«Je suis outrée de constater cette nouvelle tentative de réhabilitation de la dictature et de soutien éhonté à l’impunité», a réagi la journaliste Michèle Montas.
L’ancienne porte-parole du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon s’est dite «révoltée en tant qu’Haïtienne que sous couvert d’une des dates les plus sacrées de notre histoire de peuple, on brandisse de nouveau cet étendard galvaudé d’une réconciliation sans justice, faite de faux semblants et de banalisation des crimes et de la corruption».
«J’ai voulu rassembler à mes côtés (…) tous les anciens présidents qui vivent dans le pays pour montrer que même si nous avons des différences, nous pouvons nous réunir pour répondre à notre devoir lorsque l’intérêt du pays est menacé», avait justifié le président Michel Martelly saluant la présence de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier et de l’ex-général putschiste Prosper Avril à la tribune officielle le 1er janvier.
Les autres présidents invités – dont Jean-Bertrand Aristide et René Préval – n’étaient pas présents. «Leurs places sont là et les attendent», avait ajouté le président Martelly.
«S’entourer d’une telle compagnie est dégradant pour les Pères de la patrie. C’est une insulte aux victimes de la dictature des Duvalier (1957-1986) père et fils», a commenté le cinéaste Arnold Antonin.
Antonin, qui vient de sortir un documentaire intitulé Le règne de l’impunité en Haïti et qui couvre la période de la dictature, juge que la présence de Duvalier à une cérémonie officielle alors qu’il est poursuivi par la justice, vide de son sens le mot réconciliation.
«Une participation provocatrice»
«C’est une aberration. La réconciliation ne peut être fondée que sur la justice et la vérité», a soutenu Antonin, interrogé au téléphone par l’AFP.
Intervenant dans la ville des Gonaïves où fut proclamée en 1804 l’indépendance d’Haïti vis-à-vis de la France, le président Martelly avait appelé à l’unité des Haïtiens afin de reconstruire Haïti.
Nicole Magloire, une ancienne détenue et exilée de la dictature s’est elle aussi dite «choquée» de voir l’ex-dictateur Duvalier inviter avec les autres présidents à une cérémonie officielle. «Ce qui me frappe c’est l’invitation lancée à la fois aux présidents élus légitimement et à ceux qui ont été illégitimes. Je ne vois pas ce qu’un ancien dictateur illégitime vient faire à la cérémonie de la fête de l’indépendance», s’est étonnée Nicole Magloire qui a témoigné dans le procès contre Duvalier.
La présence de «Bébé Doc» aux cérémonies du 1er janvier a reçu le même accueil de l’écrivain haïtien Robert Berrouet-Oriol, qui vit au Québec: «Nous sommes en présence du retour à visage découvert du duvaliérisme au pouvoir d’État avec la participation éhontée, provocatrice, de Jean Claude Duvalier aux cérémonies officielles marquant l’anniversaire de l’indépendance d’Haïti».
En revanche, Evans Paul, leader d’un parti politique d’opposition, pense que la démarche du président Martelly n’empêchera pas la justice de faire son travail. «Jean-Claude Duvalier a un statut d’ancien président comme les autres. Toutes les autres considérations viennent après», a soutenu Evans Paul, estimant que certains des successeurs de Duvalier n’avaient «pas fait mieux que lui». «Je suis en faveur d’un dialogue inclusif, surtout avec les gens qui ont des divergences», a-t-il indiqué.
Chassé du pouvoir en 1986 par un soulèvement populaire, Jean-Claude Duvalier est revenu en Haïti en janvier 2011 après 25 ans d’exil en France. Il est poursuivi par la justice pour crimes contre l’humanité et détournements de fonds.