Des analystes redoutent même que, si la crise dure, toute la machine du premier réseau diplomatique de la planète se grippera. Avec un risque majeur pour la sécurité nationale des États-Unis.
Depuis le début de la paralysie budgétaire le 1er octobre, le département d’État a, jour après jour, haussé le ton à propos de l’impact sur le fonctionnement de cet énorme ministère qui fait travailler 70 000 personnes à Washington et dans 270 postes dans le monde.
Vendredi, sa porte-parole adjointe Marie Harf a martelé que le blocage budgétaire avait «vraiment des conséquences négatives sur notre posture à l’étranger», égrenant lors de son point de presse des titres critiques ou moqueurs de journaux au Mexique, en Inde, à Taïwan ou en Espagne.
Cette porte-parole de la diplomatie américaine a même fait une incursion en politique intérieure pour fustiger le «Congrès qui parle beaucoup de l’exceptionnalisme américain, mais qui envoie exactement le message contraire partout dans le monde».
Richard Haass, le président du Council on Foreign Relations, est encore plus sévère, jugeant sur le site internet de son centre de recherche que «les alliés (des États-Unis) sont d’une certaine manière livrés à eux-mêmes».
De fait, le président Barack Obama a annulé jeudi l’intégralité d’une tournée en Asie la semaine prochaine, alors même que le renforcement de la puissance économique, diplomatique et militaire des États-Unis dans cette région – le fameux «pivot» vers l’Asie-Pacifique – est une priorité de sa politique étrangère.
M. Obama sera donc absent du sommet du Forum de Coopération de l’Asie-Pacifique (Apec) à Bali (Indonésie) puis des réunions de l’Asean (Association des nations d’Asie du Sud-Est) et de l’Asie de l’Est au Brunei. Il avait déjà renoncé en début de semaine à des étapes en Malaisie et aux Philippines.
L’attrait des États-Unis «fané»
Aux yeux de M. Haass, «l’attrait du modèle américain s’en trouve fané et on peut s’interroger sur la fiabilité des États-Unis, une qualité vitale pour une grande puissance».
D’ailleurs, pointe Ernest Bower du Center for Strategic and International Studies (CSIS), «la Chine, mais aussi les alliés, partenaires et amis des États-Unis n’ont que faire des détails car le résultat est là: le président américain n’est pas en mesure d’assister aux réunions annuelles régionales de l’Asie».
Des rencontres bilatérales étaient programmées en marge de l’Apec, notamment entre M. Obama et son homologue russe Vladimir Poutine. Le Kremlin a dit «regretter que la rencontre n’ait pas lieu» parce qu’«il y a un grand besoin de dialogue au plus niveau dans nos relations bilatérales».
Brunei a aussi exprimé sa frustration car «pour un petit pays, accueillir le président des États-Unis, surtout quelqu’un aussi célèbre qu’Obama, est une source d’excitation».
Le secrétaire d’État John Kerry, déjà dans la région depuis quelques jours, remplacera M. Obama, mais rien ne dit qu’il s’entretiendra avec M. Poutine ou avec le président chinois Xi Jinping. Ce dernier «a maintenant le terrain pour lui et cela donne l’image d’un affaiblissement du système politique et démocratique des États-Unis», estime Ian Storey du Institute of Southeast Asian studies à Singapour.
Le puissant ministère américain des Affaires étrangères en convient largement.
«Cette paralysie de l’État fédéral nuit au département d’État à la politique étrangère de notre pays», avait déploré cette semaine Marie Harf.
Pour l’instant toutefois, aucune ambassade n’a dû fermer et les États-Unis continuent d’assurer les services consulaires pour les visas et les passeports.
Mais des bureaux du ministère à Washington sont dégarnis, des missions ont été annulées et les financements de programmes d’assistance, notamment d’aide militaire à Israël ou à l’Égypte, sont de facto bloqués.