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Les grands dossiers : Le triangle des Bermudes

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Par Claude Marcil
Boat Carrying 20 to Florida Through the Bermuda Triangle Is Missing

Le 5 décembre 1945, à 14 heures, cinq bombardiers américains «Avenger» formant l’escadrille 19 quittent leur base de Fort Lauderdale en Floride. C’est un vol d’entraînement de routine et les conditions de vol sont excellentes. À 15h45, le chef de l’escadrille, le lieutenant Charles Taylor, envoie le message suivant:

-Tour de contrôle: à vous. Répondez vite. Nous sommes perdus. Aucune terre en vue… je répète… aucune terre en vue.

-Nous sommes perdus. Aucune terre en vue…
-Donnez votre position.
-Difficile de vous l’indiquer. Nous ne savons pas au juste où nous sommes. Je crois que nous sommes perdus.
-Dirigez-vous vers l’ouest.
-Impossible de savoir où est l’ouest. Tout est confus. Étrange. Nous ne savons plus quelle est notre position. Même l’océan a l’air bizarre.
Au bout de quelques minutes, on entend: «Ne cherchez pas à me rejoindre! Ils ressemblent à… ». Puis, plus rien.

Un aviateur de la base qui s’apprêtait à atterrir, le lieutenant Robert
Cox entend ces messages. Il tente d’entrer en contact:

-Escadrille 19, quelle est votre altitude? Je me dirige vers le sud et
vais essayer de vous rejoindre. Taylor reste silencieux. Au bout de quelques minutes, le lieutenant Cox entend: «Ne cherchez pas à me rejoindre! Ils ressemblent à …»

Puis, plus rien. Il est alors 16 h 30. À peu près au même moment, un hydravion de sauvetage Martin Mariner chargé de retrouver l’escadrille 19 approche de l’endroit d’où venaient les appels et disparaît à son tour. Pendant plusieurs jours, la marine et la garde côtière mobilisent plus de 100 avions et navires pour passer au peigne fin presque 100,000 milles carrés. En vain. Une disparition de plus à mettre sur le compte du mystérieux triangle des Bermudes.

 
Zone mystérieuse

Depuis sa découverte par Christophe Colomb, des centaines de navires et d’avions ont disparu dans la région des Bermudes. Vers 1800, le «Pickering», un bateau américain, disparaît sans raison dans cette zone. En 1854, on perd la trace du «Bella», un navire britannique qui faisait voile vers la Jamaïque. En 1866, c’est la «Lotta», un trois-mâts suédois, suivi deux ans plus tard du «Viego», un navire marchand espagnol. En 1880, l’«Atalanta», un navire-école britannique avec ses 290 élèves-officiers et tout son équipage, disparaît à son tour. Suivront ensuite nombre de navires dont en 1884, le «Miramon», une goélette italienne et, en I902, le trois-mâts allemand la «Freya». Dans ce dernier cas, les dégâts laissent supposer qu’il avait été pris dans une tempête alors qu’aucune n’avait été signalée dans la région.

En 1918, c’est le tour du «Cyclops», un gros navire charbonnier avec une radio à bord. Aucun S.O.S. n’a été envoyé. Plus tard, l’avion Star Tiger qui assure la liaison Açores-Bermudes s’évanouit un jour de janvier 1948, après avoir envoyé le message suivant: «Conditions météo excellentes. Arriverons à l’heure prévue. Attendons les instructions pour l’atterrissage.» La tour de contrôle répond, en vain.

En décembre 1948, le pilote d’un Douglas DC 3 annonce «Nous approchons de l’aéroport. Nous apercevons les lumières de Miami… Tout va bien.» On ne retrouvera jamais le DC 3. Plus troublant est le cas d’un appareil de la Eastern Airlines qui, pendant dix minutes, s’évanouit totalement des écrans de la tour de contrôle de Miami. À bord, personne n’a rien remarqué d’anormal; mais lors du débarquement, les montres des passagers retardent toutes de dix minutes.

Mais toutes ces disparitions n’ont acquis une certaine célébrité qu’en 1964, alors que paraît dans la virile revue d’aventure «Argosy», un article sur «le Triangle des Bermudes». Succès boeuf. Le mythe est définitivement lancé au point qu’aujourd’hui, on risque dangereusement de disparaître corps et biens dans la montagne de livres et de documentaires qui ont poussé sur cette zone où tout s’anéantit.

Précisons immédiatement qu’il y a du flottement dans le triangle qui devient un trapèze chez certains auteurs, atteint les Açores chez l’un, ne dépasse pas les Bermudes chez l’autre, etc… Grosso modo, toutefois, la zone aurait plus ou moins la forme d’un triangle reliant les Bermudes, Porto Rico et la Floride. Ce triangle est «le théâtre de disparitions qui dépassent le seuil de probabilités» peut-on lire dans l’épicé «Argosy». «La fréquence, le nombre et les circonstances de ces disparitions dépassent de loin le simple hasard», précise Charles Berlitz, auteur du premier livre sur le sujet. «Anormalement élevées», dit Yvan T. Stevenson. «Sans cause apparente, de façon arbitraire et sans aucun signe avant-coureur», écrit Wallace Spencer dans «Limbo of the Lost». Mais alors, comment expliquer ces disparitions?

Les explications ont varié avec les années; au siècle dernier, on faisait état de «serpents de mer», d’immenses «tortues» ou même de créatures démoniaques. Depuis, les hypothèses sont devenues plus complexes.

Pour Charles Berlitz, des sources d’énergie entreraient en activité à l’occasion de mouvements des fonds marins et détruiraient les avions et les bateaux qui passent par là. Yvan T. Sanderson auteur de «Invisible Residents», prétend qu’une civilisation évoluée vivant sous l’océan, enlève les êtres humains de cette région pour constituer un musée vivant de la planète Terre. D’autres auteurs, plus «scientifiques», y voient l’effet d’une anomalie dans le champ magnétique terrestre ou de «trous noirs» qui ralentit ou accélère le temps, projetant les objets des environs dans une quatrième dimension. Plus inquiétant encore, une douzaine de ces zones encerclent notre planète.

Précisons d’abord un détail savoureux. La plupart des tragédies rapportées se produisirent en dehors de la zone des Bermudes. Quant à cette partie de l’Atlantique, particulièrement fréquentée et météorologiquement instable, elle ne reçoit pas plus que sa part normale de désastres et d’accidents.

Le Service américain des garde-côtes a déclaré que sur 150 000 bateaux qui traversent la zone du triangle chaque année, 10 000 seulement envoient des messages de détresse et 100 font naufrage.

En 1975, 21 bâtiments disparurent sans laisser de trace au large des cotes américaines, dont 4 dans le Triangle. En 1976, les chiffres étaient 28 et 6. Ouragans, tempêtes expliquent une bonne partie de ces disparitions sans compter que l’influence du Gulf Stream est assez forte pour emporter un navire loin de sa route ou pour disperser une épave en moins de temps qu’il n’en faut à un fumiste pour decouvrir un Atlante.

Plusieurs disparitions ont été inventées de toutes pièces, ou tout au moins détournées de leur route maritime. Des exemples: le navire britannique « Bella », disparu en 1854 entre Rio de Janeiro et la Jamaïque n’a jamais existé. Les chantiers de Liverpool ont bien construit un «Bella» en 1852, mais il n’a jamais coulé. Le bateau-école «Atalanta», peut avoir coulé n’importe où entre les Bermudes et l’Angleterre; on n’en a rien retrouvé. Le trois-mâts allemand «Freya», a bien coulé en 1902, mais dans l’océan Pacifique… Il était carrément hors triangle comme le «USS Cyclops», qui a sombré le long de la côte atlantique des États-Unis.

Quant au «Lotta», au «Viego» et au «Miramon», pour ne citer que ces chers disparus, impossible d’en retrouver la trace dans les archives maritimes. C’est en tirant les épaves par les cheveux qu’elles sont devenues des «bateaux mystères». Un bibliothécaire a mis de l’ordre dans tout cela.

Dans «Le mystère du Triangle des Bermudes la solution», Lawrence Kusche, bibliothécaire à l’Université d’Etat de l’Arizona, a démontré que la plupart des grands mystères du Triangle ne paraissent mystérieux que grâce à des citations tronquées, des distorsions ou des omissions de faits. Dans presque tous les cas, les conditions météo, l’erreur humaine ou l’incident technique constituent la cause réaliste des mystérieuses disparitions. D’ailleurs, la plupart de ces naufrages n’ont pas fait les manchettes en leur temps; ils ne sont devenus des «mystères» qu’à partir du moment où a été lancée la mode du Triangle des Bermudes.

Mais qu’en est-il des avions disparus, le Star Tiger, le Douglas DC-3, et surtout l’escadrille 19 ? «Conditions météo excellentes. Arriverons à l’heure prévue», aurait dit le pilote du Star Tiger approchant des Bermudes. Pure invention. Rien de la sorte ne figure dans le rapport d’enquête ni dans les conclusions de l’enquête publique parues dans les journaux de l’époque. Par contre, on a appris que le pilote avait été gêné par des nuages bas et des vents violents pendant tout le vol et qu’il manquait de carburant.

Dans de telles conditions, un simple incident – une panne de moteur, par exemple – a pu avoir des conséquences catastrophiques. Mais alors, le fameux DC-3 ?

Selon la légende, avec 27 passagers à bord, l’avion quitte San Juan, Porto Rico, à destination de Miami. Le pilote signale qu’il n’est plus qu’à 80 km de Miami et qu’il aperçoit déjà les lumières de la ville. La tour de contrôle lui transmet les instructions pour l’atterrissage, aucune réponse… L’avion disparaît près de la côte, et, pourtant, on ne le retrouvera jamais.

En fait, lorsque le capitaine Robert Linquist signale sa position -80km de Miami-, il précise que sa radio est défectueuse; mais il ne fait aucune allusion aux lumières de la ville, détail pittoresque ajouté par certains auteurs. Au cours du vol, le pilote avait dû faire face à un vent du nord-est. À l’approche de la Floride, la direction des vents change 
soudainement et la tour de contrôle de Miami en avertit aussitôt le pilote.

Mais, sa radio fonctionnant mal, il est vraisemblable qu’il n’a pas reçu le message, raté la péninsule de la Floride et qu’il s’est engagé sans retour au-dessus du golfe du Mexique. Par ailleurs, on a inventé de toutes pièces le gag des voyageurs dont les montres retardaient.

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Mais peut-on nier que la disparition de l’escadrille 19, 5 bombardiers, 28 hommes d’équipage, y soit bizarre. C’est pourquoi, dans le film la, «Rencontre du Troisieme Type», les pilotes réapparaissent dans le désert du Mexique, après une absence de plus de trente ans.

Rappelons les grandes lignes: météo excellente, pilotes expérimentés, vol de routine, appels angoissés à la tour de contrôle, océan bizarroide…

En réalité, si le ciel est effectivement clair lorsqu’ils décollent de Fort Lauderdale, une tempête se déclenche soudain et les conditions de vol deviennent vite difficiles. Le lieutenant Taylor est le seul pilote expérimenté mais c’était son premier vol dans cette zone aux conditions météorologiques changeantes.

Ensuite, il n’y a jamais eu de communication avec la tour de contrôle de Fort Lauderdale. Par contre, on a intercepté une communication radio entre deux membres de l’escadrille. Taylor croyait survoler l’archipel des Keys de Floride. Malheureusement, il se trompait; son escadrille se trouvait au-dessus des Bahamas. Il a sans doute tenté un amerrissage forcé…» Au cours de l’enquête, des experts affirmèrent qu’un TBM ne pourrait tenir en équilibre sur les vagues déchaînées plus d’une minute. Quant à l’hydravion Mariner envoyé à 19h27, au secours des Avenger, Kusche fait observer que, pour accroître leur autonomie, les Mariner sont littéralement bourrés d’essence, au point d’avoir été qualifiés de «citernes volantes». Un bateau marchand, le «S Gaines Mills» a observé une explosion dans le ciel ce jour-là à 19h30.

Plutôt que de regarder la vérité en face jusqu’à ce qu’elle cligne des yeux, les auteurs « initiés » osent écrire: « C’est peut-être que l’esprit humain n’est pas encore assez avancé pour comprendre les forces qui s’exercent dans le Triangle. » Celles qui s’exercent dans leurs cerveaux ne doivent pas rencontrer beaucoup d’obstacles.

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