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Nemours est sans doute la figure la plus emblématique, la plus adulée et, aussi la plus controversée de la musique haïtienne moderne. Et pourtant, comme tous les grands de toutes les époques et de partout; il n’avait qu’une idée, faire de la musique. Et même s’il s’est révélé parmi les plus doués de sa génération, il sera ainsi dans la foulée d’une pléiade d’innovateurs. Il est aussi le baroudeur chargé de déblayer le terrain pour se placer impérialement à l’avant-garde d’une époque sans précédent, d’où il a su mettre en oeuvre son génie pour nous gratifier du « konpa dirèk », le plus dansé des rythmes urbains du terroir.
Ainsi différemment des: Chuck Berry, Little Richard etc; ces initiateurs du rock & roll qui se sont fait approprier de leur invention, Nemours lui même assuma la responsabilité de sa progéniture dès les premiers balbutiements. Même si son impact fut aussi minimisé par ses compétiteurs de l’époque, jaloux sûrement qu’il leur ait volé la vedette; cherchant même à confondre astucieusement le public sur la vraie origine du « compas-direct ».
Durant la deuxième décennie du 20e siècle; un nouveau roi naquit à la rue des Fronts Forts. Quartier d’anciens combattants, chevaliers sans peur..; sambas et simbies, conquérants et aspirants. Et d’un pionnier de souche, en effet l’ombre de Mr François Guignard, maître musicien, domine le voisinage du petit Nemours. Car entre ses multiples responsabilités familiales. « père Guignard » s’attelle aussi à la revalorisation de la musique de climat, avec son groupe bastringue Jazz Guignard. C’est encore un instructeur scrupuleux, musicien polyvalent et un initiateur d’envergure qui fabrique un petit banjo, qu’un seul gosse de la cour a eu l’audace de le jouer.
C’est Nemours, proche ami de son fils Aîné Félix « féfé » Guignard. Son père cordonnier travaille pour l’éduquer en compagnie de son frère Monfort et de sa soeur Altagrace. Entre temps, l’adolescent Nemours s’applique aux études et pratique occasionnellement le métier de coiffeur. Tout en continuant avec « Féfé » un duo de trouvères, doté de banjo et d’accordéon qui s’en va sérénader différends recoins du pays. Il continue à traîner dans l’entourage du Jazz Guignard attendant son heure, où, il côtoie copieusement le guitariste Antoine Duverger, le saxophoniste Victor Flambert et des proches comme Antoine St Armant et Chardavoine.
Ses randonnées buissonnières l’emmènent aussi aux Cayes dans un bref « stint » avec le groupe de Barrateau Destinoble pour lequel il gratte les cordes. Il en profite sous le contrôle de ce dernier de continuer à familiariser avec le sax. Sa première initiative personnelle fut le Trio Anacaona avec lequel il prouve sa capacité de « strings man » (homme des cordes »).Mais déjà il est plus intéressé à se montrer en souffleur, avec la possibilité de se mettre en vedette et d’être mieux rémunéré. L’occasion se présenta lorsqu’il est appelé à rallier l’ Orchestre Atomique avec son meneur le claviériste Robert Camille et son chanteur-vedette Joe « atomik » Lavaud.
Malgré tout, il finit par s’imposer en maestro et, pour n’en vouloir faire qu’a sa tête, il est éjecté du groupe par un noyau constitué de son frère, le contrebassiste Monfort, sous la menée du trompettiste Kesnel Hall. Cette affaire tourna au chaud, lorsque c’est sous la demande d’un tribunal, que le maestro novice rendit le sax alto qu’il avait confisqué. Amer, il s’en va former l’Atomique Junior; Sahieh, bien que cette tentative émotionnelle fut de durée éphémère. D’un coup, pistonné par Issa, il atterrit dans l’Orchestre Citadelle qu’il finit par abdiquer le contrôle. Inassouvi, il recrute Gérard Dupervil (voix et piston), son jeune protégé Wébert Sicot (sax, trombone) et entre autres, le superlatif Antal Murat dans son fameux Conjunto Internacional, dans l’exploration des couleurs afrolationes.
Mais on est en plein coeur de l’épopée indigéniste et le groupe éclata après le désistement collectif dont fut responsable son grand ami Antalcidas Oréus Murat. Dès cet instant, il promit de faire des vagues à Antal et aussi à Saint Aude qui le lui a chipé pour le compte du Jazz des Jeunes. A l’étape subséquente, il s’associe à Jean Numarque, propriétaire de boite de nuits et homme-orchestre à ses heures, qui l’offre un cadre attrayant à Kenscoff, pour expérimenter de nouvelles approches. A ce carrefour, il se sert de Frank Briol, Julien Paul, Louis Lahens, Walter Thadal, les Frères Mozart et Kretzer Duroseau etc. Mais le succès ne se fait pas attendre et Nurmarque inaugure un nouveau night club à Mariani, baptisé « Aux calebasses » avec son plafond au décor bucolique, fait de « calebasses » multicolorées, qui devint le fief du chef d’orchestre autodidacte, et d’un maestro désormais conquérant. Il y installe son Ensemble aux calebasses déjà à l’entame de quelques flots. En s’imposant en chef de file, pour faire triompher l’originalité dans un climat enrichi de pluridimensionnalité.
Ce fut donc la conquête du » danse kare » une variante de l’ancien carabinier, (cher au fondateur de la patrie), mué en meringue, à laquelle Nemours apporta d’autres innovations que les fans appelèrent tout simplement rythme aux calebasses. Mais qui ne fut rien d’autre que les premiers balbutiements du konpa dirèk. Nouveau rythme trépidant qui alla déboucher sur une symbiose du tempo ternaire de souche autochtone. Une meringue syncopée à subdivision binaire, d’orientation simplifiée, dite une-deux sans aucune autre interférence d’une troisième mesure. La désignation de ce vocable pour identifier ce rythme fut pour la première fois utilisé par le trompettiste René Diogène venait consulter, concernant une partition difficile à appréhender.
C’est alors que Nemours qui était présent, se vanta de sa nouvelle formule qui n’avait rien de compliqué. Avec son utilisation du tambour, comme vecteur moteur. Diogène répliqua: toi tu n’as pas à t’en faire, tu ne joues que du « compas ». Ce que le maestro allait lui même apprécier, en adoptant ce nom sur le champ. Autre innovation de Nemours: l’introduction du « Gong ». A la manière de la Grosse Caisse de musique bastringue par voie martiale. Il servait au découpage du tempo, le modifiant chaque fois qu’il tombait dans l’ornière. Tandis que le tambour exprimait la conception rythmique. L’identification tonale du 5/3, sans coda.
Nemours fut aussi le premier à intégrer les instruments amplifiés, dont la basse et guitare électriques, jamais encore utilisées dans le music hall local. Au lieu de célébrer ses innovations, ses concurrents le taxèrent d’imposteur. Mais, continuant allègrement son chemin, le maestro n’en démordit point, il était convaincu d’avoir trouvé les formules d’un public qui lui sut gré d’avoir livré la marchandise au moment opportun. En effet, dès 1955, le konpa était lancé à la conquête de toutes les couches sociales du pays. Entre-temps c’est la rupture avec Jean Numarque, et le maestro introduit pour la première fois son ensemble le 29 juillet 1955, sur la place Ste Anne.
Flanqué de Kretzer, Mozart, Richard Duroseau Thadal, Tallès, Briol, R. Gaspard, Domingue, Napoléon, D. Boston, Lahens, P. Blain etc. Cependant, comme tout nouveau conquérant, il était sans cesse en butte aux assauts des compétiteurs. D’abord le Jazz des Jeunes qu’il avait lui même antagonisé parce que la bande à Saint Aude était d’un niveau supérieur, comme le ghota de la polyrythmie locale. Dans un répertoire constitué de: raboday, mayi yanvalou, pétro, banda, meringue, congo, boléro. Ainsi que dans des excursions exotiques. Puis de Webert Sicot qui l’attaqua en premier, en voulant profiter lui même du momentum qui allait faire du konpa dirèk la vague dominante.
Contrairement à ce qu’avanceront les puristes, l’émergence du konpa fut une percée positive à une époque où la scène musicale haïtienne regorgeait de talents. Une abondance de grands musiciens et de groupes, tel le Jazz des Jeunes, explorait les richesses des rythmes ancestraux. Ainsi que d’autres groupes d’envergure comme: Le Riviera,El Rancho,Citadelle, El Sahieh etc., qui rayonnaient d’excellence.
Le konpa de Nemours vint freiner la vogue des musiques cubaines et dominicaines, toutes équipés de leur armada moderne qu’on dansait sans coup férir dans les salons. Car à l’époque, les groupes locaux n’enregistraient presque pas, alors que s’écoulaient sur le marché local, les vinyls, 78 et 33 tours des groupes latins divers tels: La Sonora Matancera, Perez Prado, Celia Cruz le Tipico Cibeano de Angel Viloria avec son fandango; qui résonnaient des phonographes ou » pick ups » dominateurs des bals privés. Rejetant toute imitation servile, Nemours est allé au delà du folklorisme, avec une inclinaison marquée pour le show-business. Une approche similaire à celle qui se dessinait à la même époque aux Etats-Unis où le rock & roll faisait ombrage aux tendances: jazz, soul, be-bop, blues etc.
Ainsi, Nemours, musicien et compositeur de flair, multi-instrumentiste et showman, a vite compris tout cela, et bien mieux que personne. Il endigua le flot de paramètres d’outre-mer et, relégua à l’arrière scène les meilleurs musiciens du moment. Comme saxophoniste même s’il n’est pas de la catégorie des virtuoses, il se permettait quand même de longs solos, de son sax ténor. Son jeu basé sur la justesse et la fluidité du tempo avec, de surcroît, les accommodements essentiels d’un apport mélodique et rythmique firent de lui un maestro et arrangeur complet.Trônant allègrement, même à l’extérieur, il fit du konpa un rythme à part entière, au même titre que les multiples rythmes d’Haïti.
Après avoir régné durant un lustre avec son orchestre, Nemours devait faire face dès la fin des années 1960, à la montée des mi-jazz, qui éventuellement lui ravirent son public jeunot. Ayant eu administré ce revers au <<Jazz des Jeunes>>, il savait plus que personne ce que c’était que d’être talonné par une nouvelle génération. IL l’avait d’ailleurs déclaré à Wagner Lalanne: « l’essentiel, c’est de savoir se retirer à temps. » Plutôt que de se faire emporter par la vague mini, il décida de s’expatrier à New York en 1969. Aux « States » il trouva une communauté en gestation, que Raymond et Wébert Sicot, Raoul Guillaume (en exil) les Duroseau: Mozart et Richard etc., avaient déjà fait leur nid. Il forma un combo qui fit les délices de ses anciens admirateurs immigrés et exilés.
Notamment, au club « Casa Boriquen » de Brooklyn et « Casa Caribe » a Manhattan. il revint immédiatement au pays, usé, livré à lui-même, la vue endommagée. il essaya tant bien que mal de reconstituer un groupe sous le nom de « Super combo », et se payait même le luxe d’un ultime succès avec le morceau « Gason nou nan ka ». Mais ce ne fut pas le même enthousiasme chez les adeptes et les sérieux problèmes économiques, dus à l’absence d’un système de retraite ou d’assurance, n’étaient pas pour arranger les choses.
Quelques compatriotes essayèrent d’établir une souscription à son nom, dans le but de l’aider à couvrir les frais d’une intervention chirurgicale à l’étrager. Son et compétiteur des jours de gloire, Wébert Sicot, avec lequel il produisit un dernier album: « Union », l’accompagna dans cette dernière tentative de restaurer sa vision. Il finit neanmoins par sombrer dans la cécité.
Ce monument de la musique haïtienne connut une fin marquée de privations. La commercialisation de ses innombrables oeuvres aurait du lui donner une retraite paisible dénuée de tout souci matériel. Hélas, ce compositeur prolifique a été littéralement pillé: groupes et artistes dominicains et porto-ricains ont interprété ses compositions et la plupart, n’ont même pas eu la décence de les lui accréditer.
En léguant le konpa dirèk Nemours traça un chemin qui l’a amené dans la légende de la musique nationale par la grande porte. A l’instar d’un OccildeJeanty, le père de l’écriture orchestrale haïtienne, d’un A. Bruno, d’un J. Elie, ou encore d’un F. Guignard, d’un Sahieh, d’un Antal Cidas etc, il a été à la source de l’authenticité, de l’originalité et de la renaissance des rythmes natifs. Parmi tous ces géants qui ont montré la voie, Nemours fut l’un des plus déterminants. Il illustra une approche toute personnelle et fit la différence entre sophistication, inventivité et parfois même, l’austérité, des groupes: <<El Sahieh>>, <<Des Jeunes>>, et bien d’autres. Il y apporta tant de décontraction, d’intelligence et de facilité que du moment où il apparut avec sa « marque déposée », il a été le plus calqué, le plus suivi de son époque. Pour avoir inventé la grandeur, le style et une identification musicale ambiante du terroir, il demeure un innovateur hors-pair, l’architecte du rythme urbain le plus populaire d’Haïti.
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