Selon les experts, les stéréotypes négatifs associés aux Noirs restent, comme ailleurs en Occident, prégnants aux États-Unis, mais ont désormais changé de forme.
Photo James Lawler Duggan, Reuters
Agence France-Presse
Washington
Cinquante ans après, le «rêve» formulé par Martin Luther King lors de la «marche pour la liberté et l’emploi» se heurte à une implacable réalité: les Noirs américains restent de loin les premières victimes du chômage.
Bannies en France, les statistiques «ethniques» donnent à ce constat une traduction chiffrée aux États-Unis. Le taux de chômage des Afro-américains (12,6% en juillet) y est quasiment deux fois supérieur à celui de la population globale (7,4%).
Comparativement, la minorité hispanique est davantage épargnée (9,1% en juillet) sans même parler des Asiatiques qui ne représentaient ce mois-ci que 4,3% des chômeurs aux États-Unis.
«Les discriminations contre les Afro-américains restent très répandues», affirme à l’AFP Heather McGhee, vice-présidente de Demos, un groupe de réflexion sur l’égalité à Washington.
Ce fossé n’est pas nouveau et traverse les périodes d’expansion économique comme de récession. En janvier 1972, qui correspond aux archives les plus anciennes sur la question, 5,8% de la population active était sans emploi, une proportion qui bondissait alors à 11,2% pour les travailleurs noirs.
Même fin 2000, au plus fort du plein emploi aux États-Unis (3,9% de chômage), les Afro-américains restaient encore sur le bord de la route avec un taux de 7,3%.
Conséquence: ils forment le bataillon le plus imposant des Américains vivant sous le seuil de pauvreté (27,6%) alors qu’ils ne représentent que 13% de la population.
«Il faut faire attention à ne pas faire comme si l’histoire de l’Amérique noire était tragique», prévient toutefois Mme McGhee.
Près de cinquante ans après la fin de la ségrégation, un Afro-américain dirige la Maison-Blanche et l’accès des Noirs américains à l’éducation a connu «d’immenses progrès», souligne-t-elle.
Ils sont désormais 86% à avoir été au collège, contre 38% en 1963, et 20% à occuper les bancs de l’université contre 5% cinquante ans auparavant, rappelle-t-elle.
Mais cela ne suffit pas. «Seule une partie de ce fossé s’explique par des différences dans le niveau d’éducation», assure à l’AFP Ioana Marinescu, professeur à l’Université de Chicago et spécialiste du marché du travail américain.
Discrimination positive, mais pas de quotas
Selon les experts, les stéréotypes négatifs associés aux Noirs restent, comme ailleurs en Occident, prégnants aux États-Unis, mais ont désormais changé de forme.
«Les préjugés sont devenus inconscients. C’est devenu rare de dire explicitement que vous ne voulez pas embaucher un Noir, mais nous savons combien les stéréotypes agissent sur les personnes qui prennent des décisions», assure Mme McGhee, elle-même Afro-américaine.
«Quand c’est inconscient, c’est bien plus difficile à combattre», déplore-t-elle.
Les statistiques par minorités permettent toutefois d’«éclairer le débat public» aux États-Unis et de sensibiliser, bon gré mal gré, le monde du travail aux discriminations, souligne Mme Marinescu.
Les entreprises en contrat avec l’État fédéral sont ainsi tenues de mettre en oeuvre des mesures de «discrimination positive» (en anglais « affirmative action ») et de favoriser l’avancement des minorités, sans toutefois recourir à de quelconques quotas.
Et l’ensemble des entreprises américaines de plus de 100 salariés doivent publier chaque année un rapport recensant l’ethnie ou le sexe de ses employés.
«Nous avons levé le pied de l’accélérateur sur l’intégration», déplore néanmoins la vice-présidente de Demos.
Le mal pourrait être plus pernicieux, avance la sociologue Nancy DiTomaso, enseignante dans l’école de commerce Rutgers de Newark (est).
«Une majorité de gens décrochent un emploi parce que quelqu’un les a aidés en leur donnant des informations, en usant de leur influence par des recommandations du type: +C’est un ami, occupe-toi de lui+ ou tout simplement en leur trouvant un poste», explique-t-elle à l’AFP.
Selon la chercheuse, qui a consacré un ouvrage à cette question, l’importance de ces «connections» et des «réseaux» dans le monde professionnel désavantage grandement les Afro-Américains.
«La dynamique n’est pas que les Blancs discriminent les Noirs, c’est que les Blancs aident d’autres Blancs», souligne-t-elle.
Une prise de conscience reste toutefois hypothétique. «Les gens préfèrent dire qu’ils ont décroché un emploi parce qu’ils ont travaillé dur et parce qu’ils sont motivés, plutôt que de reconnaître qu’ils ont profité d’un réseau de connaissances», conclut-elle.