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Economie : Un monde à la dérive

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Christine Lagarde, Directrice du FMI

NEW YORK – Les réunions annuelles conjointes du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale ont mis en évidence deux tendances fondamentales dans la politique globale et l’économie mondiale. L’équilibre géopolitique bascule clairement d’un monde dominé par l’Europe et les Etats-Unis vers un monde avec de nombreuses puissances régionales mais sans leader global. Et une nouvelle ère d’instabilité économique s’installe, résultant autant des limites physiques de la croissance que de la tourmente financière.

La crise économique européenne a été au centre des débats des réunions du FMI et de la Banque Mondiale. Le Fonds cherche à créer un mécanisme d’aide d’urgence au cas où les économies européennes affaiblies nécessiteraient un autre sauvetage financier, et il s’est tourné vers les principales économies émergentes – Brésil, Chine, Inde, les pays exportateurs de pétrole du Golfe, entre autres – pour contribuer les ressources nécessaires. Leur réponse est claire : oui, mais uniquement en échange de pouvoirs accrus et de voix supplémentaires au FMI. Si l’Europe veut un appui financier international, elle devra accepter ce principe.

Bien sûr, cette demande des économies émergentes pour un pouvoir accru n’est pas nouvelle. En 2010, la dernière fois que FMI a augmenté ses ressources financières, les économies émergentes avaient alors accepté uniquement dans la mesure où leur droit de vote au sein du FMI était augmenté de 6%, réduisant celui de l’Europe de 4%. Aujourd’hui, les marchés émergents demandent une capacité de vote supérieure.

La raison sous-jacente est facile à comprendre. Selon les propres chiffres du FMI, les actuels membres de l’Union Européenne représentaient 31% de l’économie mondiale en 1980 (calculé à partir du PIB de chaque pays, en standard de pouvoir d’achat.) En 2011, la part de l’Union Européenne était descendue à 20%, et le Fonds estime qu’elle devrait chuter à 17% en 2017.

Cette baisse reflète la croissance ralentie de l’Europe à la fois en termes démographique et de production par habitant. Par ailleurs, la part globale en PIB des pays asiatiques en développement, Chine et Inde inclus, a explosé pour passer de 8% en 1980 à 25% en 2011, et devrait atteindre 31% en 2017.

Les Etats-Unis, et cela est particulièrement révélateur, déclarent qu’ils ne s’associeront pas à un nouveau fonds de sauvetage du FMI. Le Congrès américain adopte de plus en plus une politique économique isolationniste, particulièrement en ce qui concerne l’aide accordée aux autres pays. Un reflet supplémentaire du lent déclin du pouvoir américain. La part américaine du PIB global, aux environ de 25% en 1980, a baissé à 19% en 2011 et devrait tomber à 18% en 2017, date à laquelle le FMI estime que la Chine aura dépassé l’économie américaine en taille absolue (en standard de pouvoir d’achat.)

Mais le basculement du pouvoir global est plus complexe que le déclin nord-atlantique (Union Européenne et Etats-Unis) et la montée des économies émergentes, surtout celles des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du Sud). Nous assistons aussi à un basculement d’un monde unipolaire, mené principalement par les Etats-Unis, vers un monde réellement multipolaire, dans lequel les Etats-Unis, l’Union Européenne, les BRICS, et les puissances plus petites (comme le Nigéria et la Turquie) endossent un poids régional mais sont réticents à assumer le leadership global – surtout son contrepoids financier. La problème n’est pas juste le fait de la présence aujourd’hui de cinq ou six principales puissances, c’est aussi que chacune d’elles veut profiter du système aux dépends des autres.

Ce glissement vers un tel monde multipolaire comporte l’avantage qu’aucun pays seul ou petit bloc régional ne peut dominer les autres. Chaque région peut trouver assez de marge de manœuvre et d’espace pour trouver sa propre voie. Pour autant, un monde multipolaire comporte de grands risques, surtout celui que les principaux défis globaux ne seront pas relevés, parce qu’aucun pays ni aucune région n’est capable ou n’a la volonté individuellement de coordonner une réponse globale, ou même de s’y associer.

Les Etats-Unis sont rapidement tombé d’un leadership global à ce genre de parasitisme, semblant ignorer l’étape de coopération globale. Ils se retirent donc de la coopération globale sur le changement climatique, les fonds d’aide d’urgence du FMI, les objectifs globaux d’assistance au développement, et d’autres aspects de la collaboration internationale pour la provision de biens d’intérêts généraux globaux.

Les faiblesses de la politique de coopération globale sont particulièrement inquiétantes au vu de la gravité des enjeux qui doivent être relevés. Bien sûr, la tourmente financière globale actuelle vient à l’esprit immédiatement, mais d’autres défis sont même plus significatifs.

En effet, les réunions conjointes du FMI et de la Banque Mondiale ont aussi été l’occasion de se pencher sur une seconde évolution fondamentale dans l’économie mondiale : la hausse et la volatilité des prix des matières premières constituent désormais une menace majeure pour la stabilité et la croissance économique globales.

Depuis 2005 environ, les prix de la plupart des matières premières ont explosé. Les prix du pétrole, du charbon, du cuivre, de l’or, du blé, du maïs, du minerai de fer et de bien d’autres matières ont doublé, triplé, ou même plus. Les carburants, les céréales et les minéraux ont tous été affectés. Certains ont attribué cette augmentation aux bulles spéculatives sur les prix des matières premières, résultant des faibles taux d’intérêt et de la facilité d’accès au crédit pour la spéculation sur ces matières. Mais l’explication la plus sûre est certainement plus fondamentale.

La demande mondiale croissante en matières premières, surtout en Chine, menace les réserves physiques de ressources globales disponibles. Oui, on peut produire plus de pétrole et de cuivre, mais uniquement à des prix de production marginaux plus élevés.

Mais le problème dépasse les contraintes d’approvisionnement. La croissance économique globale provoque aussi une crise environnementale. Les prix alimentaires sont aujourd’hui élevés en partie parce que les régions productrices partout dans le monde subissent le contrecoup du changement climatique causé par l’homme (recrudescence des sécheresses et des tempêtes extrêmes), et de la raréfaction de l’eau douce résultant d’une surconsommation des eaux de rivières et des bassins aquifères.

En résumé, l’économie globale traverse une crise de viabilité dans laquelle les contraintes liées aux ressources et les pressions environnementales entrainent des chocs de prix importants et une instabilité écologique. Le développement économique doit rapidement devenir un développement durable, par l’adoption de technologies et de styles de vie qui réduisent les pressions hasardeuses sur les écosystèmes de la Terre. Cela, aussi, nécessitera un niveau de coopération globale qui n’est aujourd’hui nulle part visible.

Les réunions conjointes du FMI et de la Banque Mondiale nous rappellent une vérité essentielle : notre monde fortement interconnecté et peuplé est devenu un vaisseau très complexe à manier. Si nous voulons aller de l’avant, il nous faut œuvrer dans la même direction, même en l’absence d’un unique capitaine aux commandes.

Jeffrey D. Sachs

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