Outrée par la destitution du président paraguayen vendredi dernier, la chroniqueuse Brigitte Colman, du quotidien
Ultima Hora, a terminé ainsi sa chronique publiée mardi. «C’est nous qui en subirons les conséquences, écrit-elle. Les sénateurs et les députés vont continuer à jouir de privilèges. Alors que les gens doivent pousser à la roue pour faire avancer le pays.»
Une semaine après la destitution du président, les Paraguayens sont toujours sonnés par ce «coup de poignard inexpliqué», écrit Alfredo Boccia, aussi d’Ultima Hora. «Nous commencions à nous habituer au rythme naturel de l’alternance des présidents tous les cinq ans par la voie électorale», écrit M. Boccia. Le parti Colorado a dominé le Paraguay pendant 60 ans, dont 35 ans avec le dictateur Alfredo Stroessner à la barre.
Même si la coalition qu’il dirigeait avait réussi à ravir le pouvoir au parti Colorado en 2008, Fernando Lugo n’a jamais pu s’entendre avec les autres leaders pour mener les réformes qui lui tenaient à coeur. Notamment une réforme agraire pour assurer une meilleure distribution des terres, propriétés d’un petit groupe de propriétaires.
La réforme n’a jamais vraiment pu être sur les rails. Pire, observe Marie-Christine Doran, professeure de sciences politiques à l’Université d’Ottawa, Lugo a maintes fois autorisé l’expulsion de paysans «sans terre» qui occupaient des territoires, ce qui a contribué à radicaliser le mouvement.
Le poids du Brésil
Le 15 juin dernier, une intervention policière visant à expulser des paysans d’une propriété au nord de la capitale s’est terminée dans le sang: 17 morts, dont 6 policiers. «Jusqu’à présent, écrit Alfredo Boccia, personne ne sait clairement qui a ordonné les massacres et dans quel but.» N’empêche, l’opposition a accusé le président d’avoir «mal rempli ses fonctions» et a entrepris le processus de destitution devant le Congrès (une mesure qui se compare à l’impeachment aux États-Unis), neuf mois avant la fin du mandat du président. Même l’Église catholique s’est dite en faveur de la destitution.
S’agit-il d’un «coup d’État», comme l’ont évoqué certains pays d’Amérique latine? «C’est difficile à dire, puisque c’est constitutionnel, dit Mme Doran. Le seul point que les partisans de Lugo peuvent faire valoir est qu’il n’a pas eu suffisamment le temps de préparer sa défense.»
L’alliance Mercosur a exclu le Paraguay de la rencontre qu’elle doit tenir aujourd’hui, et les yeux se tournent vers le Brésil, qui n’a pas reconnu le nouveau président Frederico Franco. Ce dernier, note Mme Doran, a convoqué 500 000 «brésiguayens» – cette importante communauté brésilienne au Paraguay qui compte beaucoup de propriétaires terriens – pour leur annoncer que leurs propriétés seraient protégées par son gouvernement. «Il leur a aussi demandé d’envoyer une délégation pour demander à la présidente brésilienne Dilma Roussef de le reconnaître. Franco sait qu’il a le Congrès, l’Église et les propriétaires terriens avec lui. C’est un bras de fer important qui s’annonce.»