« La république téméraire »par Serge H. Moise
Serge H. Moise
Le premier janvier de l’an de grâce mil huit cent quatre, une horde de Nègres égarés dans la zone caraïbéenne, infligèrent à l’ordre mondial une redoutable remontrance qui devait se révéler une avancée certaine en matière de droits humains.
En effet, ces bêtes de somme, taillables et corvéables, conformément à la bulle du pape Nicolas V en mil quatre cent cinquante quatre et du code noir de mil six cent quatre-vingt cinq, selon l’édit du roi Louis XIV de glorieuse mémoire, repris en mars mil sept cent vingt-quatre par son successeur Louis XV toujours de glorieuse mémoire, ces êtres trop noirs pour avoir une âme, selon la civilisation des lumières, ont dit non à l’ignominie du système esclavagiste.
Mais la témérité a un prix. Tant s’en faut qu’il ne sera jamais tout à fait payé puisqu’après les quatre-vingt dix mille francs or, la métropole et les autres pays amis ne semblent pas vouloir donner quittance pleine et entière.
Toujours en quête d’on ne sait quels reliquats, ils n’hésitent pas à utiliser leur « droit d’ingérence », créant à l’occasion des turbulences aux fins d’envahir, manu militari, et y mettre bon ordre au nom de la démocratie moderne. Personne n’est dupe mais qu’à cela ne tienne!
Ils soutiendront les dictatures obscurantistes, fomenteront des coups d’état téléguidés au gré de leurs caprices et intérêts, avec le précieux concours des nationaux qui n’ont pas renoncé aux liens de la colonisation.
Ainsi seront écartés sinon assassinés : Sylvain Salnave, Dumarsais Estimé, Daniel Fignolé, Louis Déjoie, Gérard Gourgue et tout récemment Leslie Manigat, tout comme ailleurs, Patrice Lumumba, Mouammar Kadhafi et Laurent Gbagbo, pour ne citer que ceux-là.
Et comme il n’y a pas plus aveugles que ceux qui ne veulent pas voir, il ne manque pas « d’oréos » pour contester ave véhémence la réalité palpable et tangible de ce complot monstrueux qui constitue une honte pour l’humanité tout entière. Retenons qu’à ce chapitre, les travaux du Dr Edward L. Bernays et de Walter Lippmann en disent plutôt long sur les techniques de manipulation en démocratie.
Jalouse de son indépendance conquise au prix du sang de ses filles et fils qui avaient juré de vivre libre ou de mourir, cette jeune république qui n’aspirait qu’à vivre dignement, ni plus ni moins, fut perçue comme étant une menace pour la région, le mauvais exemple à réprimer, en tous temps et par tous les moyens.
Dès lors tout a été mis en place pour que l’ordre et la paix n’arrivent pas à régner sur ce petit coin de terre. Là où les armes ne sont plus efficaces, les techniques de manipulations les plus sophistiquées seront mises à profit. Aucun effort ne sera ménagé pour détruire lentement mais sûrement toute trace identitaire et pour y parvenir sans coup férir, l’instrument de domination par excellence déploiera son arsenal de rêves, croyances, certitudes et bondieuseries au-delà de tout entendement.
Et puis, il faudra les éduquer, ces nègres turbulents, leur inculquer les notions de civilisation et de culture, celles du maître évidemment, auquel cas, il serait plus approprié de parler de dressage plutôt que d’éducation. Les écoles sauront s’y mettre et de belle façon. Interdiction de s’exprimer dans la langue maternelle, la religion ancestrale est à toutes fins pratiques diabolisée. Il faut donc parler comme le maître, s’habiller comme le maître, s’évertuer à penser comme le maître, en d’autres termes, singer du matin au soir pour être bien vu et accepté.
Force est de constater que le tout a très bien réussi auprès de ce qu’il conviendrait d’appeler les « élites » plus ou moins lettrées.
En effet :
Très forts dans la récitation
Mais faiblards en réflexion
Ils t’entretiennent de Platon
À la manière d’un Aliboron
Deux cent dix ans après, les séquelles sont de plus en plus vivaces au point que les « tenants du savoir » s’entredéchirent au nom de leurs très chers « ancêtres gaulois ». Pourtant, des fils authentiques de la patrie ont essayé de tirer la sonnette d’alarme depuis belle lurette, si on se réfère aux travaux de Jean Price-Mars, de Kléber G. Jacob et plus près de nous Hervé Fanani Lemoine dans son Face-à-face autour de l’identité haïtienne.
La descente aux enfers, depuis la proclamation de l’indépendance et l’assassinat de l’empereur, est telle, qu’elle frise aujourd’hui, la faillite de la nation tout entière.
Inutile de reprendre la liste exhaustive des faiblesses et lacunes responsables de cette situation catastrophique. Elles sont connues depuis belle lurette. La grande question qui demeure, hélas, sans réponse est celle-ci : Pourquoi diantre, rien n’a été fait à ce jour, pour tenter de corriger le tir?
Faute de réponse appropriée, un pasteur chrétien des États-Unis d’Amérique a partagé une de ses révélations en affirmant, sans broncher, que la jeune et turbulente république faisait l’objet d’une malédiction divine. On en a déjà vu et entendu bien pire!
Cette haïtianophobie, à doses infinitésimales inoculées dans le corps social, toutes strates confondues, reste et demeure un énorme défi pour les générations futures qui auront à réaliser cette révolution culturelle dont l’impérieuse nécessité se fait sentir depuis longtemps déjà.
L’âme haïtienne est endormie mais elle n’est pas morte. L’idéal des pères fondateurs est encore vivace dans le cœur de ces jeunes qui savent qu’ils représentent l’avenir du pays, lequel se construira dans l’action concrète et non les belles et tonitruantes palabres.
Ainsi, dans un avenir prévisible, la république téméraire réalisera le miracle haïtien en redevenant, et cette fois pour de bon, souveraine, belle et prospère.
Serge H. Moïse av.
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