Jojo Lorquet
Le Nouvelliste- Les autorités judiciaires ont découvert un trafic de fausses cartes d’identification donnant accès à des privilèges en douane, au port d’armes, à l’utilisation de vitres fumées, de gyrophare et de sirène. Dans le cadre de cette affaire, Jojo Lorquet et Patrick Maître, respectivement ami et chauffeur du président Martelly, ont été arrêtés puis écroués à cause de leur complicité présumée avec Ernst Laventure Edouard, alias Mòlòskòt, ex-journaliste, coordonnateur général des douanes autodésigné, accusé d’usurpation de titre, d’usage de faux et d’association de malfaiteurs. Pour eux, le président ne lèvera pas le petit doigt. Chacun devra répondre de ses actes devant la justice.
Gardé à vue au commissariat de Pétion-Ville depuis samedi, Jojo Lorquet, promoteur, organisateur de bals et proche du président Michel Joseph Martelly, a été mis en examen et écroué au pénitencier ce lundi sur ordre du juge d’instruction Bélizaire Lamarre, a appris le journal de source policière. « Ce magistrat, en charge du dossier Mòlòskòt, avait sollicité le soutien de la police samedi et encore ce mardi, cette fois, pour appréhender, non loin de chez lui à Frères, Patrick Maître, chauffeur du chef de l’Etat », a confié cette source.
Ces deux suspects seraient de méche avec Ernst Laventure Edouard, alias Mòlòskòt, ex-journaliste, coordonateur général des douanes autodésigné, accusé d’usurpation de titre, d’usage de faux et d’association de malfaiteurs. Ernst Laventure Edouard, selon l’information judiciaire, a distribué, sans titre ni qualité, des badges estampillés « présidence », « coordonnateur général des douanes » habilitant le porteur à circuler avec une arme à feu.
Le porte-parole de la présidence, Lucien Jura, a « confirmé » ces arrestations. Le président Martelly, promoteur de l’Etat de droit en Haïti, ne lèvera pas le petit doigt en faveur de ces derniers. « Il n’y aura aucune couverture de la présidence », a-t-il dit, rappelant que le chef de l’Etat a toujours souligné que chacun répondra de ses actes face aux autorités judiciaires. Sur l’arrestation de Patrick Maître, chauffeur du président, le ton ne change pas. « Tolérance zéro. Ce n’était pas nécessairement le cas avant l’arrivée du président Martelly, mais maintenant, nul ne peut se prévaloir de ses accointances pour violer la loi impunément », a expliqué Lucien Jura. « L’exemple doit venir d’en haut et le président Martelly le donne », a-t-il enchaîné, revenant sur le cas de Calixte Valentin. Ce proche du président, incarcéré pour avoir tué Octanol Derissaint à Fond-Parisien, a été arrêté, emprisonné puis libéré par un juge, a rappelé le porte-parole de la présidence.
Cette libération qui avait fait tout un tollé a été dénoncée par des organisations des défenses de la personne. Le juge Fermo Jude Paul a été désigné pour cette besogne, avait dénoncé des militants des droits de l’homme. Il n’y a pas eu d’interférence de l’exécutif dans ce dossier, avait en substance rétorqué le ministre de la Justice, Me Jean Renel Sanon.
Mòlòskòt à couvert, pas en cavale
Entre-temps, des sources proches de l’enquête ont révélé que Ernst Laventure Edouard, alias Mòlòskòt, est en cavale. « Il n’est pas en cavale mais à couvert », a nuancé son avocat Me Harrycidas Auguste, ajoutant que son client avait demandé au juge Bélizaire Lamarre de se « déporter » du dossier. « Le déport est volontaire. On a constaté que le juge ne l’a pas fait. Maintenant nous avons entamé une procédure de récusation du juge à cause de suspicion légitime», a confié Me Harrycidas Auguste. Le juge a fait preuve « d’empressement » qui laisse croire que sa conviction a été formée bien avant de prendre pleine connaissance de ce dossier en décernant un mandat de comparution, a expliqué l’avocat, rappelant que le juge instruit à charge et aussi à décharge.
« Dans le cas de mon client, il semble instruire à charge uniquement », a souligné Me Harrycidas Auguste. Le juge a effectué une perquisition, dans une chambre de l’hôtel Villa Impérial où vivait Mòlòskòt et apposé un scellé sur l’hôtel, a indiqué l’avocat qui a apporté d’autres précisions sur ce qui a été dit sur Scoop fm, à l’émission Haïti-Débats du journaliste vedette Gary Pierre Paul Charles.
Mòlòskòt, délateur, a donné une liste au juge ? « Non, c’est faux et archi-faux », a rétorqué Me Harrycidas Auguste. Le commissaire du gouvernement avait apposé un scellé sur le bureau de Mòlòskòt à la douane et saisi des documents. Cela a été le cas pour le juge d’instruction qui a des listes, a nuancé l’avocat de Ernst Laventure Edouard (Mòlòskòt). Le journal n’avait pas pu confirmer dans un premier temps s’il y a des interdictions de départ contre d’autres suspects. « Le parquet a acheminé le dossier au cabinet d’instruction. L’instruction est secrète. On ne sait pas s’il y a eu des ordres d’interdiction de départ », a confié le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, ajoutant que le juge instructeur a le droit de prendre une telle mesure.
Des sources proches de l’enquête ont en revanche confirmé un peu plus tard dans la soirée de ce lundi qu’un peu plus d’une centaine de personnes sont sur une « liste d’interdiction de départ ». Sur cette liste on retrouve une majorité de personnes proches du pouvoir, un grand nom du secteur privé des affaires, un employé d’une grande compagnie aérienne, par exemple. Tous ces gens ont obtenu ou acheté ces badges permettant de circuler avec une arme et donnant accès à la douane. Mòlòskòt, selon une source judiciaire, avait ouvert deux bureaux. L’un à Tabarre et l’autre non loin de la Faculté des sciences, a-t-elle poursuivi, ajoutant qu’un autre lot d’un millier de cartes est entre les mains d’un haut placé du Conseil supérieur de la police nationale CSPN.
“La justice a un lot de 300 à 400 cartes à sa disposition. Pas le ministère de la Justice”, a souligné le ministre de la Justice Me Jean Renel Sanon, joint au téléphone. Le ministre a souligné que c’est “tolérance zéro” à l’égard des gens qui font ces brigandages. “C’est une lutte contre la corruption et la justice a les yeux bandés. On l’avait dit depuis le début. Le président Martelly n’intervient pas pour soustraire des gens de leur responsabilité. Le président n’intervient pour personne. Sur cela, il faut lui rendre cette justice”, a expliqué le ministre de la Justice Jean Renel Sanon.
Le président de la République, à ses débuts, se mouillait pour des amis à la « réputation sulfureuse » dénoncés par des organismes de défense des droits de l’homme. Depuis, le président Martelly semble avoir établi une certaine distance pour sauvegarder l’institution qu’est la présidence qui s’était retrouvée dans l’oeil du cyclone à cause de l’arrestation de Marc-Arthur Phébé, membre du CAT Team et pion important de la sécurité présidentielle pour son affiliation au puissant gang de l’homme d’affaires Clifford Brandt. Marc Arthur Phébé et Clifford Brandt ont fait appel de l’ordonnance du juge d’instruction renvoyant par-devant le tribunal criminel presque la totalité des personnes arrêtées dans ce dossier qui avait défrayé la chronique des semaines durant.