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Me. Gerard Gourgue
(Deuxième partie) Par Jean-Marie Beaudouin … Au prime abord, nous souhaitons dire ceci: il est du devoir et de la fonction d’un narrateur de réunir l’ensemble des faits, des actes et des facteurs idéologiques qui entourent un évènement dont il se propose d’en faire un livre, un pamphlet ou un article de journal.
Ce qui exige de l’auteur un effort analytique approfondi, avec à l’appui des données d’appréciation valides à l’effet de permettre à ses lecteurs et admirateurs de revivre l’évènement dans ses tenants et aboutissants. Aussi est-il nécessaire de rappeler que la conscience humaine s’est développée, au cours de l’histoire, au moyen des discours oraux et des oeuvres écrites: transmission orale et écrite, l’alma mater pour ainsi dire.
Tel n’est pas le cas que nous allons tenter de traiter ici, puisque l’évènement que nous avons annoncé dans la première partie ne s’était pas produit. Étouffée dans l’oeuf, la conférence de la Ligue haïtienne des droits humains, dont maître Gérard Gourgue présidait les destinées, ne s’était pas tenue réellement. Et, avec la manière brutale dont elle fut écrasée, les conférenciers, pris dans une souricière, n’avaient pas eu le temps d’en faire l’annonce du texte liminaire d’usage, ni d’en annoncer la date de la tenue d’une nouvelle conférence sur les droits de l’homme sous le gouvernement de Duvalier. C’était le sauve-qui-peut. Néanmoins, l’impact que cet évènement produisit sur la psychologie de l’époque était si grand qu’il scella irréversiblement le sort du régime autocratique et obscurantiste du président Jean Claude Duvalier.
Ce dernier, victime d’une myopie politique latente, lisait à peine avec son monocle la conjoncture nationale; tandis que la communauté des intellectuels d’avant-garde jugeait bon de la lire soigneusement avec ses binocles. Ce qui faisait une grande différence entre le gouvernement, frappé de myopie et de sénilité, qui croyait pouvoir diriger ad vitam æternam avec le bâton, le revolver, le fusil, d’une part, de l’autre côté de la barricade, il y avait une opposition qui, dotée d’une haute conscience des lois historiques qui président aux changements sociaux, était capable de provoquer les évènements et de se liguer contre le pouvoir hégémonique de Duvalier lui-même.
Fòk ou pase maladi pou konn remèd. En tout état de cause, la conférence ratée/manquée du vendredi 9 novembre 1979 fut un agréable dilemme pour l’opposition, mais très mauvais pour les macoutes duvaliéristes qui ne l’ont jamais digéré. On peut l’interpréter, par son influence qu’elle exerça sur la conscience et la mémoire collectives, de la façon suivante: Kidonk sòs la te koute pi chè ke vyann nan. En français: la sauce coûtait plus cher que la viande elle-même. Même si la sauce n’est autre qu’un accessoire dérivé de la viande cuisinée. On se demande, parfois, si la conférence avait eu lieu sans tapage et sans casse aurait-elle produit cet impact d’envergure nationale?
Mais les duvaliéristes sont incapables de comprendre que la démocratie est ennemie de la violence, de la terreur, de la barbarie et de la sauvagerie. Au demeurant, il se constate que les duvaliéristes, tant en idée qu’en pratique factuelle, ne connaissent que la dictature comme civilisation. Étrangers au concept de démocratie, de l’État de droit, ils ne comprennent pas les mutations se développant autour d’eux et ne songent même pas à s’y remédier de la maladie des nerfs dont ils souffrent depuis le berceau.
La connotation des malades mentaux est bien réelle chez eux. Au niveau de la pensée humaine, leur singulier développement s’arrête au « colorisme de classe » qu’ils définissent, dans leur esprit fébrile, ainsi: noirisme contre mulâtrisme. Une légende que les duvaliéristes partagent avec la catégorie des mulâtristes. Les premiers voient partout la main des mulâtres en ce qui concerne des rapports économiques et financiers; les seconds, pareils, voient dans toute action politique des masses la main des noirs. Deux groupes sociaux fondamentalistes qui divisent le pays depuis sa fondation, et le font perdre toutes les chances d’un réel démarrage de développement national autonome, pour ainsi dire. C’est une tristesse au regard des progrès de la science moderne. Pis, il semble que les yeux ne sont pas encore dessillés; puisque, timidement, la propagande de réhabilitation du duvaliérisme est mise en marche.
Préambules et décors de la conférence
Cette conférence de la Ligue des droits humains succède trois semaines plus tôt à celle tenue en la résidence de feu maître Grégoire Eugène, sise à Fontamara, limitrophe à l’actuelle commune de Carrefour. Dans cette banlieue de Port-au-Prince logeaient aussi le siège des imprimeries Fardin et du journal hebdomadaire Le Petit Samedi Soir (PSS) où le jeune Gasner Raymond travaillait comme journaliste-reporteur-enquêteur, qui fut assassiné par les escadrons de la mort au service du gouvernement dictatorial des Duvalier. La nouvelle tombait comme un couperet pour sa famille et ses proches, mais aussi pour les forces sociales rattachées à l’opposition de l’époque. Gasner Raymond (1953 – 1976), de regrettée mémoire, fut retrouvé mort à 23 ans d’âge, le 1er juin 1976, du côté de Brache, localité de Léogâne/Ouest.
Nous avons dû jeter ce regard rétrospectif particulier à cause de la proximité des innombrables victimes des tontons macoutes. Figure éminente du monde de la basoche, avocat militant et professeur d’université, Grégoire Eugène fut aussi un homme politique prolifique en écriture, qualité qui déplaît aux duvaliéristes d’hier et d’aujourd’hui. Il arborait, dès les premières heures de la dictature, le drapeau de la résistance et se préoccupait en même temps de la formation de conscience des jeunes autour des idéaux d’humanisme et de démocratie. Il fonda le Parti Social Chrétien Haïtien (PSCH) en 1979 dont il devint légitimement le leader principal.
Toutefois, son organisation politique ne sera légalement enregistrée qu’en octobre 1986 à cause de la dictature dont les barbares qui l’ont instaurée étaient aux antipodes des libertés individuelles, du monde civilisé tout court. Son parti politique était l’une des rares organisations à avoir son propre organe: « FRATERNITÉ ». Bien qu’il s’agisse d’une personnalité qui se passe de présentation, nous manquerions à notre devoir moral si nous devions passer sous silence Grégoire Eugène, figure de proue de l’opposition à l’époque. Autant dire qu’il est généralement admis que sa conférence fut le prélude à celle de maître Gourgue, qui sera qualifiée d’historique. Point de départ de la chute du régime des Duvalier, dans les milieux de l’opposition. D’abord, en termes de communication et de relations publiques autour du déroulement de la conférence proprement dite, c’était terriblement difficile dû aux conditions contraignantes de l’époque: la presse indépendante fut bâillonnée; des lois draconiennes, prises sous le gouvernement de François Duvalier, supprimant la liberté d’expression et des libertés publiques, étaient encore en vigueur.
La loi du 29 avril 1969, l’une des plus terribles des arsenaux des Duvalier, en explique pour l’essentiel la nature despotique du régime sous lequel était soumise la société dans ses secteurs vitaux de la vie nationale. La seule possibilité qui eût pu permettre de faire passer le message était d’utiliser les canaux traditionnels: « de bouche à oreille »; encore faut-il souligner que la présence des macoutes représentait un obstacle: ces derniers opéraient beaucoup plus comme une police politique qu’une milice, d’après nos observations. Mais, malgré les embûches dressées sur la route des conférenciers, le boulot avait été fait et la tenue de ladite conférence dans la paroisse de Saint Jean Bosco, fût-elle brisée manu militari, va le prouver.
Vendredi 9 novembre 1979, dans l’après-midi, les yeux étaient virés vers ladite paroisse sise au boulevard Jean-Jacques Dessalines, direction Nord. Y compris ceux qui se payaient le déplacement et ceux, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ne pouvaient pas le faire pour assister à cet instant historique. Le besoin de se libérer, de s’en sortir de la bêtise se faisait sentir dans tous les compartiments de la société et se manifestait dans la détermination courageuse des forces sociales de l’époque. Vendredi 9 novembre 1979, entre 6h et 6h30 minutes du soir, l’auditorium de saint Jean Bosco, qui avait été conçu pour accueillir une centaine de personnes assises et peut-être le double debout, était rempli comme un oeuf. Le chiffre avoisinait le quintuple: parce que les jeunes de l’époque faisaient preuve d’une capacité extraordinaire dans l’organisation de l’infrastructure de fortune: ils eurent donc le temps de monter/fabriquer des stands à l’intérieur même de l’auditorium. On se croirait même au carnaval pendant les trois jours gras traditionnels.
Le ciel bleu de la liberté, paré d’étoiles, pour cette soirée d’automne, fut beau et jetait son dévolu sur l’évènement qui allait se produire. Aux abords de l’église y compris sa façade orientée vers le cinéma « Airport Ciné », les badauds étaient quasiment inchiffrables/indicibles. Il convient ici de rappeler que maître Gourgue n’était pas directement dirigeant de parti politique, mais son aura et son influence sur l’esprit intellect l’avaient rendu célèbre. Il jouit encore aujourd’hui de l’estime auprès de la jeunesse militante. L’auteur était compté parmi ses admirateurs et croit qu’il est une valeur sûre pour le pays, une personnalité digne d’estime. « Rendre à César ce qui est à César; à Dieu ce qui est à Dieu », proverbe d’origine biblique. Entre autres choses, en sa qualité de professeur d’université où il enseignait le droit constitutionnel, il créa, en 1978, « La Ligue haïtienne des droits humains », son instrument de combat.
En dehors de ses qualités morales et intellectuelles, il s’est révélé un démocrate progressiste indiscutable: il avait pris une décision courageuse le 20 mars 1986 lorsqu’il se retira du Conseil National de Gouvernement (CNG) comme ministre de la Justice sous la demande expresse des organisations de base des quartiers populaires de l’époque. Un phénomène rarissime dans notre landerneau, où le mercantilisme politique domine en dehors des normes déontologiques. «Pito nou lèd men nou la», formule qui devient la norme, malheureusement. Compte tenu du prologue navrant et troublant du processus de réhabilitation de Duvalier, sur lequel nous voulons donner notre point de vue, nous avons cru devoir produire un troisième texte final dans lequel nous apporterons les circonstances ayant caractérisé le dernier acte de l’évènement que nous avons vécu comme observateur intéressé lors de la prise d’assaut des lieux où allait se tenir la conférence.
A suivre…