Dans ce singulier petit pays pays où plus ça change plus c’est pareil, il est impossible d’éviter les redites même quand elles deviennent fades et rebutantes.
En effet, depuis l’ignoble assassinat de l’Empereur qui a eu la mauvaise fortune d’oser exiger que ceux dont les pères sont en Afrique aient les mêmes droits que les autres, la révolution inachevée bat de l’aile et la perle des antilles symbolise aujourd’hui encore le pays le plus corrompu et le plus pauvre de l’hémisphère.
Les analystes de la scène politique haïtienne sont unanimes à reconnaître que le pays a raté tous les virages qui lui auraient permis de s’épanouir et de se développer au même titre que son voisin de l’Est et d’autres petites nations plus ou moins comparables.
Déjà deux siècles d’histoire de peuple dit indépendant et nous pouvons hélas nous demander bien candidement : Sommes-nous une nation?
Nous avons évidemment un territoire, un peuple, une langue commune, un drapeau, un gouvernement et apparemment tout ce qui répond à la définition acceptée de ce que représente une nation. Pourtant, force est de reconnaître que mises à part quelques rares éclaircies, notre trajectoire en tant que collectivité, constitue un retentissant échec qui explique et justifie le bourbier dans lequel nous vautrons avec une apparente indifférence.
La méconnaissance de notre histoire et ce déficit identitaire qui nous caractérisent en sont sans le moindre doute les causes profondes mais pis encore, le refus d’en prendre conscience, individuellement et collectivement n’augure rien de bien bon pour l’avenir immédiat.
Nous avons été éduqués, pardon dressés, pour être tout sauf des Haïtiens à part entière. Il demeure donc compréhensible que certains de nos congénères se révèlent, sur le plan personnel des réussites dont nous sommes certes très fiers. Ils ont été formés pour performer dans leurs encadrements respectifs mais, quid de l’alma mater?
S’il est vrai, selon René Dumont, que le développement durable d’une société passe par ses créneaux culturels, il s’avère très peu probable que les modèles importés puissent nous conduire à bon port. Hélas, tout porte à croire que nos experts ne jurent que par les théories ou principes à partir desquels ils ont été formés et demeurent incapables d’appréhender le réel haïtien afin de concevoir des modèles qui soient en adéquation avec cette réalité dans ce qu’elle recèle de spécificités propres.
La loi se définit comme étant l’émanation de la volonté populaire, ce qui est l’essence même de la démocratie. Jetons donc un coup d’œil sur nos vingt-deux constitutions et l’ensemble des lois qui nous régissent. La malice populaire exprime en termes clairs notre culture de non droit et avec son humour caustique proclame : « Constitution sé papier, baïonnette sé fè ».
Au cours de ce dialogue en perspective, souhaitons que nos dignes politiciens et autres leaders réalisent l’impérieuse nécessité de doter le pays d’une Commission Nationale de la Réforme Judiciaire « CNRJ » si tant est qu’ils veulent vraiment, comme le réclame le peuple haïtien, depuis la chute de la dictature, l’avènement d’un véritable État de droit dans ce petit pays qui est le nôtre.
Les saupoudrages auxquels nous avons eu droit depuis la nuit des temps, ont eu pour conséquence, ce que nous constatons avec tout le monde d’ailleurs, n’en déplaise à ceux qui font l’autruche : Le pouvoir judiciaire est vassalisé maintenant plus que jamais auparavant.
Et ce n’est point une invention de ce gouvernement, nous en convenons aisément, cela fait partie de ce fameux héritage qu’il avait d’ailleurs promis d’oblitérer. Hélas, les faits parlent d’eux-mêmes, la montagne a accouché d’une souris.
Faut-il encore une fois, souligner à l’eau forte, qu’aucun progrès n’est réalisable en dehors d’un pouvoir judiciaire efficace et efficient? Il s’agit d’une vulgaire lapalissade qui nous porte à déduire en toute logique, que cette carence relève de la mauvaise foi collective.
Il n’appartient qu’à nous d’arrêter de bluffer en reconnaissant tout simplement que notre deuxième priorité n’est autre que la « création d’emplois » dans les dix départements de la république.
Aussi, compter presqu’uniquement sur les investissements étrangers pour relancer l’économie du pays s’avère un leurre grossier et malhonnête.
Le médecin s’attaque à la maladie de son patient pour soigner ce dernier, l’avocat se rend au tribunal pour plaider et gagner la cause de son client, l’investisseur se lance en affaires pour gagner des profits substantiels et non pour faire du social, encore moins de la charité. Nos économistes ne le savent que trop et qui pis est, l’économie néolibérale qui domine le monde ne peut que maintenir le pays dans son état de corruption et d’extrême pauvreté. Il faut donc penser sérieusement à l’économie sociale à l’instar de l’Inde, de la Chine, du Brésil, du Venezuela, pour ne citer que ceux-là.
Oui, la création d’emplois, en encourageant de manière scientifique l’entreprenariat au niveau des petites et moyennes entreprises et pour ce faire, le « FHS » Fonds Haïtien de Solidarité, réunit tous les critères du développement endogène susceptible de contribuer à la renaissance du pays.
Nous devons donc jumeler création d’emplois et formation afin de cesser d’exporter nos diplômés qui ne pourront revenir au pays toujours faute d’emplois.
A cette croisée des chemins, le constat est fait, nous sommes un État failli et s’il est est vrai que nous comptons parmi nous des femmes et des hommes intègres, honnêtes et compétents, nous devrions, à la faveur de ce dialogue en perspective, nous prouver à nous-mêmes et au reste du monde qui nous guette, que nous avons la capacité de nous reprendre en main, de nous gouverner et ainsi faire mentir les propos de Gobineau une fois pour toutes.
Le temps presse évidemment, les éternels chômeurs et ceux qui croupissent sous les tentes le savent mieux que quiconque. Un ultime effort vers la transcendance pour un dialogue inclusif, franc, ouvert et constructif, cette fois-ci, dans l’intérêt supérieur de la nation tout entière demeure le paradigme impérieux et incontournable.
Il subsiste toutefois une zone d’ombre au tableau. En effet un large secteur de la scène politique estime que les conditions objectives ne sont pas réunies pour faire œuvre qui vaille et en conséquence s’abstient de toute participation à cet exercice. La confiance, élément indispensable au dialogue et à la négociation n’est donc pas au rendez-vous.
La diaspora quant à elle, brille de tous ses feux par son absence !
C’est le moment plus que jamais pour que « tout moun ladan’l » devienne une profession de foi. Que la volonté de Dieu, le « Grand Mèt » se manifeste sur la terre d’Haïti en inspirant nos dignes représentants tout au cours de ce dialogue qui pourrait fort bien se révéler celui de la dernière chance.
Serge H. Moïse av.
Barreau de P-au-P.