Marjorie Villefranche est arrivée toute seule au Québec à l’âge de 12 ans. «Je venais pour passer l’été dans une colonie de vacances», dit-elle. La femme se souvient d’avoir été frappée par l’immensité des lieux, du ciel. «Et c’est aussi le jour où j’ai appris que j’avais un accent», ajoute-t-elle en riant.
Marjorie Villefranche n’est jamais retournée vivre en Haïti. Ses parents sont venus la rejoindre ici, quelques années plus tard. La femme a longtemps traîné le poids de cette rupture inattendue avec sa terre natale.
«Imaginez, vous partez pour des vacances, puis on vous apprend que vous ne retournerez jamais chez vous. Je n’ai pas fait d’adieux. J’ai longtemps cherché mon identité. J’ai souvent eu l’impression qu’une partie de moi-même manquait», avoue-t-elle.
Après des études en philosophie et en histoire de l’art, la jeune Marjorie est «happée par le communautaire» en côtoyant Max et Adeline Chancy, un couple très engagé dans la communauté haïtienne. Mme Chancy deviendra même un mentor pour Marjorie.
«Adeline, c’est mon modèle depuis que j’ai l’âge de 16 ans», ajoute-t-elle. Les deux amies ont participé ensemble à l’élaboration d’une campagne gouvernementale d’alphabétisation en Haïti en 1997.
Mais la crise politique de 2000 viendra mettre un terme au projet. Ce voyage sera tout de même salutaire pour Marjorie Villefranche.
«J’ai réalisé que mon pays c’était finalement le Québec. J’ai étudié ici, je suis tombée amoureuse ici, j’ai mis mes enfants au monde ici», avoue-t-elle.
La Maison
Fondée en 1972 par des étudiants haïtiens, la Maison d’Haïti est un organisme qui facilite l’intégration des immigrants qui choisissent Montréal comme terre d’accueil. «On ne s’occupe pas seulement des
Haïtiens, mais de tous les nouveaux arrivants», précise-t-elle.
Cours de francisation, atelier d’alphabétisation, discussion sur l’art d’être parents; la Maison d’Haïti est un lieu précieux pour les familles étrangères. Directrice depuis un an et demi, mais collaboratrice depuis les débuts de la Maison, Marjorie Villefranche est à même de constater l’évolution des nouveaux arrivants.
«Aujourd’hui, ils arrivent mieux formés, mais pas mieux informés. Ils ont fait des études, mais ils ne savent pas que l’État fournit des services qui peuvent les aider à s’installer ici. En contrepartie, ils sont toujours aussi surpris de voir que le gouvernement peut s’immiscer grandement dans leur vie. Quand je leur dis que leur bébé qui vient de naître est protégé et qu’il a des droits, certains n’en reviennent pas», avoue-t-elle.
Une fois qu’ils sont installés, la Maison d’Haïti s’efforce aussi d’améliorer leurs conditions de vie et elle les encourage à participer au développement de la société québécoise. L’organisme peut même se vanter d’avoir contribué à l’amélioration du quartier Saint-Michel. La Maison y est installée depuis 1983.
«On a mis sur pied des patrouilles de rue. Ce sont des jeunes qui sillonnent le quartier et qui interviennent avant que la police ne s’en mêle. On a aussi organisé plusieurs activités sportives. Plutôt que de flâner dans les rues, c’est une belle alternative pour nos adolescents. Saint-Michel était très dur il y a 10 ou 15 ans, c’est maintenant un endroit paisible où il y a beaucoup de familles», ajoute-t-elle.
La Maison a aussi formé un club exclusivement réservé aux adolescentes. «Elles peuvent participer à des activités artistiques et culturelles. Mais il y aussi des discussions sur des sujets sérieux comme le racisme ou l’excision. Les jeunes filles ont la liberté de poser toutes les questions qu’elles veulent», précise-t-elle.
On ne peut pas parler de la Maison d’Haïti sans revenir sur le séisme de 2010. L’organisme venait de rouvrir après deux semaines de vacances pour les Fêtes. «Les gens sont venus immédiatement vers nous pour avoir des nouvelles. Au lieu de les retourner chez eux, on a décidé de se transformer en centre de crise», dit-elle.
Marjorie Villefranche garde de cette tragédie le souvenir de deux communautés, haïtienne et québécoise, très unies.
«On a réalisé que nous étions tous des frères, des soeurs. Nous étions en deuil, mais vous aussi. Il y avait énormément de Québécois en Haïti. La province est très attachée au peuple haïtien. Une soixantaine de bénévoles débarquaient à nos bureaux chaque jour pour offrir leurs services. Et la majorité était des Québécois de souche», souligne-t-elle.
Maintenant, la directrice planche sur de nouveaux projets. Elle voudrait construire un nouvel immeuble sur le terrain situé tout juste à côté. La Maison d’Haïti manque cruellement d’espace. La moitié de ses activités se donne maintenant dans des locaux prêtés par la Ville.
Martin Beausejour