«J’étais avec mon cousin devant le magasin de son père», se souvient le jeune homme natif de la République dominicaine, qui vit depuis l’âge de 8 ans à Washington Heights, le quartier de Manhattan situé au nord de Harlem. «Soudain, un type passe devant nous en courant. Puis, quelques instants plus tard, un policier surgit de nulle part en pointant son arme sur nous et en criant: «Ne bougez pas!»»
Domingo Estavez était sur le point de faire connaissance avec une pratique de la police de New York appelée «stop-and-frisk», qui est aujourd’hui de plus en plus contestée. Sous prétexte qu’il correspondait au signalement d’un jeune homme armé en fuite, le policier allait l’interpeler, l’interroger et le fouiller.
«Je portais une camisole. C’était facile de voir que je n’étais pas armé», dit-il.
Domingo Estavez estime avoir été soumis à des contrôles policiers du même genre une dizaine de fois depuis l’âge de 14 ans. «Mais tu n’oublies jamais la première fois que tu vois le canon d’une arme à feu pointé vers toi», dit-il.
Le jeune homme faisait partie hier après-midi des milliers de New-Yorkais qui ont défilé silencieusement le long de la 5e Avenue pour protester contre le programme «stop-and-frisk» du New York Police Department (NYPD), en vigueur depuis 2002.
Selon ses défendeurs, cette pratique a contribué à la baisse importante de la criminalité à New York en permettant aux policiers de réduire le nombre d’armes à feu illégales en circulation dans les rues de la ville.
«Nous n’abandonnerons pas une stratégie dont nous savons qu’elle sauve des vies», a déclaré dimanche dernier le maire de New York, Michael Bloomberg, en s’adressant aux fidèles d’une église noire de Brooklyn. «En même temps, nous devons aux New-Yorkais de nous assurer que les contrôles sont effectués d’une façon adéquate et respectueuse.»
Selon ses critiques, la pratique de «stop-and-frisk» contrevient d’abord au 4e amendement de la Constitution américaine, qui protège les citoyens contre des perquisitions et des saisies non motivées. Mais elle institutionnalise également le profilage ethnique.
Les données brutes semblent leur donner raison. En 2011, les policiers new-yorkais ont effectué 684 330 contrôles dans le cadre du programme «stop-and-frisk», une augmentation de 600% par rapport à la première année de Michael Bloomberg à la mairie de New York, en 2002. Parmi ceux qui ont été visés par cette tactique, 87% étaient des Afro-Américains ou des Latinos, la grande majorité d’entre eux des jeunes hommes, et 96% ont été relâchés sans avoir été inculpés.
Les Afro-Américains et les Latinos représentent 23% de la population new-yorkaise.
Le maire Bloomberg et le chef de la police de New York, Raymond Kelly, se défendent de tolérer le profilage ethnique. Ils font valoir en outre que les contrôles effectués en 2011 ont permis aux policiers de récupérer 8000 armes, dont 800 revolvers et pistolets.
Leur position a cependant été ébranlée le mois dernier par la décision d’un juge fédéral d’autoriser une poursuite en recours collectif contre la ville de New York et le NYPD. La plainte avait été déposée en 2008 par le Centre des droits constitutionnels au nom de quatre New-Yorkais, dont Lalit Clarkson, un enseignant adjoint dans une école du Bronx, qui a été soumis à un contrôle par deux policiers le soupçonnant d’être en possession de drogues. Il avait alors 30 ans.
Le programme «stop-and-frisk» a également pesé dans la décision du gouverneur de New York Andrew Cuomo de présenter, il y a deux semaines, un projet de loi visant à dépénaliser la possession «en public» de 25 g de cannabis(maryjuana). Ce changement, s’il est accepté par les parlementaires new-yorkais, mettra fin à l’inculpation des personnes qui exhibent «en public» de petites quantités de cannabis après avoir été sommés par des policiers de vider leurs poches dans le cadre d’un contrôle.
Le maire et le chef de police se disent en faveur de la proposition du gouverneur Cuomo. Ils ont aussi promis des changements dans le programme «stop-and-frisk» afin de s’assurer que tous les contrôles soient justifiés.
Mais les critiques de cette pratique, y compris Domingo Estavez, ne seront pas satisfaits tant que celle-ci ne sera pas abolie.