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Le coin de l’histoire, par Charles Dupuy : Une semaine chez les Dominicains

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Je reviens d’un voyage de six jours en République dominicaine, un pays que je visitais pour la première fois de ma vie et voici les premières impressions que j’ai tirées de ce petit périple chez nos voisins, nos «Frères de l’Est», comme on disait autrefois. Après avoir atterri à Samana, je me suis rendu à Santo-Domingo, la capitale, en roulant sur une autoroute à péage. L’ami qui conduisait m’a expliqué que les autorités dominicaines veulent relier toutes les grandes agglomérations par la route avec des trajets ne devant pas dépasser les deux heures. C’est toutefois leur capitale, Santo-Domingo de Guzman, qui m’aura le plus impressionné durant ce court séjour. Imaginez une ville grouillante de vie avec ses embouteillages monstres, ses larges avenues, ses grands hôtels, ses immenses centres d’achat, son métro, son téléphérique et cela sans compter son aquarium, sa marina et son jardin botanique. Une agglomération en plein essor et tout à fait comparable aux grandes métropoles de la région caraïbe, Caracas, Bogota, Miami ou Panama city.

Santo-Domingo n’est pourtant pas la plus peuplée des villes du pays puisqu’il est maintenant largement dépassé, m’a-t-on dit, par Santiago de los Caballeros. Le tourisme aura été le principal moteur de cette prodigieuse expansion, de ce véritable miracle économique qu’a enregistré la République dominicaine au cours des dernières années. Les gratte-ciel se comptent par dizaines dans la capitale et tout aussi nombreux sont ceux en construction. Les travailleurs sur ces chantiers sont très souvent des Haïtiens. J’ai croisé plusieurs compatriotes dans les rues de Santo-Domingo où il n’est pas rare d’entendre parler le créole. À propos de la langue justement, disons que le Dominicain a l’avantage de parler l’espagnol, une langue très répandue en Amérique du Sud et dans la Caraïbe, tandis que l’Haïtien créolophone reste tout à fait isolé sur le plan linguistique.

         Selon les statistiques officielles, les Haïtiens seraient au nombre de 750,000 en République dominicaine. Des chiffres très certainement erronés puisque l’on estime généralement que les Haïtiens sont deux ou trois fois plus nombreux chez les dominicains. Au fait, la main-d’œuvre haïtienne est devenue indispensable à la croissance économique phénoménale qu’enregistrent nos voisins depuis deux ou trois décennies. Retenons que le taux de chômage en Haïti avoisine les 70% et que les revenus annuels par habitant sont de 2,900$ US. En comparaison, les Dominicains ont des revenus de 18,400$ US et un taux de chômage estimé à 5%. 

         Quatre-vingt-dix pour cent (90%) des étrangers qui vivent en République dominicaine sont des Haïtiens. La première zone de concentration de l’immigration haïtienne se situe dans le Nord-Ouest du territoire dominicain là où s’est développé une très dynamique zone agro-industrielle. Ces migrants se retrouvent aussi dans la capitale, Santo-Domingo, là où habite plus d’un Haïtien sur trois. On a observé ces derniers temps un glissement de la main-d’œuvre haïtienne des bateys sucriers (aujourd’hui totalement disparus) vers les nouveaux moteurs de l’économie dominicaine: les plantations d’agrumes, de riz et de fruits ou encore vers les complexes touristiques hôteliers. Les Haïtiens exploitent aussi des petits commerces, des petits bistrots où ils font jouer la musique haïtienne à plein volume. Signalons qu’à cause du récent conflit frontalier, l’État dominicain fait aujourd’hui des misères aux migrants haïtiens à qui l’on refuse systématiquement de renouveler le permis de séjour. 

         Traditionnellement, les officiels dominicains soutiennent que la population du pays serait composée de 20% de Blancs, de 20% de Noirs et de 60% de Mulâtres. Trujillo organisera la tuerie de 1934 parce qu’il craignait, disait-il, «l’africanisation» de son pays avec l’arrivée massive des paysans haïtiens qui s’étaient installés tout le long de la frontière nord. Pourtant, d’après ce que j’ai personnellement pu constater, la population dominicaine est noire dans sa très forte majorité. Il s’agit d’une population noire dans toutes les déclinaisons de nuances épidermiques qui se puisse imaginer. Les Dominicains se disent issus de l’union des Indiennes et des colons espagnols. Ils se prétendent donc Indiens et la culture Arawak est très valorisée chez eux, c’est très bien… mais le chauffeur de taxi, le guide touristique, le policier, l’officier d’immigration tout comme le marchand de souvenirs, la caissière au magasin ou le serveur au restaurant… tout le monde (ou presque) est noir dans ce pays.

 Palacio Nacional 

Selon Daniel Supplice qui fut notre ambassadeur à Santo-Domingo, 44,610 étudiants haïtiens fréquentent les universités dominicaines, autrement dit, il y a cinq fois plus d’étudiants haïtiens inscrits dans les universités dominicaines qu’il ne s’en trouve dans les universités haïtiennes. Les transferts d’argent pour payer la scolarité de ces étudiants s’élèvent à quelque 220 millions de dollars par année. Selon certaines sources, le nombre d’étudiants haïtiens en République dominicaine aurait même sensiblement augmenté au cours des dernières années. Notons ici qu’après le tremblement de terre de 2010, Santo-Domingo qui réclamait exactement les mêmes frais de scolarité aux étudiants haïtiens qu’aux ressortissants dominicains vient d’abolir ce privilège à cause du conflit frontalier. Conflit qui, du même coup, aura occasionné la fermeture de la zone franche de Caracol entraînant la perte de 10,000 emplois en Haïti.

         Signalons pour l’anecdote qu’après que le tremblement de terre de 2010 a détruit les installations du port de Port-au-Prince, les compagnies de navigation demandèrent aux autorités haïtiennes vers quel port il fallait diriger les centaines de navires en route vers Haïti. Sans hésiter une seconde Port-au-Prince indiqua qu’il leur fallait mettre le cap vers Santo-Domingo. Ces responsables avaient tout simplement oublié qu’au Cap-Haïtien il existe un port ultra-moderne construit aux frais de la République Fédérale allemande et qui est resté inactif pendant que tout le trafic maritime en route pour Haïti était détourné vers la République dominicaine, laissant les travailleurs du Cap-Haïtien au chômage.

         Aussi étonnant que cela puisse paraître, sachez que jusqu’aux années 1960 les échanges commerciaux entre Haïti et la République dominicaine étaient presque toujours en faveur d’Haïti. Ce n’est qu’au moment où le fameux embargo fut appliqué par les Nations Unies durant les années 1991-1994 contre Haïti que les ventes de la République dominicaine vers sa voisine dépasseront le milliard de dollars. Haïti étant coupée du reste du monde et ne pouvant importer aucun bien venant de l’étranger, ce sont les Dominicains qui nous vendront désormais un tiers de nos produits de consommation: du textile, du ciment (69 millions), des épices, de la farine (78 millions), des œufs (50 millions d’œufs par mois), du lait, du papier, de la sauce de tomate (30 millions), des sacs de plastique (25 millions), du savon, de l’huile de cuisine… transformant ni plus ni moins Haïti en une sorte de province économique de sa voisine. Haïti leur vend les produits manufacturés par les petites entreprises d’assemblage, mais en réalité, il s’agit de produits expédiés chez nos voisins pour les travaux de finition et d’emballage. Notons pour finir que la contrebande entre les deux pays s’amplifie chaque jour, enrichissant affairistes dominicains et haïtiens.

         La République dominicaine aura donc réalisé un petit miracle économique pendant qu’Haïti, sa voisine, sombrait dans le chaos politique et administratif. Certes, il subsiste des poches de misère chez nos voisins, j’ai traversé des quartiers pauvres et même croisé quelques mendiants dans les rues… en bien petit nombre il est vrai, et cela, sans aucune commune mesure avec la misère sociale généralisée qui sévit chez nous.   

         Je finirai par une anecdote qui nous servira aussi de morale. Un ami m’a raconté comment, alors qu’il se rendait de Santo-Domingo à Port-au-Prince, il eut à suivre une voiture de grand luxe immatriculée en Haïti. Après avoir franchi la frontière, il eut la surprise de voir ces Haïtiens baisser les vitres de leur véhicule et lancer par-dessus bord tous les restes de nourriture et autres saletés qu’ils s’étaient pourtant bien gardés de jeter sur le sol dominicain. Moralité: le jour où l’Haïtien apprendra à aimer son pays et à le respecter, alors, et alors seulement, on pourra espérer voir Haïti sortir du chaos politique et de ce paupérisme collectif qui l’étouffent.

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