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BILAN DE L’ANNEE 2014,par Michel Soukar

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Michel Soukar

Port-au-Prince, 31 décembre 2014

En concluant le bilan de l’année 2013, nous avions prévu que l’année 2014 serait celle de tous les espoirs ou de tous les dangers. En définitive, elle a été celle des espoirs déçus. Le dialogue a échoué. Les consultations ont trainé en longueur. Les négociations véritables n’ont jamais démarré.

I. SUR LE PLAN POLITIQUE

L’année 2014 a débuté sous le signe du dialogue. A l’occasion de la commémoration du jour de l’indépendance d’Haïti, le 1er janvier 2014, Le président de la République,Michel Joseph Martelly, a tenté d’inviter aux Gonaïves les anciens présidents de la République vivant sur le territoire. Parmi ceux qui ont accepté l’invitation, la présence de l’ex-dictateur, Jean-Claude Duvalier, a été vivement critiquée par les familles des victimes de la dictature.
La rentrée parlementaire s’est effectuée le deuxième lundi de janvier 2014. Les sénateurs ont reconduit le Bureau dirigé par le sénateur Dieuseul Desras Simon à la tête du Sénat. Par contre, à la chambre des Députés, les députés du groupe parlementaire pour la Stabilité et le Progrès (PSP), proches du pouvoir exécutif, ont raflé le Bureau ainsi que la présidence de toutes les commissions.

A. LE CONTEXTE
Depuis l’accession du président Michel Joseph Martelly au pouvoir le 14 mai 2011, aucune élection n’a été organisée dans le pays. Il en est résulté des vacances au niveau des collectivités territoriales (sections communales et communes) et du Sénat de la République, amputé d’un tiers. Le pouvoir exécutif en a profité pour remplacer la quasi-totalité des cartels de magistrats élus par des agents exécutifs intérimaires.

B. LE NŒUD GORDIEN
La mise en place du Conseil Électoral Permanent (CEP) demeure le nœud gordien des processus électoraux depuis l’adoption de la Constitution de 1987. Durant les trois (3) ans du président Martelly au pouvoir, le pays a déjà connu quatre (4) versions de Conseil Électoral sans la tenue d’élections pour autant.

La première version, le Conseil Transitoire du Conseil Électoral Permanent (CTCEP), dirigé par Me Josué Pierre-Louis et installé avec six (6) membres sans les trois(3) représentants du Parlement, a été, après négociations, remplacée par une deuxième version, le Conseil Électoral Provisoire (CEP) dirigé par Me Emmanuel Ménard. Puis vint la troisième version, le Conseil Électoral Provisoire, dirigé par Me Frizto Canton, installé avec sept (7) membres, cette fois sans la prestation de serment des représentants du Parlement et du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ). Une quatrième version, issue de l’Accord d’El Rancho et dirigée par Max Mathurin, ancien président du CEP de 2006, fonctionna au complet.

En outre, certaines dispositions de la loi électorale, votée en 2013, ne sont plus adaptées au contexte actuel. Son amendement s’avère indispensable. C’est dans ce contexte que la Conférence Épiscopale d’Haïti lance le dialogue inter haïtien à l’Hôtel El Rancho à Pétion-Ville.

C. LE DIALOGUE INTER-HAITIEN


La Conférence Épiscopale d’Haïti (CEH), dirigée par l’évêque des Cayes, MonseigneurChibly Langlois, conviait les pouvoirs d’État et la classe politique haïtienne au dialogue, avec sa médiation. Parallèlement, un événement sans précédent dans l’histoire du pays s’est produit le 12 janvier 2014. Le Vatican nomme le premier cardinal haïtien en la personne de Monseigneur Chibly Langlois. Alors, le cardinal Chibly Langlois lance officiellement le dialogue inter haïtien entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, les partis politiques et la société civile, à l’hôtel El Rancho.

Plus d’une quarantaine de partis politiques y ont répondu favorablement. Le Mouvement Patriotique de l’Opposition Démocratique (MOPOD) a boudé l’invitation. Le MOPOD a posé des conditions préalables à sa participation. Son slogan a toujours été élections ou démission du président de la République. Parmi les partis politiques présents, les Partis Fusion, Kontra Pèp la et Fanmi Lavalas n’ont pas tardé à se retirer de la table du dialogue. Ces trois (3) partis ont réclamé la démission du Premier ministre, la formation d’un gouvernement de consensus et la mise en place d’un Conseil Électoral Provisoire (CEP), inspiré de l’esprit de l’article 289 de la Constitution de 1987.

Le dialogue politique inter haïtien s’est poursuivi pendant deux (2) mois. L’accord qui en est résulté est signé par le président de la République, les représentants de près de 48 partis politiques et les représentants de la société civile. Le président du Sénat a conditionné sa signature à la publication de l’arrêté de nomination de tous les membres de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCA).

Cependant, pressé de partir à l’étranger, le président Dieuseul Desras Simon a donné mandat au sénateur Steven Benoit, secrétaire du Bureau, de signer en son nom, malgré la présence du vice-président du Bureau du Sénat, le sénateur Andris Riché. Le sénateur Benoit l’a signé en prononçant un discours des plus élogieux. Pourtant, il n’a pas pris du temps pour dénoncer l’inclusion de l’article 12 dans ledit accord, expliquant qu’il s’était fait piéger.

Le président du bureau de la Chambre des Députés, le député Jacques Thimoléon a signé l’accord en émettant certaines réserves. Six (6) sénateurs, parmi lesquels : Moïse Jean-Charles, John Joël Joseph, Pierre Francky Exius, Jean William Jeanty, Wesner Polycarpe et Jean-Baptiste Bien-Aimé ont pressé le président du Sénat de ne pas signer l’accord qui a fixé la date de l’organisation des élections communales, législatives et sénatoriales au 26 octobre 2014. Techniquement, le Conseil Électoral Provisoire (CEP) a besoin de six (6) mois pour organiser les élections, à partir de la publication de l’amendement à la loi électorale de 2013. L’Exécutif a fait publier l’arrêté convoquant le peuple en ses comices le 26 octobre 2014. Court-circuitant le CEP, l’Exécutif a soumis le projet d’amendement de la loi électorale à la Chambre des Députés qui l’a voté et l’a transmis au Sénat.

D. UN GOUVERNEMENT PLÉTHORIQUE
L’Accord d’El Rancho a, entre autres, donné lieu à un gouvernement d’ouverture de 43 membres, incluant 10 nouveaux ministres et 10 nouveaux secrétaires d’État. Un gouvernement pléthorique. Parmi les nouveaux ministres, citons Monsieur Duly Brutusau Ministère des Affaires Etrangères et des Cultes, Monsieur Nesmy Manigat au Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, MonsieurHimmler Rebu au Ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique, MadameMonique Rocourt au Ministère de la Culture, Monsieur Rudy Hériveaux au Ministère de la Communication, Monsieur Lener Renaud au Ministère de la Défense, MonsieurFrançois Guillaume II au Ministère des Haïtiens Vivant à l’Étranger et Monsieur Reginald Delva au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales. Il convient de souligner également le retour de Madame Marie Carmelle Jean-Marie au Ministère de l’Économie et des Finances.

E. DES VOYAGES INCESSANTS


En 2014, le président Martelly a effectué de nombreux voyages à l’étranger qui l’ont conduit en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes et en Europe. En début d’année, le président Martelly a effectué son premier voyage officiel aux États-Unis d’Amérique du Nord où il s’est entretenu avec le président Barack H. Obama, le secrétaire d’État John Kerry et des membres du Congrès.

Puis, le président de la République a poursuivi son périple à Paris, en Belgique, en Italie et au Vatican où il a participé à la cérémonie d’installation du Cardinal Chibly Langlois. Le président du Sénat Dieuseul Desras Simon y a aussi pris part, ainsi qu’une importante délégation haïtienne.

Au cours du deuxième semestre de l’année 2014, le président Martelly s’est rendu à New-York à l’ONU, à Cuba, en Équateur, en Allemagne et en France. Ce fut la première visite officielle d’un président haïtien en Allemagne. Le président s’est entretenu avec le président allemand et avec la chancelière Merkel.

Le président Martelly a été également le premier président en exercice à se recueillir dans le cachot de Toussaint Louverture au Fort de Joux. Puis, il a été reçu au Palais de l’Elysée pour une réunion de travail avec le président français François Hollande. Ce dernier voyage en Europe aurait été sans histoire si le président Martelly ne s’était pas aventuré à accorder une entrevue à trois (3) journalistes français chevronnés de la Chaîne TV5, du Monde et de Radio France Internationale (RFI). La performance du président laissait à désirer. Des entrevues de ce genre se préparent.

F. DES FAITS SAILLANTS

Arrestation du multimillionaire Clifford Brandt

De nombreux événements ont défrayé la chronique au cours de l’année 2014. Citons notamment :

• la disparition de l’homme d’affaires Evinx Daniel qui, semble-t-il, a troublé le sommeil de certains caciques évoluant dans l’entourage du président Martelly ;
• la grève des professeurs des écoles publiques, suivie de la manifestation des élèves pour exiger le paiement des salaires des professeurs ;
• la séquestration du recteur de l’Université d’État d’Haïti, l’agronome Jean Vernet Henry, et du responsable de l’Université de Limonade, le professeur Jean-Marie Théodat par des étudiants de ladite université ;
• la Cour d’Appel de Port-au-Prince a émis un arrêt, dans le cadre de l’assassinat de Jean-Dominique et de Jean-Claude Louissaint, renvoyant 9 membres du Parti Fanmi Lavalas devant la juridiction de jugement ;
• les ennuis judiciaires de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide qui n’a pas répondu à de nombreux mandats émis par le juge d’instruction Lamarre Bélizaire qui l’a finalement placé en résidence surveillée ;
• la mort de l’ambassadeur Guy Alexandre qui a jeté dans l’émoi l’intelligentsia haïtienne ;
• l’irruption de l’épidémie de fièvre chi kun gun ya qui a affecté des centaines de milliers d’habitants sur le territoire national ;
• la mort de l’ancien président Leslie Manigat qui a bénéficié de funérailles officielles de la part du pouvoir et qui a réussi à rassembler autour de sa dépouille la classe politique haïtienne ;
• l’arrestation de Woodley Etheart, dit Sonson la familia, sous la prévention de kidnapping, d’association de malfaiteurs et de blanchiment d’argent ;
• l’arrêt de la Cour d’Appel, renvoyant l’ancien président Jean-Claude Duvalier devant le tribunal pour crime contre l’humanité ;
• l’évasion spectaculaire de plus de trois cent (300) détenus de la prison civile de la Croix-des-Bouquets dont Clifford Brandt en cavale pendant deux jours ;
• la grève de faim du député Arnel Bélizaire, dans la salle de séance du Parlement, s’est terminée en queue de poisson ;
• la décision maladroite de la DGI mettant en vente une vignette en même temps que le lancement d’une nouvelle plaque d’immatriculation ;
• la mort de l’ancien président-à-vie Jean-Claude Duvalier et la controverse sur le type de funérailles (nationales, officielles, privées) à lui accorder.
• l’arrestation de Rony Timothée et de Biron Odigé, au cours de la manifestation du 26 octobre 2014, allonge la liste des prisonniers politiques, incluant les frères Florestal et d’autres manifestants ;
• l’arrestation de l’homme d’affaires Nazaire, un proche de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, et du commissaire de police Télémaque Claude, affecté au commissariat de police de Léogane et leur extradition aux États-Unis, par le service de police fédéral américain (Drug Enforcement Agency) ;
• la présence du beau-frère du président Martelly, Monsieur Charles « Kiko » Saint-Rémy, dans la manifestation organisée le 18 novembre 2014 à Port-au-Prince par l’opposition radicale contre le pouvoir et dénonçant les mauvais agissements du Premier ministre Laurent S. Lamothe.

G. LE 3e ANNIVERSAIRE Á LA PRÉSIDENCE


Le troisième anniversaire du président Martelly au pouvoir et le deuxième anniversaire à la primature du Premier ministre Lamothe ont été commémorés dans une ambiance de carnaval. D’aucuns s’attendaient à un bilan des réalisations du Pouvoir Exécutif en termes des 5 « E », prônés par le président Martelly :
• Éducation : Les résultats des examens officiels démontrent la mauvaise qualité de l’enseignement dispensé dans la plupart des écoles haïtiennes. L’accent est actuellement mis sur l’amélioration de la qualité de l’éducation ;
• Emploi : le chômage affecte plus de la moitié de la population active du pays. Aucune statistique n’est disponible sur le nombre d’emplois créés en Haïti depuis l’accession du président Martelly au pouvoir. Personne ne sait de combien le chômage a régressé après trois ans de pouvoir ;
• Énergie : l’électricité d’Haïti (Ed’H) est en faillite. Le black-out fait rage dans le pays. La révocation du ministre de l’Énergie, la succession de cinq directeurs généraux à la tête de l’Électricité d’Haïti (Ed’H), les manifestations des populations de villes de province, réclamant le courant électrique, traduisent les mauvais résultats du secteur ;
• Environnement : la couverture végétale du pays est réduite comme peau de chagrin. Il suffit de deux jours consécutifs de pluie pour que des villes soient inondées, avec leur lot de dégâts matériels et de pertes en vies humaines tant nos mornes sont dénudées ;
• État de Droit : l’indépendance et la séparation du Pouvoir Judiciaire sont remises en question par : le non renouvellement du mandat des juges selon le vœu de la loi, le mauvais fonctionnement du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), la révocation du magistrat Lionel Bourgouin, suite à un conflit avec le secrétaire général de la Présidence au sujet de la publication des règlements internes du CSPJ dans leMoniteur, les arrestations illégales et arbitraires d’opposants politiques et l’instrumentalisation de la justice.

Ces « E » sont devenus de plus en plus brouillés depuis que le Premier ministre Laurent S. Lamothe a ajouté des plans spéciaux pour chaque commune, voire localité, dans laquelle s’organisent les fameuses réunions dénommées « Gouvenmam Lakay ». Il eût mieux valu pour un pays aspirant à devenir émergent dans 15 ans de disposer d’un Plan quinquennal qui ferait l’objet d’évaluation périodique.

H. L’INTENSIFICATION DES MANIFESTATIONS DE RUE


A mesure que les jours passent, les chances de la réalisation des élections prévues le 26 octobre 2014 s’amenuisent. Parallèlement, les manifestations de rues, organisées par les partis d’opposition réclamant le départ du pouvoir du président Martelly, se sont intensifiées.

De nombreuses villes de province, comme le Cap-Haïtien, Les Cayes et Petit-Goâve ont relayé les mots d’ordre de manifestations émis par les partis d’opposition. A Port-au-Prince, ces manifestations ont souvent donné lieu à des échauffourées entre les manifestants et les agents de la Police Nationale d’Haïti (PNH) qui ont fait de plus en plus l’usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour dissuader les manifestants. En d’autres occasions, les agents de la police procèdent à l’arrestation des chefs de file. Ce que les partis de l’opposition assimilent à des arrestations illégales et arbitraires. Aussi, réclament-ils la libération des prisonniers politiques.

Parallèlement, le vote de l’amendement de la loi électorale qui aurait habilité le Conseil Électoral Provisoire à organiser lesdites élections, est dans l’impasse. Les 6 sénateurs de l’opposition ont tenu tête au pouvoir en boycottant toute tentative de réunion au Sénat de la République jusqu’à la fin de la dernière session de la 49e législature, le deuxième lundi de septembre 2014. Ces sénateurs ont résisté à toutes les pressions provenant de toutes parts, du pouvoir exécutif, de la société civile, des représentants aussi bien de gouvernements étrangers que d’organisations internationales.

La récente visite de représentants du Département d’État américain n’a pas réussi à faire plier les 6 sénateurs et les partis politiques de l’opposition qui les supportent. Aussi, la reprise des manifestations de rue, réclamant le départ de l’exécutif, est-elle susceptible de transformer la crise électorale en une vraie crise politique. Parce que si des élections ne sont pas organisées pour le renouvellement de la chambre des députés et du mandat des 2/3 du Sénat, le Parlement sera dysfonctionnel le 12 janvier 2015.

Alors, incapable d’appliquer l’article 12 de l’Accord d’El Rancho et face à la tournure prise par la crise politique, le président Martelly a recouru à des consultations avec les représentants de nombreux secteurs de la vie nationale. L’opposition politique jugée irréductible réclame à cor et à cri des négociations avec le président pour trouver une issue à la situation d’impasse politique.

I. CONSULTATIONS ET PROPOSITIONS DE SORTIE DE CRISE


Depuis le mois de septembre 2014, le président Martelly a lancé une série de consultations avec des personnalités venant d’horizons divers, notamment des représentants de partis politiques, de la société civile, du secteur privé des affaires, des leaders religieux, des vodouisants, de la presse et des associations de femmes. Le but de ces consultations était de lui permettre d’appréhender les tenants et aboutissants de la crise préélectorale qui sévit actuellement dans le pays.

Ces consultations lui ont également permis de recueillir un ensemble de propositions de sortie de crise. La plupart des propositions suggèrent le remplacement du gouvernement dirigé par le Premier ministre Laurent Lamothe, la prolongation du mandat des Parlementaires au-delà du 12 janvier 2015 et l’organisation des élections communales, législatives et sénatoriales dans le meilleur délai. Le président a promis d’en effectuer une synthèse ainsi qu’une présentation à la Nation.

D’un côté, nombreux sont les observateurs et analystes politiques qui assimilent ces rencontres à une manœuvre dilatoire, consistant à faire passer le temps. Dans son entrevue à la chaîne TV5, le président Martelly n’avait-il pas laissé entendre qu’il attendrait le 12 janvier 2015 pour prendre les dispositions nécessaires en vue d’organiser les élections en attente depuis son accession à la Présidence en 2011. D’un autre côté, les partis d’opposition radicale continuent de réclamer la démission du gouvernement, la formation d’un Conseil Électoral Provisoire équilibré, suivant l’esprit de l’article 289 de la Constitution, préalablement au vote de l’amendement de la loi électorale par le Sénat de la République ainsi que l’organisation d’élections générales dans le pays en 2015.

Le 28 novembre 2014, le suspense était à son comble. La radio annonçait que le président allait présenter la synthèse des propositions, au terme des deux mois de consultations engagées avec les différents secteurs. Coup de théâtre ! C’est le ministre de la Communication qui est intervenu dans les medias pour lire un arrêté pris en Conseil des Ministres et portant création d’une Commission présidentielle consultative chargée d’effectuer une recommandation au président Martelly, sur la base des idées et propositions recueillies au cours des consultations.

Cette commission est composée d’une dizaine de personnalités provenant notamment des secteurs religieux, politiques et de la société civile. Enfin, le président Martelly a, dans un bref message, déclaré combien le pays était divisé et s’en remettait à une commission pour lui faire une recommandation de sortie de crise. La durée du mandat de ladite commission est de huit (8) jours, probablement à partir de la date de son installation. Le 15 décembre, la Commission recommande les démissions du gouvernement Lamothe, du président du CSPJ, des membres du CEP, la libération des prisonniers politiques comme mesures d’apaisement. Le 25, Martelly choisit de présenterYvens Paul, le leader de la KID comme futur premier ministre, devant un Sénat hostile. Entre-temps, à l’approche de la fin de l’année 2014, on a observé une recrudescence des actes d’insécurité. Il ne s’est passé une semaine sans que de paisibles citoyens haïtiens ne fussent victimes de braquages et d’attentats par balles, soit au centre-ville de Port-au-Prince, à Delmas, à Pétion-Ville ou dans d’autres villes de province. Ainsi, l’insécurité, l’organisation répétée de manifestations de protestation et le blocage incessant des voies de communication interrégionales alimentent l’instabilité sociopolitique. Donc, la non organisation d’élections pour le renouvellement périodique des institutions démocratiques, l’incapacité des forces de police à garantir la sécurité des vies et des biens correspondent toutes à de l’instabilité. Une situation qui ne peut être profitable qu’à la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) dont le mandat est renouvelé jusqu’en octobre 2015.

II. SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE

L’instabilité politique et sociale a créé beaucoup d’incertitude dans l’économie haïtienne. De plus, Haïti continue de récolter de mauvais scores dans le rapport publié dans le magazine « Foreign Policy ». En 2014, le pays a occupé la 8e place parmi les 10 États faillis du monde, en compagnie de l’Afghanistan, du Yémen, du Soudan du Sud, du Tchad, de la République Démocratique du Congo et de la Somalie. Haïti a perdu également quelques places au classement du rapport de « Doing Business » sur l’environnement des affaires.

Il est impossible dans ces conditions d’attirer l’investissement direct étranger. Il est tout aussi difficile dans ces conditions d’attirer des touristes pour assurer le taux d’occupation nécessaire à la rentabilité des nouvelles infrastructures hôtelières construites à Pétion-Ville et dans d’autres régions du pays.

Sans investissement direct étranger et sans tourisme, il est difficile de produire des richesses, de créer des emplois en vue d’augmenter la croissance économique, susceptible de réduire le taux de chômage élevé qui affecte plus de 50% de la population économiquement active du pays. Actuellement, l’on estime qu’un quart de la population économiquement active vit avec moins d’un dollar américain par jour, c’est-à-dire en dessous du seuil de pauvreté.

Le budget de l’année fiscale 2013-2014, adopté par le Parlement en milieu d’année fiscale, a été réduit à la baisse, vu l’incapacité de collecte de taxes et d’impôts. Les dépenses de salaires représentent près de 90% du budget de fonctionnement. Le budget d’investissement est financé presqu’en totalité par les bailleurs de fonds internationaux. En 2014, une conjugaison de sécheresse et d’inondations a occasionné une perte de récoltes, évaluée par la Commission Nationale de Sécurité Alimentaire (CNSA) à sept millions de dollar américain. En conséquence, le pays importe presque tout ce qu’il consomme. Le déficit de la balance commerciale avec la République Dominicaine s’est creusé davantage. Comment un pays si dépendant de l’étranger pour sa consommation et le financement de son budget d’investissement, un pays dépourvu d’infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires adéquates peut-il prétendre devenir émergent dans un horizon de 15 ans ? L’inauguration de l’aéroport du Cap-Haïtien rénové et celle du premier vol de la American Airlines reliant Miami et Cap-Haïtien, n’ont pas modifié la donne.

Le pays génère actuellement moins de 200 mégawatts d’électricité pour une population de près de 11 millions d’habitants. En conséquence, les entreprises privées haïtiennes sont obligées d’utiliser des génératrices pour s’alimenter en énergie électrique. Dans ces conditions, elles sont difficilement compétitives avec des coûts de production aussi élevés. Ces coûts seront exacerbés par l’augmentation progressive des prix du carburant. Le Gouvernement a décidé de surseoir à la subvention du prix du carburant en vigueur depuis 2010.

Il en est résulté une augmentation du coût de la vie. Parallèlement, la dépréciation de la gourde s’est accélérée. La Banque de la République d’Haïti (BRH) s’est vue dans l’obligation d’intervenir constamment sur le marché de change pour soutenir la valeur de la gourde. Jusques à quand la BRH pourra-t-elle continuer à intervenir, vu que les réserves nettes de change ne sont pas inépuisables ?

Selon les économistes, n’étaient-ce les transferts en provenance de la diaspora, la valeur de la gourde par rapport au dollar américain se serait déjà effondrée. Par ailleurs, le pays a débuté l’année fiscale 2014-2015 sans un budget dûment voté par le Parlement. Le maintien d’une discipline fiscale susceptible de garantir les grands équilibres macroéconomiques s’est avéré problématique.

III. SUR LE PLAN SOCIAL

Le pays a connu quelques succès symboliques notoires dans le domaine social, culturel et religieux. Monseigneur Chibly Langlois est élevé au cardinalat par le Vatican, devenant ainsi le premier Cardinal haïtien. Madame Michaëlle Jean est élue Secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), succédant à l’ex-Président sénégalais Abdou Diouf. L’écrivain Yanick Lahens a remporté le Prix Fémina en France. Le Collège Catts Pressoir retient l’attention du monde de l’éducation sur le plan international en obtenant de hautes distinctions.

Ces exploits n’ont pas empêché Haïti de figurer sur la liste des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental. Les Haïtiens vivent dans une situation d’extrême précarité. Les plus courageux continuent de risquer leurs vies sur de frêles esquifs à la recherche de meilleures conditions de vie aux Iles Turcs et Caïcos, aux Bahamas, à Miami et à Porto Rico. C’est par centaines que, chaque mois, des pays comme la République Dominicaine, Les Bahamas, les Iles Turcs et Caïcos et les États-Unis rapatrient ceux et celles de nos compatriotes qui ont réussi la traversée. Le Gouvernement multiplie les projets sociaux. Le programme dit « EDE PEP » est constitué d’une panoplie d’interventions de façade visant à soulager la misère du peuple. Un autre programme dit « Gouvenman Lakay ou » a déjà séjourné aux Gonaïves, à l’ile de la Gonâve, aux Côtes de Fer et à Cité Soleil, en vue de promouvoir les actions du gouvernement. Mais ces projets ne représentent que des palliatifs dans le cadre de la lutte contre l’extrême pauvreté qui sévit actuellement. Par ailleurs, le pays est extrêmement vulnérable aux aléas climatiques. En témoignent les dernières pluies, résultant du passage d’un front froid au nord de l’ile d’Haïti, qui ont causé des inondations suivies d’innombrables dégâts matériels et de pertes en vies humaines au sein des populations de Martissant, du Cap-Haïtien, de Port-de-Paix et des Irois, par exemple.

C’est dans ces conditions politiques, économiques et sociales difficiles que le pays s’apprête à accueillir l’Année 2015. A cent ans de la première occupation du pays par les « Marines » américains, les élites haïtiennes sauront-elles s’élever à la dimension de leur mission historique pour éviter davantage de souillure de la souveraineté du pays ou verra-t-on la concrétisation des prédictions des Cassandres, cinq ans après le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010 ?

Michel Soukar

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