérans comme Charles Delva, Duffont Mayala, etc., qui a régalé les mélomanes de Brooklyn et de Manhattan. Puis, il réalisa un disque instrumental de musique intimiste, fait de ballades; « Just for you », en compagnie de quelques membres de l’«Ibo Combo» de New York dont le talentueux Gaguy Dépestre à la flûte. On sait aussi qu’il eut l’opportunité d’enregistrer avec le grand orchestre de CBS faisant montre de son génie dans un monde rompu de professionnalisme.
 
Il revint en Haïti au milieu des années 1970 pour reformer son orchestre avec lequel il essaya de reconquérir un public qui s’était déjà entiché de drôles de musique. II a aussi participé à une tentative du groupe «Zotobre» de Serge Rosenthal qui n’a vécu que l’espace d’un matin. En 1977, il en profita pour renouer avec l’ambiance du carnaval, prouvant au public qu’il n’avait rien perdu de sa verve. II jouait si éperdument, en arrivant à l’angle des rues Mgr Guilloux et Oswald Durand où sa sœur Paulette tenait une boutique, que dans son engouement de sérénader, il ne s’était pas aperçu d’une branche d’arbre, qui l’éjecta du char, l’envoyant à l’hôpital.
 
Entre autres petits boulots pour survivre, il réalisa deux ou trois œuvres en solo dont « Webert Sicot, The Greatest ». Et un dernier baroud en commun: « L’union », avec Nemours, comme pour sceller une épopée qu’ils ont dominé à eux deux. Sans oublier une collaboration remarquée au sein de l’«Orchestre de la Radio Nationale», sous la conduite du maestro Raoul Guillaume.
 
 Finalement, un jour, il emmena son fils très malade à l’Hôpital Général, et ne reçut que l’indifférence du personnel, ce qui le mit très en colère. Râpé, cardiaque, Sicot est mort en février 1985 en pleine ambiance carnavalesque. Ce qu’en profita le peuple tout entier pour le remercier dans une atmosphère de festivités dont Sicot fut l’ultime pourvoyeur, avant que la mort vienne briser les ailes de cet oiseau souffleur qui aurait joué jusqu’au dernier soupir.
 
 
Le destin a voulu que Nemours et Sicot s’en aillent vers l’au delà à la même année, après avoir à eux deux fait danser tout le pays. 

(Source : Tambours Frappés, Haïtiens campés d’ED Rainer Sainvill)

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