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Racisme en Haiti : « Dessalines/Pétion, pour le meilleur et pour le pire… » Par Hérold Jean-François

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Quand on a grandi dans le nord d’Haïti, au début des années 1960, où la population est plus homogène que dans certaines autres parties du pays, on a la chance de ne pas être traversé par les clivages sociaux et les préjugés de couleur qui empoisonnent depuis toujours l’histoire des relations entre les classes sociales haïtiennes.

UN PROBLÈME TRÈS ACTUEL…

Mais si ce problème ne nous a pas affecté depuis le berceau, il est un fait que les préjugés de couleur existent malheureusement bel et bien dans notre société et que les ignorer serait faire preuve d’enfantillage. Nous avons assez bien observé les réalités haïtiennes pour comprendre l’acuité de ce problème qui relève de la plus grande stupidité si l’on relit tout simplement l’histoire des luttes qui ont enfanté notre pays. Les préjugés sont là, sous-jacents, à l’état latent, leur expression est étouffée par la manière sanglante dont François Duvalier les a neutralisés. Le profilage est une réalité de tous les jours, Nicole Siméon, qui en a été victime dans un supermarché à Pétion-Ville, nous en avait offert, il n’y a pas si longtemps, une bonne illustration. Dans ce domaine en Haïti, c’est comme dit le proverbe créole « chat konnen, rat konnen… »

Dans leur stupidité, certains éléments mulâtres continuent de croire profondément en leur supériorité quand ils investissent un lieu public, ils sont gonflés et traitent avec condescendance toute personne ne faisant pas partie de leur groupe social…Et quand, en face, se trouve une personne au teint foncé qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui refuse à bon droit les prétentions injustifiées de son stupide interlocuteur, on est parti pour des prises de gueule, des affrontements, des batailles rangées comme on en a connus dans les clubs et lieux de spectacles de la capitale et des autres villes du pays… Certains éléments du groupe mulâtre, de par leur positionnement à l’échelle sociale, prétendent à la propriété exclusive du pays; or, nous savons tous que la notion de propriété est bien ancrée dans l’esprit de chaque Haïtien qui pense que ce bout de territoire lui appartient à lui tout seul. Touchez au bien de quelqu’un en Haïti, et les machettes sont tirées, la justice est actionnée et on entre dans des procès interminables…Les conflits terriens dans l’Artibonite et ailleurs sont de bonnes illustrations de cette mentalité.

L’arrogance de membres de cette entité n’a pas favorisé le rapprochement social pour une cohabitation dans la convivialité qui aurait évolué vers un pays capable de faire la fusion dans la nation comme l’avait rêvé Louis Joseph Janvier, en son temps… Cependant, il ne faut surtout pas généraliser. D’autres membres issus de cette classe sociale sont bien à l’aise au milieu des autres groupes sociaux, ils participent activement à la vie nationale et entreprennent des initiatives fédératrices. La transition démocratique, le grand mouvement démocratique et populaire ont révélé des figures marquantes de la classe mulâtre, impliquées au plus haut niveau dans la vie politique.

DIFFICILE À CROIRE

Vue aerienne de Petionville…

Dans un autre contexte, on nous rapporte ce que nous pouvons difficilement croire. Certains clubs à Pétion-Ville refuseraient l’accès aux personnes au teint foncé. Si cela pouvait se confirmer, le parquet devrait fermer ces boîtes, purement et simplement sur plainte des victimes ou même juste par la dénonciation de la clameur publique. Haïti est un pays avec une majorité de Noirs, une minorité de mulâtres et très peu de Blancs. Une réalité de clubs réservés est impossible à admettre, nous devons rejeter cela avec la dernière intolérance.

Nous connaissons cette situation en République dominicaine où régulièrement des incidents éclatent quand on refuse d’admettre des Noirs dans des clubs. Il n’y a pas trop longtemps, un diplomate noir des États-Unis refusé d’accès à un club branché de Santo Domingo a provoqué un véritable scandale ayant débouché sur la fermeture de cette boîte. La première République noire du monde ne saurait abriter de clubs ou lieux fermés où l’on refuserait l’accès au groupe majoritaire. Ceci est contraire à l’histoire du peuple haïtien.

Et nous continuons avec une déconcertante réalité d’une société de murs où l’on se croise en s’ignorant les uns les autres…L’apartheid est un phénomène plus profond qu’on ne le croit en Haïti, où il y a autant de pays que de citoyens, chacun se croyant à lui seul Haïti dans les espaces desquels, on observe de multiples expressions d’individualisme constituant les tares et blocages qui font de nous un peuple particulier évoluant dans un pays bordélique…

QUAND LE RACISME NEUTRALISE LA SOLIDARITÉ

Comment après, pouvons-nous, sans hypocrisie, trouver la nécessaire légitimité pour constituer un faisceau contre l’expression de racisme et de rejet dont sont l’objet, chez nos voisins, nos compatriotes et les descendants d’Haïtiens. Comment pouvons-nous prétendre à l’unité pour faire face à cette situation qui est une gifle à l’identité haïtienne ? D’ailleurs, depuis le 23 septembre 2013 et la scandaleuse décision de la Cour constitutionnelle dominicaine contre plus de quatre générations de descendants d’Haïtiens ayant la nationalité dominicaine, avons-nous vu en Haïti de monstrueuses manifestations pour dénoncer le racisme dominicain contre l’identité haïtienne ? Ne pouvons-nous pas dire, dans ce cas, que la réalité de préjugés de couleur et de racisme d’ici neutralise l’expression du rejet du racisme de là-bas ?…

Deux cent dix ans environ après l’Indépendance, Haïti n’a pas évolué de beaucoup par rapport à la situation de clivages qui ont imprimé le rythme de vie de la société saindominguoise. L’histoire est riche et abondante en conflits inter-ethniques dans Saint-Domingue mettant face à face les Bancs et les mulâtres, ces derniers et les affranchis, ceux-là et les nouveaux libres et pour notre malheur, les croisements entre les différents groupes ont produit un ensemble de onze catégories raciales et 128 variétés de couleurs dans la colonie, selon Moreau de Saint-Méry dans son livre « Description de la Partie Française de Saint-Domingue», paru en 1797.»

VISA D’ENTRÉE

Petionville…

La question de couleur est plus vieille sur nos terres que la République d’Haïti. Mais depuis l’Indépendance, on n’a pas fait assez d’efforts pour fusionner la nation, ce qui a produit une réalité de multiples nations dans la nation, la situation ayant empiré depuis que Louis Joseph Janvier a fait, au début du XXème siècle, son malheureux constat de « deux nations dans la nation.» Le pays est comme un ensemble de ghettos, véritables fiefs et territoires protégés dont l’accès est conditionné à un visa virtuel. C’est Liliane Pierre-Paul qui nous rappelle la situation de la crise de 2001-2004 où la caravane du Groupe des 184, pour avoir accès à Cité Soleil, avait dû avoir l’accompagnement de leaders populaires de l’époque, natifs de la zone. Et cela ne s’est pas passé sans incident.

Aujourd’hui, en novembre 2013, ceux qui se revendiquent de Dessalines perçoivent Pétion-Ville comme un ghetto exclusif à prendre d’assaut…Le pays a besoin d’être fusionné pour que chacun de nous puisse, sans crainte aucune, et surtout sans aucune sorte de complexe, à tout moment, circuler à son aise, dans chaque mètre de son territoire. Nous avons besoin d’agir en toute bonne foi et en toute sincérité pour faire tomber les barrières et les frontières imaginaires ou réels qui nous empêchent de penser que nous sommes citoyens à part entière d’un seul pays, d’un seul espace, sans exclusive.

Les préjugés de couleur sont un thème récurrent dans notre histoire, il a toujours été, une arme entre les mains de politiciens qui ont été avec des couches bâtardes d’une certaine oligarchie, les champions de l’apartheid social duquel notre société semble incapable de se dépouiller. D’ailleurs, pourquoi s’attendre à voir disparaître une situation dans laquelle les tenants se trouvent on ne peut plus confortables ?

Pour aboutir à l’indépendance, Toussaint, Dessalines, Pétion, Christophe et les autres chefs ont pu transcender le venin que représente la question épidermique pour sceller l’union des Noirs et des mulâtres et vaincre les forces expéditionnaires françaises. D’ailleurs, avant les politiciens haïtiens dans la nouvelle nation, la France a joué sur cette réalité des couleurs pour diviser les acteurs locaux et maintenir ses prérogatives sur la plus riche de ses colonies. Les envoyés spéciaux, Sonthonax, Roume, Hédouville et les autres, ont essayé d’opposer les chefs de la révolution haïtienne pour empêcher l’unité sacrée contre la métropole. On se souvient de l’opposition entre Toussaint et Rigaud, des inimitiés entre Toussaint et Biassou et de toutes les luttes ayant opposé entre elles les classes sociales de Saint-Domingue. Après l’indépendance, cela a continué entre Christophe et Pétion suite au parricide de Desssalines et depuis, on a eu droit à maintes illustrations de cette sottise qui continue à faire recette aujourd’hui en 2013…

PÉTION ET DESSALINES À NOUVEAU FACE À FACE

Jean-Bertrand Aristide et sa femme Mildred Trouillot

Les chants de sirène provenant de la bouche de leaders de la mobilisation populaire contre l’actuel pouvoir, la projection d’une nouvelle opposition entre les descendants de Pétion et ceux de Dessalines nous inquiètent au premier chef. Nous savons bien que la soi-disant haine des Noirs contre les mulâtres a ses limites, quand nous avons vu que les tenants du discours de classe de la « Révolution de 1946 », les « authentiques » dormaient dans les draps de rutilantes et pétillantes mulâtresses, quand ce ne sont pas des blanches, purement et simplement qui sont devenues leurs épouses. Cela s’est même illustré avec le mouvement de la négritude où des personnalités de référence du mouvement ont pris pour femmes, des blanches qui leur ont donné une progéniture « améliorée »…

Aujourd’hui, en Haïti, le discours voulant opposer une fois de trop Dessalines à Pétion relève de la plus pure hypocrisie. Depuis longtemps déjà, Pétion et Dessalines dorment l’un dans les bras de l’autre à un point tel que leurs enfants ressemblent plus au premier qu’au deuxième, pour le bonheur du parent complexé…

PRÉJUGÉS DE COULEUR, RETOUR AUX SOURCES

Le president Elie Lescot (1941-1946),avec canne et chapeau, entouré de quelques membres

de son cabinet et du haut Etat-Major des Forces Armées d’Haiti (FAD’H)

Cependant, on doit constater que le retour au discours de classe n’est pas le fait d’un accident. L’actuel pouvoir, dès son inauguration, a commencé à montrer les couleurs. Et remonte à l’esprit, immanquablement, la période de la présidence d’Élie Lescot qui a consacré la prépondérance des mulâtres dans les sphères de décision, ce qui a déclenché un mouvement de réaction porté par des écoliers de la capitale, ayant débouché sur ce qu’on a appelé « la Révolution de 46 »… Il paraît que le « beau monde » invité au dîner de la victoire pour inaugurer le règne « tèt kale » ressemblait à une illustration d’une photo en noir et blanc d’une fête lescotienne où les « visages pâles» dominaient…Par ailleurs, les premières nominations dans la fonction publique indiquaient claire-ment la tendance…

Et certaines alliances construites, les amis autour du président, une certaine propension à la blancheur sont autant de faits qui ont réveillé les soupçons légitimes des secteurs populaires qui ont, à leurs dépens, toujours vécu l’exclusion fatale dénoncée par Dessalines et qui lui a valu la mort. Il ne faut pas non plus oublier le discours du chef de l’État lui-même très porté à traiter ses opposants de pauvres, de « ti avoka pòv », « ti malere » par opposition à lui et aux membres de sa famille qui seraient des « millionnaires »… La lutte des classes, de ce point de vue, est alimentée avec légèreté, au sommet de l’État.

BESOIN DE DISCERNEMENT…

La vedette dominicaine du baseball Sammy Sosa, avant et apres…

Le pays devait-il pour autant perdre sa sérénité ? Si certaines personnes ou un secteur du pays a fait des choix anachroniques, c’est-à-dire sans avenir, nous devons avec fermeté et détermination les remettre à leur place, leur indiquer l’heure et la date, pour qu’ils se réveillent et faire face à la réalité du jour. Nous devons faire attention aux messages et identifier les messagers. Si comme on vient de le démontrer, la question de couleur n’a pas perdu un iota de sa force, il ne faut pas pour autant nous laisser mobiliser sur de fausses consignes pour permettre aux mauvaises personnes défenderesses de causes personnelles et occultes de nous entraîner sur les mêmes sentiers battus qui ont fait, par le passé, tant de mal à l’unité nationale…

Le moment exige toute la maturité du mouvement démocratique et des forces du changement pour une concentration d’énergie et de veille sur les vrais dangers. Nous ne devons pas nous laisser dévier sur de fausses pistes par des voix intéressées, des imposteurs dépourvus de légitimité et démasqués depuis longtemps déjà… S’il s’avère que la question de couleur est instrumentée consciemment par le pouvoir au détriment des plus capables, encore une vieille thèse qui a donné lieu à des oppositions fracassantes, la société prendra les moyens pour remettre les pendules à l’heure juste. En attendant, montons la garde pour éviter que les mauvais messagers ne nous entraînent sur la pente glissante de mauvaises causes, avec un potentiel de dégâts qui provoqueront de nouvelles blessures sur le corps de la République déjà couvert de malingres…

Herold Jean-Francois est le directeur de Radio Ibo émettant a Port-au-Prince

Ce texte a été diffusé initialement à l’émission Questions/Réponses sur Radio IBO 98,5 FM Stéréo, le vendredi 15 novembre 2013.

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