L’économie d’Haïti est exsangue et l’État est sans le sou. Le tremblement de terre n’a qu’accentué le malheur. C’est à se demander comment Haïti pourra s’en sortir. Dans la même île, la République dominicaine connaît une forte croissance et peut compter sur de riches gisements d’or et de nickel. Mais la minéralisation ne connaît pas les frontières. Y aurait-il sous les ruines d’Haïti un trésor qui permettrait aux Haïtiens d’espérer?
Ça sent l’huile et le bruit est assourdissant. Sept hommes – un Dominicain et six Haïtiens – surveillent la machine jaune dont l’extrémité filiforme s’élève 2 ou 3 mètres au-dessus de leurs têtes et dont la mèche ronge le sol, 400 mètres sous leurs pieds. Dès qu’elle complète une section, l’équipe s’affaire à remonter la carotte de roches, sans perdre une minute, afin de pouvoir rapidement continuer de forer.
Le Montréalais d’origine Daniel Hachey, avec son casque en forme de chapeau de cow-boy, et le consultant géologue Dale Schultz, avec son casque orné de feuilles d’érable, surveillent de près le travail de leurs hommes. Les deux jettent un oeil attentif aux carottes, tentant d’y découvrir des traces du minerai recherché, contenant du cuivre et de l’or.
À cette petite foreuse portative cachée dans les collines du massif du Nord, en Haïti, sont associées des espérances énormes, qui dépassent le seul cadre minier. Les deux hommes espèrent être en mesure de publier sous peu le premier calcul de ressources d’un indice minéralisé appelé Douvray, qui fait partie d’une vaste propriété de 50 kilomètres carrés appartenant à la Société minière du Nord-Est haïtien (SOMINE). La petite société canadienne Ressources Majescor, dont Daniel Hachey est président et chef de la direction, contrôle plus de 70% de la SOMINE. À long terme, l’objectif est bien sûr d’ouvrir une mine, puis de participer à la relance d’un pays dont l’économie est dans un état de délabrement complet.
En Haïti, plus des deux tiers de la force de travail n’a pas d’emploi formel. Plus de 80% des gens vivent sous le seuil de la pauvreté, la moitié est analphabète. La corruption est un fléau. L’État est incapable de financer ses activités. Le pays n’arrive pas à créer de la richesse. «Tout laisse croire qu’il n’y a aucun avenir», résumait le scientifique américain Jared Diamond dans son ouvrageEffondrement, en 2005.
De l’autre côté d’Hispaniola, l’île dont Haïti occupe la partie occidentale, la République dominicaine offre un frappant contraste. Depuis 10 ans, le pays connaît l’une des croissances économiques les plus fortes des Caraïbes et de l’Amérique latine. Le secteur minier y contribue avec de riches mines d’or, de nickel et de cuivre qui garnissent les coffres de l’État.
En Haïti, rien ou presque. L’industrie minière se résume à quelques carrières de sable et de pierre. Mais la structure géologique qui accueille les mines dominicaines se prolonge dans le nord d’Haïti. «La minéralisation ne s’arrête pas à la frontière», croit Daniel Hachey. Comme en République dominicaine, Haïti peut-il rêver à un trésor souterrain?
Dans les montagnes du Nord
Le camp de SOMINE est à Roche-Plate, à 35 kilomètres de Cap-Haïtien, deuxième ville en importance d’Haïti. Après avoir traversé une rivière à gué, on y arrive par une petite route de campagne sinueuse et vallonneuse où vivent plusieurs Haïtiens dans des habitations rudimentaires. Le camp, seule empreinte de modernité dans ce territoire paysan où on vit du seul travail de ses mains et de quelques animaux, est clôturé et bien protégé.
Au moment de notre passage, en mai, une équipe s’affaire à assembler une nouvelle foreuse. L’autre foreuse, plus petite, est déjà en activité, plus haut dans la montagne.
Ce n’est pas la première fois que les Haïtiens du coin voient arriver des équipes d’exploration minière. Le camp avait déjà été utilisé au tournant des années 2000 par une autre société minière canadienne, Ressources Sainte-Geneviève. Des spécialistes de l’Organisation des Nations unies avaient aussi travaillé sur la propriété – et identifié son potentiel – dans les années 70. Majescor et SOMINE doivent reprendre le travail pour prouver que le gisement remplit ses promesses.
Niché sur une crête, à 230 mètres d’altitude, Jean-Carlo, 23 ans, est assis près d’un petit bassin d’eau circulaire. L’eau pompée plus bas y est emmagasinée avant de monter plus loin dans la colline pour alimenter la foreuse qui boit 200 gallons d’eau par jour – il faut neutraliser la chaleur causée par la friction.
Chaque jour, cet employé de SOMINE doit marcher une heure pour venir à son travail, qui consiste à surveiller ce bassin pendant 12 heures, avant de retourner à la maison où sa femme l’attend. Tout cela au salaire minimum de 200 gourdes par jour, l’équivalent de 5$US. «C’est mieux que de rester à ne rien faire, dit-il en fixant des yeux la brindille qu’il tourne entre ses doigts. Il n’y a pas d’autre travail dans le coin », dit le timide jeune homme.
Derrière lui, du côté ouest de la crête, il voit les sommets du massif du Nord, principal ensemble montagneux du pays. Dans ce massif travaille aussi, outre SOMINE, la société américaine Newmont, deuxième producteur mondial d’or, qui a dépensé plus de 20 millions US sur des propriétés qu’elle détient en partenariat avec la junior Eurasian Minerals.
Au loin, on aperçoit Cap-Haïtien. La ville n’a pas été affligée par le tremblement de terre et se porte mieux que Port-au-Prince. Mais son économie est trop rudimentaire pour soutenir l’afflux de réfugiés venus de la capitale. L’économie de la région se résume à l’agriculture de subsistance et au petit commerce de rue où on propose des babioles ramassées à la frontière dominicaine (paquets de gomme, parfums génériques, vêtements) ou à peu près tout ce qui peut se trouver et se vendre (pièces d’autos usagées, bidons d’essence, etc.). Il n’y a pas de réelle industrie dans la région, sauf la distillerie La Rue. Le long des routes, les édifices de maçonnerie jamais achevés sont légion.
Le patron de Majescor, Daniel Hachey, est convaincu que l’industrie minière peut apporter des bénéfices à Haïti. Son seul projet donne des emplois à plus d’une centaine d’Haïtiens, dont des géologues qui gagnent de 600 à 800$US par mois. Au-delà des emplois, les mines pourraient générer des revenus pour l’État et entraîner une amélioration des infrastructures.
Encore faut-il des gisements à exploiter. Il n’y a plus de mine de métaux en Haïti depuis que Reynolds a fermé sa mine de bauxite en 1982. Avant cela, seule une petite exploitation de cuivre avait vécu, entre 1960 et 1971.
De son point de vue, près du bassin d’eau, Jean-Carlo tourne les yeux du côté est de la crête et voit s’étendre des plaines, la mer, et, pas tellement loin, les terres de la République dominicaine. La Dominicanie, comme disent les Haïtiens. Un pays qui a trouvé, lui, le chemin de la croissance.
Deux foreurs surveillent la machine qui creuse le sol, 400 mètres plus bas, dans les montagnes du massif du Nord haïtien.
PHOTO: ROBERT SKINNER,
L’or de la Dominicanie
Pueblo Viejo, République dominicaine, à une heure de route au nord de Santo Domingo. Près de l’entrée de la mine, six jeunes se tiennent sur le bord de la route et arrêtent tous les véhicules, plats de plastique à la main. Ils offrent des gâteaux au maïs faits maison.Business is booming, dit une des membres de l’équipe. «On essaie de tirer profit de l’arrivée de la mine», ajoute-t-elle en espagnol.
Il est 17 h, le vendredi. Les milliers de travailleurs se massent à la sortie où les attendent des dizaines d’autobus. Ils ont droit à un repos mérité. Ils sont en train de concrétiser le plus important investissement privé de l’histoire de la République dominicaine.
Derrière eux, au milieu des montagnes, s’élève un gigantesque complexe industriel s’étendant sur neuf kilomètres carrés. D’immenses pelles mécaniques arrachent des tonnes de pierre à la montagne. Comme des fourmis au travail, les énormes camions-bennes qu’on aperçoit au loin transportent le calcaire dans un ballet bien coordonné.
À quelques pas de là, les équipes s’affairent à terminer tous les bâtiments d’une usine qui traitera chaque jour 24 000 tonnes de minerai et 12 000 tonnes de calcaire. Le processus chimique est extrêmement complexe. Il s’écoulera trois semaines avant que chaque tonne de minerai qui entre dans l’usine ne se transforme en trois petits grammes d’or à la sortie.
Barrick Gold a fait démarrer à l’été cette mine d’or à ciel ouvert qui deviendra l’une des 10 plus importantes de la planète en termes de production: environ 1 million d’onces par année. Le coût du projet est faramineux: 3,8 milliards, un investissement que le numéro un mondial Barrick partage avec un autre géant aurifère canadien, Goldcorp, qui détient 40% du projet.
Barrick et Goldcorp misent sur des réserves de 23,7 millions d’onces d’or, qui valent quelque 40 milliards aux cours actuels.
La mise en production de Pueblo Viejo n’est que la démonstration la plus visible de l’intérêt du monde minier pour la République dominicaine. L’exploration y connaît un véritable boom, mené en cela par des sociétés canadiennes comme Unigold, Goldquest ou Everton. Les investissements miniers, à peu près nuls à la fin des années 90, ont redémarré en 2001 pour compter plus de 2,7 milliards au cours des 10 dernières années, contre 2 milliards pour le tourisme.
Pueblo Viejo consacre aussi le relatif succès économique de la République dominicaine, qui a réussi à trouver la voie du développement. Haïti a de quoi être jaloux. Il a déjà été une nation plus puissante que son voisin hispanophone, au XIXe siècle. Dans les années 30, l’économie dominicaine et le niveau de richesse de ses habitants étaient égaux à ceux d’Haïti, raconte André Corten, professeur à l’UQAM et auteur du livre L’État faible, qui porte sur les deux pays. La comparaison ne tient plus aujourd’hui.
Pour une population semblable, le PIB dominicain est presque huit fois plus important que celui d’Haïti. Le taux de pauvreté est deux fois moins grand. La République dominicaine n’est pas très bien classée au chapitre de l’Indice de développement humain (98e sur 187 pays). Elle peut toutefois se consoler en regardant Haïti (158e) qui, parmi tous les pays non africains, ne devance que l’Afghanistan.
Pour expliquer cette disparité, on peut invoquer la déforestation massive qui a ravagé le pays francophone. Mais il y a aussi qu’en Haïti, remarque André Corten, la dictature des Duvalier (1957-1986) engrangeait les profits de la production sans réinvestir ni se soucier de modernisation et de développement industriel.
À l’est, le dictateur Rafael Trujillo (1930-1961) a accaparé toute l’économie avec ses entreprises personnelles, mais «le capital d’État a représenté un socle pour le développement économique, note André Corten. Il s’est créé une élite entrepreneuriale qui connaissait le fonctionnement des entreprises».
Pour Eduardo Garcia Michel, économiste dominicain et membre du conseil de politique monétaire du pays, plusieurs facteurs ont favorisé la République dominicaine: un renforcement institutionnel, un accent sur l’éducation, et un effort manifeste pour quitter le sous-développement. L’industrie minière a contribué en générant un important apport de devises étrangères, note M. Garcia Michel, par ailleurs ancien conseiller économique du gouvernement.
En 2011, le PIB dominicain a grimpé de 4,5%, surtout grâce à Pueblo Viejo. «Pour attirer des investissements de plusieurs milliards comme celui de Barrick, il faut montrer que le pays a une stabilité, une continuité institutionnelle et un niveau important de garanties juridiques», affirme le ministre de l’Industrie et du Commerce, Manuel Garcia Arevalo, qui reçoit La Presse Affaires dans son bureau de Santo Domingo (M. Arevalo a été remplacé en août après l’arrivée d’un nouveau président).
Outre Pueblo Viejo, deux autres mines sont en exploitation dans le pays: la mine de ferronickel Falcondo, appartenant à Xstrata mais lancée par la canadienne Falconbridge en 1971. La société australienne Perylia, contrôlée par des intérêts chinois, exploite Cerro de Maimon, une mine de moindre envergure qui produit du cuivre et de l’or.
Quand les trois mines fonctionneront à plein rendement, elles fourniront de 5 à 7% du produit intérieur brut dominicain, contre 0,4% en 2011, souligne le ministre Arevalo.
La République dominicaine compte bien en retirer des bénéfices. Le printemps dernier, vers la fin de la construction, Barrick employait près de 10 000 personnes, dont au moins 80% de Dominicains, comme l’exige l’État. En production, la mine compte 1500 employés.
Surtout, l’État dominicain prévoit retirer environ 7 milliards sur 25 ans en impôts et redevances de Barrick Gold, si le prix de l’or se maintient autour de 1400$ US. Après une relance en 2011, la mine de nickel Falcondo devrait à terme verser de 180 à 200 millions annuellement, selon un porte-parole de la mine. L’État reverse une part des bénéfices aux communautés directement touchées par les projets, sans compter les initiatives de Barrick et Falcondo dans le développement communautaire de la région où sont situées les trois mines du pays.
«Je ne dirais pas que la population a accueilli Barrick à bras ouverts», concède toutefois Octavio Lopez, à la tête de la Direction générale des mines. Il subsiste une certaine méfiance dans la population face à l’industrie minière, responsable du désastre de la Rosario Dominicana sur ce même site de Pueblo Viejo (voir encadré).
Pour l’environnementaliste Luis Carvajal, de l’Université autonome de Santo Domingo et de l’Académie nationale des sciences, l’État accorde des concessions aux sociétés minières dans des zones écologiques trop sensibles pour les accueillir, et le développement minier se fait au détriment de la population.
Une courte visite dans une communauté pauvre forcée au déménagement en raison de la construction de la mine de Barrick a permis de constater le désarroi de familles déracinées. En septembre, une manifestation d’habitants de la région, qui affirmaient que Barrick n’embauchait pas assez de travailleurs locaux, a viré à l’affrontement avec les policiers. Il y a eu 25 blessés.
M. Carvajal dénonce aussi le contrat controversé que l’État dominicain a signé avec Barrick, et qui établit le partage des revenus de la mine. Le contrat prévoit que l’État ne retirera pas son maximum de redevances avant que les investisseurs aient fait leurs frais, c’est-à-dire dans environ quatre ans.
Celui qui a présidé aux destinées du projet Pueblo Viejo jusqu’en septembre, Manuel Bonilla, assure que la mine et les initiatives communautaires de l’entreprise auront des impacts positifs et concrets pour la population. «On ne peut pas avoir la plus grande mine du pays, la plus grande source de revenus du gouvernement, et que ça ne change rien à la pauvreté autour, soutient-il. Ça ne fonctionnerait pas.»
Malgré la croissance économique dominicaine, les besoins de la population sont encore criants. À côté d’un métro tout neuf dont la première ligne a coûté 700 millions US, l’extrême pauvreté subsiste dans la capitale et dans les campagnes. Le pays reste parmi les plus pauvres d’Amérique latine. André Corten constate encore une «dégradation de la population» chez ce «dragon latino-américain», où les bas salaires sont encore la norme.
L’industrie minière n’est pas la panacée qui assure à elle seule le développement d’un pays, explique l’économiste Eduardo Garcia Michel. «Les mines ne génèrent pas autant d’emplois que certains l’espéraient, observe-t-il. La contribution passe par l’entrée de devises étrangères. Pour prendre avantage de cela, il faut investir les revenus pour le développement du pays.
«Tout dépend de la manière dont l’État gère l’argent qu’il recevra des mines, poursuit l’économiste. S’il le fait bien, la nation va en bénéficier.»
Une nouvelle attitude pour Haïti
La même question se pose en Haïti. Noël Paulince, croisé à un carrefour routier de Caracol, dans le nord du pays, a entendu parler d’éventuelles mines dans sa région. Au-delà des emplois – lui-même veut savoir comment travailler au camp de SOMINE -, il se demande ce que la population va en retirer. Mais cette interrogation a un préalable: peut-il y avoir un développement minier en Haïti?
On accède au Bureau des mines et de l’énergie, dans le quartier Delmas 31 de Port-au-Prince, par une rue de gravier cahoteuse, à peu près impraticable autrement qu’en véhicule utilitaire sport. Entre les deux trop grands bâtiments de l’organisme s’alignent des tentes fabriquées avec des bâches marquées du sceau de l’US Aid, l’organisation américaine d’aide humanitaire. Ils sont plusieurs centaines à vivre dans ce camp de réfugiés, dans la cour du Bureau des mines, plus de deux ans après le séisme qui a ravagé la capitale. Cela ne fait que rappeler l’ampleur des défis d’Ayiti, comme on écrit son nom en créole.
Le Bureau, dont le mandat est à la fois de promouvoir le développement des ressources, accorder les permis, négocier les ententes et contrôler les activités, a été laissé à lui-même dans les dernières années. Il manque de ressources humaines et financières, et le laboratoire d’analyse ne fonctionne plus, faute de moyens. Toutes les procédures se font très lentement, a-t-on entendu des sociétés minières.
«Il n’y avait pas de politique minière, nous n’étions pas appuyés par les gouvernements», déplore le directeur général Dieuseul Anglade. Mais cela pourrait changer, croit-il. La politique du président Martelly est très ouverte aux affaires et aux investissements étrangers. «On sent un certain intérêt pour le développement minier.»
Le Club de Madrid, un regroupement d’anciens chefs d’État qui compte parmi ses membres Jean Chrétien et Bill Clinton, a désigné le secteur minier parmi les secteurs porteurs pour l’avenir d’Haïti. Les mines pourraient représenter beaucoup pour ce pays dont les revenus budgétaires dépasseront à peine 2 milliards en 2012-2013, dont la moitié en aide internationale.
Il reste toute une pente à remonter pour rejoindre la République dominicaine. Depuis des décennies, les sociétés minières et leurs actionnaires sont bien hésitants à investir en Haïti en raison de l’instabilité politique et de la faiblesse du cadre réglementaire et légal.
La loi minière est vétuste et mal adaptée. «Il existe des dispositions trop contraignantes pour les entreprises», note Dieuseul Anglade. «La plus flagrante» est cette obligation pour l’entreprise de négocier avec l’État une convention minière qui dictera les conditions d’exploitation et de partage de bénéfices, avant même l’obtention d’un permis pour effectuer les forages. «Cela consiste à signer un contrat d’exploitation d’une ressource que vous ne connaissez même pas», illustre M. Anglade, qui a été remplacé après le changement de gouvernement, en mai dernier. La SOMINE dispose déjà d’une telle convention, qui prévoit que l’État récoltera la moitié des profits, tandis que Newmont fore en vertu d’une dérogation spéciale.
Un rapport de 1996 préparé pour le ministère de l’Environnement notait toutefois que l’État haïtien manquait d’autorité et d’un cadre institutionnel fort pour négocier avec les minières et faire respecter les lois. Les mines du passé (bauxite et cuivre) n’ont pas rapporté à l’État ce qu’elles auraient dû – l’économiste Fred Doura parle de «pillage» dans son ouvrage Économie d’Haïti. Le même constat prévaut aujourd’hui pour les carrières de sable et de pierre, souligne Dieuseul Anglade, si bien qu’il se pourrait que «la nation ne tire aucun profit de ses richesses».
Peu après sa prestation de serment, en mai, le premier ministre haïtien Laurent Lamothe a confirmé que le gouvernement préparait une nouvelle législation minière, qui visera à rendre le pays plus attrayant aux yeux des investisseurs, à assurer que l’État tire sa part des bénéfices et que l’environnement et les droits des habitants soient protégés.
Pendant que Port-au-Prince rebâtit son cadre minier, c’est plein soleil sur le camp de SOMINE/Majescor à Roche-Plate. Le deuxième jour de notre visite, des hommes démontent la nouvelle foreuse et la transportent vers les sommets pour l’assembler de nouveau. À partir des résultats de forages, Majescor espère séduire un acteur important qui pourrait racheter la société et mettre la main sur le projet. On est encore loin d’une mine, peut-être à 7 à 10 ans, selon Daniel Hachey, mais il croit fermement que quelque chose de nouveau s’ouvre pour Haïti.
Au loin, des choeurs de femmes s’élèvent. C’est un chant religieux qui résonne dans la vaste campagne de Roche-Plate, mais on ne peut discerner les mots. On ne serait pas surpris qu’il soit question d’espérance.
Barrick, applaudie et critiquée
Des citoyens et des groupes environnementaux n’acceptent pas la présence de Barrick Gold en République dominicaine, mais le gouvernement et une partie des citoyens la saluent. Car la société canadienne vient nettoyer les ravages causés par l’État dominicain lui-même. En 1979, l’État a nationalisé Rosario Dominicana, la société qui exploitait la mine de Pueblo Viejo depuis 1975. Les activités ont cessé en 1999 parce que l’opérateur n’avait plus la technologie pour exploiter de manière rentable le minerai, qui changeait de nature en profondeur.
Or, la Rosario Dominicana a laissé derrière elle un véritable désastre environnemental, notamment la pollution des cours d’eau causée par la génération d’acides provenant de roches exposées à l’air libre. Au début des années 2000, Placer Dome a remporté un appel d’offres lancé par l’État et a signé un contrat pour nettoyer le site et l’exploiter de nouveau avec une technologie plus adaptée. Barrick Gold, qui a racheté Placer Dome en 2006, a demandé à renégocier le contrat dans la foulée de la crise financière, en 2009. «En plein milieu de la crise, il fallait (pour le financement) des garanties sur le retour sur investissement», soutient le président du projet Pueblo Viejo, Manuel Bonilla.
Aujourd’hui, le contrat cause la controverse, même si Barrick paiera la totalité des coûts du nettoyage environnemental. C’est que la formule de redevances a été revue de façon à ce que Barrick récupère la totalité de son investissement avant qu’elle ait à verser le maximum de redevances à l’État. Barrick est aussi exemptée d’une panoplie de taxes, notamment les taxes municipales.
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