Afin de leur éviter de mauvaises surprises en prison, des entreprises américaines préparent les escrocs de Wall Street à leur vie de futur détenu.
Capture d’écran de la page d’accueil du site Wall Street
Prison Consultants.
Garett Bauer a gagné 10 millions de dollars en monnayant des tuyaux sur la Bourse. Dernièrement, après un douloureux revers de fortune, il s’est aperçu que c’était surtout sur la vie en milieu carcéral qu’il avait besoin de tuyaux. Conseillé par d’anciens détenus, il a appris qu’il ne fallait surtout pas répondre aux provocations d’un autre détenu qui chercherait la bagarre mais au contraire se mettre immédiatement en position fœtale sur le sol. Contracter des dettes ou vouloir donner son avis sur le choix des programmes télé est à proscrire. « Je vais devoir tout apprendre », explique M. Bauer, un ancien trader de 44 ans qui, en mai prochain, devrait être condamné à onze ans de prison pour délit d’initié(insider trading).
La multiplication des arrestations à Wall Street pour délit d’initié a engendré l’essor d’un nouveau secteur : les cours de savoir-vivre en milieu carcéral. Les prisons étant de plus en plus surpeuplées, ce secteur est florissant et les anciens cadres supérieurs sont prêts à dépenser des fortunes pour apprendre comment gérer au mieux les fouilles au corps et amadouer un compagnon de cellule tatoué appelé Bubba.
M. Bauer a reconnu en décembre dernier devant une cour fédérale du New Jersey avoir participé à une gigantesque arnaque ayant rapporté 37 millions de dollars pendant dix-sept ans alors qu’il travaillait pour plusieurs fonds spéculatifs à Manhattan. Il a plaidé coupable pour infraction à la législation boursière avec préméditation, blanchiment d’argent avec préméditation et obstruction à la justice.
L’apprentissage des futurs détenus passe évidemment par celui de l’argot carcéral, qui peut s’avérer incompréhensible pour le néophyte. Certaines sociétés de consultants ont même des sites Internet très impressionnants. « J’ai aidé des centaines de types pendant mes dix ans au placard, de 1998 à 2007″, peut-on lire sur le site de Larry Levine, le fondateur imposant de Wall Street Prison Consultants. « Et maintenant, à mon tour de vous aider !«
Les futurs détenus apprennent qu’en prison tout se monnaye et que les devises les plus recherchées sont les timbres et les boîtes de conserve. Certaines attitudes sont à éviter à tout prix, comme sortir le linge d’un autre détenu du sèche-linge, changer de chaîne sur la télévision ou regarder un type sous la douche. Et voler est très mal vu.
Patrick Boyce a découvert les us et coutumes de cet univers en louant les services d’un artiste de la contrefaçon, devenu consultant carcéral. Et à 42 ans, M. Boyce est lui aussi consultant. Pour lui, le principe le plus important en prison c’est la politesse.
N’interrompez pas les conversations, n’oubliez pas de dire pardon quand vous heurtez quelqu’un, même quand ce n’est pas votre faute. Ne regardez pas la télé dans le fauteuil d’un autre détenu. Ne passez pas le bras devant un autre détenu à table pour atteindre le plat. « Vous pourriez immédiatement vous retrouver avec une fourchette plantée dans le bras », explique cet ancien courtier, qui a passé onze mois en prison en 2004 et qui se définit comme un « spécialiste de la conciliation carcérale ».
Fondateur de Federal Prison Alternatives après avoir purgé sa peine pour fraude, il raconte avoir beaucoup appris aux côtés de son codétenu, une armoire de 180 kilos surnommé Gator. Une fois, M. Boyce avait reçu de la visite et son visiteur était assis sur le lit de Gator quand celui-ci entra. « Faut jamais s’asseoir sur le lit d’un autre type« , leur a sévèrement lancé Gator. M. Boyce et son ami se sont rapidement excusés et ont suivi son conseil. Il a également rapidement appris à ne pas trop monopoliser les toilettes.
La plus grande difficulté pour les consultants, c’est de persuader leurs clients de perdre l’habitude de vouloir tout contrôler, de se sentir supérieur aux autres et de vouloir faire tourner les choses à leur avantage. « Ils doivent comprendre qu’ils ne valent pas mieux que les autres détenus« , explique M. Boyce.