Une vue du marché binational de Malpasse
Le marché de Malpasse est devenu,depuis belle lurette, le point commercial le plus fréquenté entre Haïti et la République dominicaine où transitent 32% du commerce transfrontalier. Cependant, ce marché binational présente une problématique assez sérieuse puisqu’il est marqué par un déséquilibre avéré dans le commerce entre les deux pays.
Entre Jimani et Fond-Parisien, l’afflux des produits dominicains est tel que l’on se questionne déjà sur l’avenir de ce marché contrôlé absolument par les Dominicains.
Avant le séisme du 12 janvier 2010, Haïti était le deuxième partenaire commercial de la République dominicaine. Selon le Centre d’exportation et d’investissement de la République dominicaine (CEI-RD), l’équivalent du Centre de facilitation des investissements (CFI) haïtien, l’échange commercial entre les deux pays totalisait 631,14 millions de dollars américains jusqu’en 2009. Après le tremblement de terre, les chiffres ont pratiquement doublé et les exportations ont atteint la barre des 35%. Selon Fernando Ramón Novas Santana, maire de Jimani, quatre points principaux sont utilisés pour le développement de ce commerce formel et informel. Ce sont les quatre grands marchés binationaux : Malpasse-Ganthier (32%), Dajabón-Ouanaminthe (25%), Elías Piña-Belladère (24%) et Pedernales-Anse-à-Pitres (19%). Le marché de Malpasse est donc le plus important point de vente.
Cependant, au marché de Malpasse, rien ne donne vraiment l’allure d’un marché binational. Au cours de notre visite, en avril dernier à Malpasse et à Jimani, nous avons constaté que les Dominicains sont en position de force et qu’ils contrôlent de fond en comble la frontière. En guise d’échanges commerciaux, on était de préférence en présence d’un marché dominicain où des commerçants haïtiens viennent s’approvisionner.
L’inéquation d’un marché binational
Le marché haïtien à Malpasse ne se diffère pas des autres tant il est marqué par un archaïsme désolant. Sans eau, ni électricité, ni toilettes, ce marché pose de sérieux problèmes de santé publique. Des flaques d’eaux stagnent et des piles d’immondices se rencontrent tous les vingt-cinq (25) mètres, dégageant une odeur nauséabonde. Plus de la moitié de la population de Fond-Parisien vit des activités du marché de Malpasse qui, pourtant, ne dispose même pas des commodités de base pour recevoir marchands et visiteurs.
En outre, cet espace si exigu est en piteux état et le déséquilibre est patent dans la taille des marchés. Le petit marché haïtien s’étend sur une superficie ne dépassant pas 200 mètres carrés, alors que celui des Dominicains s’étend sur plus de quatre cent cinquante (450) mètres carrés. En plein cœur du marché, un vendeur de DVD tourne, avec quiétude, un film pornographique que regardent sans gêne des mineurs. Outre les boissons gazeuses et alcoolisées, presqu’aucun autre produit national n’est présent. Des fripières à tribord et à bâbord, d’autres produits de beauté et alimentaires pour la plupart « made in China » ou « made in USA ». Pas de grands centres commerciaux, encore moins de grands dépôts. Ce marché se compose à 90% de petits détaillants et l’absence de la production nationale est criante.
Alors que du côté des Dominicains, le marché est constamment en chantier. Plusieurs centres commerciaux sont en train d’être construits et quelques grands commerçants occupent de grands espaces où s’étalent des tonnes de marchandises. Elles viennent toutes des usines dominicaines et plus d’une dizaine de containers débarquent constamment de grands stocks de produits. A vue d’œil, la disproportion est grande et même exaspérante. Des petits restaurants ambulants, de la farine et des jus dans des canettes, occupent la principale entrée de la partie dominicaine. Au fond du marché, on retrouve surtout des œufs, de la figue-bananes, des assiettes en carton et surtout des détergents. Des acheteurs haïtiens s’approvisionnent en grande quantité et plusieurs dizaines de camions en provenance des départements de l’Ouest et du Sud embarquent à longueur de journée.
Les contrastes du marché
Les Dominicains fournissent des produits agricoles et cosmétiques à Haïti. Tandis que les Haïtiens se contentent d’exposer, eux, des produits importés. L’artisanat et les mangos Francisque que d’ailleurs les Dominicains ne produisent pas ne figurent pas sur les étalages des marchands haïtiens rencontrés à Malpasse. Pire, les marchands et exportateurs haïtiens font peu de cas des oiseaux et des produits de la pêche très exploitables avec la montée des eaux du lac Azueï.
L’espace compris entre Jimani et Ganthier est, aux yeux de plusieurs observateurs, une route incontournable pour le commerce haitiano-dominicain. Le paradoxe existant entre cette zone pleine de ressources et la pauvreté criante des habitants saute aux yeux. A en croire Ralph Lapointe, maire de Ganthier, le non-contrôle du flux des passagers qui traversent la frontière, la contrebande qui existe des deux côtés de cette frontière et le marché binational qui reste encore très informel, comptent parmi les grandes causes de cette pauvreté de la zone, en dépit des ses nombreuses richesses.
D’autres anomalies sont constatées. Par exemple, tout au long de la frontière, de nombreuses unités spécialisées de l’armée dominicaine assurent la sécurité et contrôlent la barrière dominicaine. Ces agents arrêtent, comme bon leur semble, acheteurs et marchands haïtiens et les houspillent certaines fois. Alors que seulement une dizaine de policiers très mal équipés patrouillent aux abords de la douane haïtienne. A quelques mètres de la barrière, se trouve le sous-commissariat de Malpasse qui abrite une quinzaine d’agents.
Outre les quatre grands marchés suscités, les échanges commerciaux entre Haïti et la République dominicaine se font au niveau de 14 marchés binationaux. Selon la firme CEI-RD, 51.1% des vendeurs ont été en 2010 des Haïtiens et 48.23%, des Dominicains alors que 0,67% étaient des vendeurs d’autres nationalités. N’empêche, la production nationale haïtienne est très faible par rapport à celle présentée par les Dominicains. D’ailleurs, entre février et mars de cette année, les exportations dominicaines vers Haïti ont augmenté de plus de 7%.
Tout montre que la production locale, présente au marché binational de Malpasse, est en nette régression depuis ces dix dernières années, selon Miguel Alcé, expert agroalimentaire. Toujours est-il que la faisabilité de la relance de la production nationale prônée par les nouvelles autorités parait encore très hypothétique. Les défis sont grands et les enjeux semblent plus grands qu’on le prétend.