Michel Soukar
L’année 2013 est marquée par la dislocation des trois (3) Pouvoirs de l’Etat, par une série de crises, de scandales et par quelques réalisations gouvernementales.
I. PLAN POLITIQUE
Les trois (3) Pouvoirs de l’Etat sont en désaccord sur bien des points. A la base, la sempiternelle question des élections et l’épineuse question de la formation du Conseil Electoral Permanent (CEP).
A.La Sempiternelle question des Élections
L’année 2013 était en principe une année électorale. Depuis l’accession du Président Michel Martelly au Pouvoir en mai 2011, les mandats des cartels des Mairies et du 1/3 du Sénat arrivaient à expiration. Le Pouvoir avait préféré remplacer les cartels élus par des agents intérimaires, une façon d’entretenir sa clientèle politique. Alors, 2013 débutait avec un accord bancal signé le 24 décembre 2012 entre un des conseillers du Président Martelly, Mr. Grégory Mayard-Paul et des représentants du Pouvoir Législatif, en vue de la mise en place du Conseil Transitoire du Conseil Électoral Permanent (CTCEP), grâce à la médiation de « Religion Pour la Paix ».
Ce Conseil serait chargé d’organiser, à la fin de l’année 2013, les élections en retard depuis deux (2) ans pour le renouvellement du tiers (1/3) du Sénat et des Collectivités Territoriales au niveau des communes et des Sections Communales. Car, le remplacement des cartels élus à la tête des Mairies par des Agents intérimaires agaçait les Parlementaires, les Partis politiques et les organisations de la Société Civile. En dépit des préoccupations sur la validité juridique du dit Accord, la Communauté Internationale et la Société Civile se félicitaient de sa signature.
1.Conseil Électoral Provisoire ou Permanent (CEP)
La première crise éclatait avec la contestation ayant suivi la désignation des représentants du Pouvoir Exécutif, de ceux du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), la constitution et l’installation d’un CEP à six (6) membres par le Président de la République. Alors que le choix des représentants de l’Exécutif était critiqué pour n’avoir pas reçu la sanction du Conseil des Ministres, ceux du CSPJ, présidé par Me. Anel Alexis Joseph également Président de la Cour de Cassation de la République, l’était parce qu’il résultait d’un vote sans majorité, contesté et dénoncé par quatre (4) des neuf (9) Membres du CSPJ.
En conséquence, la Fédération des Barreaux d’Haïti et les Organisations des Droits Humains avaient procédé au retrait de leurs représentants, Me Néhémy Joseph et Me Dilia Lemaire, au sein du CSPJ et conditionnaient leur retour à la reprise du vote dans des conditions régulières et transparentes.
Coup de théâtre, suite à une correspondance du Ministre de la Justice, la Fédération des Barreaux d’Haïti remettait en question la légitimité du mandat de Me Néhémy Joseph au sein du CSPJ, dont le mandat comme Bâtonnier de l’Ordre des Avocats des Gonaïves avait expiré. Les échanges et les débats radiophoniques sur la question de la fin du mandat de Me Néhémy Joseph se terminaient par le retrait de ce dernier. La Fédération des Barreaux d’Haïti désignait alors un autre Bâtonnier pour le remplacer au sein du CSPJ en la personne de Me. Jacques Letang.
De son côté, le Sénat de la République faisait monter les enchères en contestant, à travers une Résolution, le choix des Magistrats Anel Alexis Joseph et Michel Kesner Thermezi comme juges à la Cour de Cassation de la République ; le premier en raison de son âge avancé et le second ne figurant pas apparemment sur la liste initiale des noms de Magistrats soumis par le Sénat à l’Exécutif pour compléter la composition de ladite Cour.
Aussi, le Pouvoir Législatif conditionnait-il le choix de ses représentants au retrait de ceux du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), Yves Benoit Jean-Mary, Salnave Exantus et Patrick Metellus, installés au Conseil Electoral Permanent à six (6) membres. Ces derniers juraient qu’ils ne démissionneraient pour rien au monde et mettaient le Pouvoir Exécutif dans ses petits souliers.
Subitement, on se souvint qu’Il fallait intégrer des femmes dans le CTCEP.
Le premier scandale éclatait, suite à la plainte portée contre un des représentants du Pouvoir Exécutif, en l’occurrence Me. Josué Pierre-Louis, Président du CEP contesté, pour viol présumé sur la personne de son assistante, Mlle Marie Danielle Bernardin. Cette plainte était supportée, à grand renfort de publicité, par deux des principales organisations de promotion et de défense des Droits Humains dans le pays, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) et la Solidarité Famm Ayisien (SOFA). Des lors, l’image et la réputation du Président du CTCEP contesté s’en trouvaient sérieusement entamées.
Suite à des pressions de toutes sortes, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) avait fini par designer de nouveaux représentants au cours d’un vote régulièrement organisé. Les noms des nouveaux représentants du CSPJ, Léopold Berlanger, Marie Carole Innocent Duclervil et Applys Félix, étaient communiqués au Pouvoir Exécutif aux fins de publication. Après maintes tractations, le Pouvoir Exécutif s’était résolu à designer de nouveaux représentants au CTCEP. Il suffisait simplement de dédommager les 6 membres du CEP contesté. Ce qui était fait.
Avec la désignation des représentants du Pouvoir Législatif, Marie Clunie Dumay Miracles, Pierre Simon Georges et Néhémy Joseph, le CTCEP affichait complet. Cependant, leur installation avait lieu, quatre mois après la signature de l’accord du 24 décembre 2012, en l’absence du Président de la République et du Premier Ministre, alors en voyage à l’étranger. Le CTCEP est présidé, sans surprise, par l’un des représentants de l’Exécutif en la personne de Me. Emmanuel Ménard, ancien Directeur de la Radio Télévision Nationale d’Haïti (RTNH).
Après un rapide état des lieux, le CTCEP n’avait pas tardé à lancer les débats autour de l’élaboration d’une nouvelle loi électorale pour remplacer celle de 2008. Un avant-projet de loi électorale a été préparé et soumis à l’Exécutif pour être soumis à la sanction du Parlement. Cependant, apparemment déterminé à réduire d’un an le mandat du deuxième tiers du Sénat et à constater la caducité du Parlement le deuxième lundi de janvier 2014, en application de l’article 211 de la loi électorale de 2008, le Président de la République faisait passer le temps avant de transmettre l’avant-projet de loi électorale au Parlement.
2.La Fin du Mandat du 2e Tiers du Sénat
Une deuxième crise allait assombrir l’horizon politique à partir du débat lancé sur la fin du mandat du deuxième tiers du Sénat. Fallait-il privilégier, dans ce cas, la loi électorale de 2008 dans ses dispositions transitoires ou la Constitution de 1987 amendée qui fixe à six (6) ans le mandat des Sénateurs?
Apres deux mois de tergiversation, le Pouvoir Exécutif soumettait le projet de loi électorale revue, augmentée, corrigée, à la sanction du Parlement. Cette fois, le débat portait, entres autres, sur l’existence au sein du CTCEP soit d’une Direction générale dont le titulaire serait nommé par le Président de la République, soit d’une Direction Exécutive dont le titulaire serait nommé par le CEP.
La Chambre des députés s’était empressée de voter le projet de loi avant son ajournement le deuxième lundi du mois d’août 2013. Arrivé au Sénat, le projet de loi avait subi de sérieuses modifications. Pour devenir une loi, ce projet de loi devait non seulement être voté dans les mêmes termes par les deux branches du Parlement mais aussi être transmis à l’Exécutif pour être revêtu du sceau de la République avant sa publication dans le Journal officiel « Le Moniteur ».
Ayant d’autres chats à fouetter, l’Exécutif prenait tout son temps avant de convoquer la Chambre des Députés en session extraordinaire. Entre temps, la situation politique s’envenimait. L’opposition, regroupée au sein du Mouvement Patriotique de l’Opposition Démocratique (MOPOD) réclamait l’organisation des élections à la fin de l’année 2013 ou la démission du Président de la République. Elections ou démission était le slogan. La contestation ne tardait pas à prendre la forme de manifestations de rues dans plusieurs villes du pays. C’est dans cette atmosphère mouvementée que le Président Martelly allait commémorer le deuxième anniversaire de son accession à la Présidence de la République.
B.Deuxième Année au Pouvoir
C’est dans un contexte de crise politique aigue que le Président Martelly commémorait au Champ de Mars, le 14 mai 2013, le deuxième anniversaire de son accession à la Présidence. Quel est le bilan de l’action gouvernementale?
1.De petits « ».
Pour dresser le bilan des deux années du Président Martelly au Pouvoir, il suffit de revisiter les cinq (5) E de son programme initial. A la fin de 2012, ils étaient vides. A la fin de 2013, ils commencent avec peine à éclore.
Education :
C’est toujours la confusion sur le nombre exact d’enfants qui fréquentent l’école dans le cadre du Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire (PSUGO). Les écoles reçoivent avec des mois de retard la paye promise par l’Etat pour les enfants qui fréquentent gratuitement les cours de la 1ère à la 6ème année fondamentale. Direction et enseignants en souffrent. Ces derniers ont de plus en plus tendance à abandonner ce métier. La qualité de la formation des maîtres et de celle dispensée aux élèves reste questionnable. Quel citoyen veut-on former pour fonctionner dans quel cadre socio-économique ? Ne risque-t-on pas de produire davantage de médiocres ? Des enquêtes menées par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) révélaient l’existence de 766 écoles-bidons ainsi que des cas de détournements des fonds alloués au programme. Deux (2) pasteurs, directeurs d’écoles aux Gonaïves ont été arrêtés dans le cadre du PSUGO. En outre, le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) gagnerait à faire le jour sur la provenance des fonds qui financent le PSUGO, en l’absence du vote de la loi créant le Fonds National de l’Education (FNE), alimenté par les retenues sur les transferts d’argent de la Diaspora et les appels téléphoniques rentrant dans le pays. Enfin, une décantation est nécessaire entre le Programme Education Pour Tous (EPT), financé par la Banque Mondiale et le PSUGO. La campagne d’encouragement à la lecture et la poursuite des centres d’animation culturelle restent des initiatives positives.
Emploi:
Le Président Martelly, le Premier Ministre Lamothe et le Ministre de l’Economie et des Finances Wilson Laleau se contredisent sur le nombre d’emplois créés dans l’économie au cours des deux (2) premières années du Président Martelly au Pouvoir. Le Président dit avoir créé 400 mille emplois. Jusqu’à présent, les économistes haïtiens cherchent les secteurs dans lesquels ils sont créés, vu le niveau de chômage et de misère qui affecte les couches pauvres et moyennes de la population haïtienne. Une simple arithmétique permettrait d’additionner les emplois créés par la réfection de trottoirs, la construction de parcs sportifs, de routes, de places publiques, les travaux de correction de ravins, tous entrepris un peu partout à travers le pays.
Environnement :
En l’absence d’une politique et d’un programme clair en matière environnementale, le flou persiste quant aux résultats atteints dans ce domaine. Le taux de couverture forestière du pays est à son niveau le plus bas depuis l’indépendance. Les matières plastiques jonchent les rues, les ravines, le bord de mer malgré l’interdiction gouvernementale concernant l’importation, la commercialisation et l’utilisation des produits en polyéthylène (assiettes en foam et sachets en plastic noir). Le ministère annonce des alternatives qui se font trop attendre. Elles auraient du précéder l’interdiction. De plus, le Gouvernement poursuit une politique de façade en investissant des millions de dollars américains dans la peinture des maisons du grand bidonville dénommé « Jalousie », surplombant Pétion-Ville.
Etat de Droit :
Malgré la création et la mise en fonctionnement du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), l’indépendance du Pouvoir judiciaire est compromise par l’intrusion du Ministère de la Justice dans la nomination des juges.
Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) dénonce, par exemple, la nomination du juge Fermo Jude Paul au Tribunal de Première Instance de la Croix-des-Bouquets. Ce dernier, accusé de vol de chèque, de faux et usage de faux au préjudice de la Commission Européenne, a procédé à la libération de Mercidieu Calixte Valentin, un Conseiller du Président de la République qui avait froidement tué par balles Octanol Derissaint à Fonds Parisien, non loin de la frontière de Malpasse.
L’Expert Indépendant des Nations Unies, Mr. Michel Forst s’inquiète de la détérioration de la situation des droits humains dans le pays. La détention préventive prolongée demeure une préoccupation majeure. A l’ouverture de l’année judiciaire, le bâtonnier des Avocats du Barreau de Port-au-Prince, également Président de la Fédération des Barreaux d’Haïti, dressait un tableau sombre du fonctionnement de la justice dans le Pays.
Me André Michel et Me Newton Louis Saint-Juste sont persécutés pour avoir entrepris une action en justice contre la Première Dame, Mme Sophia Martelly et son fils M. Olivier Martelly, pour détournements de fonds et usurpation de fonction. Le Juge Jean Serge Joseph qui instruisait l’affaire est décédé dans des conditions jugées suspectes par certains. Le diagnostic des médecins de l’Hôpital Bernard Mews, où il été transporté en urgence, révélait un accident cérébral et vasculaire (ACV).
Selon les déclarations de Me Samuel Madistin, son décès serait survenu, suite aux menaces proférées par le Président de la République et son Premier Ministre. Cette affaire a valu la mise en accusation du Président de la République, de son Premier Ministre et de son Ministre de la Justice, Me Jean Renel Sanon par une Commission sénatoriale enquêtant sur la question.
Le Ministre de la Justice dénonce un complot en vue de l’assassinat du journaliste de Radio Caraïbes, Jean Monard Metellus. Ce complot serait ourdi à l’avenue Pouplard par des opposants politiques qui ne veulent pas l’organisation des élections. Le Ministre devait simplement demander au Parquet près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince de mettre l’action publique en mouvement contres ses auteurs présumés.
Le Parquet de Port-au-Prince est devenu un siège éjectable. Pas moins de neuf (9) Commissaires de Gouvernement se sont succédés à sa tête au cours des deux (2) premières années du mandat du Président Martelly, soit un Commissaire du Gouvernement tous les deux (2) mois et demi. Il s’agit tour à tour de Mes Felix Leger, Lionel Bourgouin, Sonel Jean-Francois, Elco Saint-Amand (nommé mais non installé), Gerald Norgaisse, Jean Renel Sainatus, Lucmane Delille, Francisco René et Darius Gerson Charles.
Suite à l’arrestation de Me André Michel et celui d’un Avocat au Tribunal de Paix de Delmas par Me Francisco René, la justice était paralysée. Les Avocats ont observé un arrêt de travail de 35 jours pour réclamer et obtenir sa révocation.
Aux Cayes, le Commissaire du Gouvernement s’est vu sermonné par le Ministre de la Justice pour avoir fait procéder à l’arrestation de Monsieur Evinx Daniel, impliqué dans une affaire de découverte de drogue à Port-Salut. Mr. Daniel est, parait-il, un proche du Président Martelly qui séjourne souvent dans son Hôtel lors de ses tournées sur la côte Sud d’Haïti.
Energie :
Le Ministre chargé de l’Energie et délégué auprès du Bureau du Premier Ministre, au lieu de définir la politique nationale en la matière, a préféré mettre en place une compagnie d’énergie parallèle à l’Ed’H pour financer l’installation de lampadaires solaires un peu partout à travers le pays, dans le cadre du programme « Banm Lumiè, Banm lavi ». Ce programme, financé par les fonds Petro Caribe, investit des millions de dollars américains dans l’achat de batteries dont la durée de vie moyenne est de trois ans maximum.
Qu’en sera-t-il après l’expiration de leur délai d’utilisation ? Gaspillage et perte sèche de fonds publics qu’il faudra rembourser en argent ou en nature. Le programme nécessite l’installation de nouveaux pylônes électriques dont l’achat enrichit des propriétaires des entreprises de vente de lampadaires, de panneaux solaires et de batteries ainsi que leurs associés.
Parallèlement, l’Ed’H est débranchée pour dettes par l’une des trois (3) compagnies productrices d’énergie électrique, E-Power. Quid de la promesse de courant 24 sur 24, prévu pour juillet 2013 ? Andresse Apollon a été congédiée. Le Conseil de Modernisation des Entreprises Publiques (CMEP) relance la question de la Privatisation de l’Ed’H, relayée par son nouveau Directeur Général Jean-Erol Morose. Entre temps, les turbines installées sous le barrage de Peligre s’essoufflent. Le black-out continue. L’Allemagne semble venir à la rescousse.
La commémoration des deux premières années du Président Martelly au Pouvoir tourne au Carnaval. Des autobus de l’Etat, remplis de manifestants en provenance des communes avoisinantes de l’aire métropolitaine, déferlaient sur le Champ de Mars sur fond de musique de danse.
En guise de bilan, des Députés du groupe Parlementaire pour la Stabilité et le Progrès (PSP) chantent les louanges du Président pour ses réalisations. Il s’agit, selon la malice populaire, de Parlementaires dont les circonscriptions ont bénéficié des 10 millions de gourdes prévus dans le budget pour chacune des 140 communes du pays. Le député de Ouanaminthe remportait la palme, en se jetant à genoux au pied du Président Martelly pour ses réalisations dans sa circonscription électorale.
C’est la grogne dans le camp des Parlementaires pour le Renforcement Institutionnel (PRI). Frustrés, ils accueillent le bilan du Premier Ministre à la rentrée parlementaire à coup de sifflets et de quolibets. Un spectacle désopilant offert par des parlementaires qui, quand ils ne se battent pas à coups de pieds lors du vote de la loi contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, s’adonnent à des combats de boxe, lors du vote de la Loi des Finances 2013-2014.
En plus de travaux d’infrastructure, des résultats positifs sont obtenus dans l’organisation du Carnaval. Le pouvoir a remporté quatre (4) succès consécutifs aux Cayes, deux (2) fois en été à Port-au-Prince et au Cap-Haïtien.
Que fait l’opposition ?
3. Comportement de l’opposition
Elle est divisée. Non préparée pour affronter les joutes électorales, quelle que soit la date de leur organisation, l’opposition choisit la fuite en avant. De tout temps, l’opposition haïtienne est plus forte quand elle lutte pour le renversement d’un pouvoir. Mais, cette fois, elle se perd en maladresses et en dérives.
Son action aurait fait recette, si la population n’était pas fatiguée de voir les mêmes visages occuper la scène politique depuis plus d’un quart de siècle, si le discours avait changé, surtout quand il s’agit de critiques de ceux qui ont déjà dirigé en ne faisant pas mieux et dont la mauvaise gouvernance a valu la présidence à Martelly. Aucune autocritique. Pas d’examen de conscience. Les mêmes techniques de combats, faites de manifestations de rues, de pneus enflammés sur la chaussée, de casses de véhicules et de jets de pierres, sont réprimées par la police par des tirs de grenades de gaz lacrymogènes, nocifs pour la santé de ceux ou celles qui les inhalent.
Les partis politiques de l’opposition s’accusent de recevoir des millions de dollars américains de l’étranger pour financer les manifestations. Depuis le 17 octobre 2013, les manifestations de rues véhiculent des relents de lutte de classes ou de couleur. Dessalines, symbolisant les noirs et les pauvres visite Pétion à Pétion-Ville, symbolisant les nantis et les mulâtres. Eternelle rengaine quand on n’a rien de positif à proposer.
Ce message pernicieux et dangereux, en plein 21e siècle, affaiblit la démarche de l’opposition. L’aile extrémiste de Lavalas, conduite par le Sénateur Moise Jean-Charles, éclabousse l’aile apparemment modérée conduite par le docteur Maryse Narcisse. Les deux (2) factions n’ont pu s’entendre sur le parcours d’une manifestation, organisée le 29 novembre 2013, date anniversaire du massacre des électeurs en 1987 à la Ruelle Vaillant, lors des premières élections démocratiques noyées dans le sang par les Forces Armées d’Haïti (FAd’H). Tiens ! Pendant toutes leurs années de pouvoir total (1994-2004), les lavalassiens qui n’avaient jamais pensé aux victimes du 29 novembre 1987, s’en souviennent brusquement et réclament justice. Il nous faut croire tous imbéciles ou amnésiques pour afficher tant d’audace et d’hypocrisie. Quand on n’a pas de discours neuf et constructif, on cherche des cadavres à brandir.
Dans cette guerre de clans, une figure se détache. Celle du Sénateur Dieuseul Desras Simon, Président du Sénat et de l’Assemblée Nationale, qui, semble-t-il, a décidé de prendre la tête de l’opposition politique au pouvoir du Président Martelly. Ses sorties, lors de la convocation du Parlement en Assemblée Nationale en novembre dernier ou à travers les correspondances adressées maladroitement à son Homologue Chilien, sont contestées par des chefs de groupuscules politiques qui eux aussi ont des velléités présidentielles.
Cette ambiance délétère affecte le décollage économique d’un pays en mal d’élites véritables.
Cette ambiance éloigne de nos rives les lueurs d’espoir créées par l’accession de Michel Martelly au pouvoir. Le pays va-t-il perdre le bénéfice de nombreux événements internationaux, susceptibles de lui donner une certaine visibilité sur la scène régionale et internationale ?
Haïti a assuré la présidence tournante du CARICOM au cours du premier semestre de l’année 2013 et accueilli la Conférence des Chefs d’Etat et des Premiers Ministres. Haïti a été le siège de l’organisation de la 11e Conférence de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC). Haïti a participé avec succès à la Cari fiesta au Surinam.
Cependant, le pays continue de battre les records de mauvais classement dans les rapports annuels sur l’environnement des affaires, le développement humain et la perception de la corruption. Haïti occupe le 8e rang sur 178 parmi les 10 pays les plus faillis du monde, selon le « Rapport annuel du Foreign Policy », édité aux Etats-Unis d’Amérique du Nord. Les critères retenus sont les problèmes économiques récurrents, l’absence de service public, l’insécurité, la corruption et l’intervention étrangère. Haïti est classé 177e sur 189 pays dans le Rapport « Doing Business » de la Banque Mondiale. Le Rapport de Transparency International 2013 classe Haïti parmi les 15 pays dont la perception de la corruption est la plus élevée dans le monde avec 19 points sur 100.
Le chômage, la faim et la vie chère continuent de tenailler une grande partie de la population haïtienne, estimée aujourd’hui à plus de 10 millions d’habitants. Dans un pays ou plus de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, la Fondation Rose a empoché plus de 200 mille dollars de recettes au cours de la soirée commémorative des 25 ans du groupe musical « Sweet Micky ».Preuve éclatante de disparité sociale. Ces fonds seront-ils affectés au financement du programme de lutte contre la Pauvreté extrême dirigé par le Ministre Rose Anne Auguste ou à celui du Programme d’Assistance sociale « Edé Pèp », exécuté par le Fonds d’Assistance Economique et Sociale (FAES) ? Cette dernière institution, créée par la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de Développement (BID) se détourne-t-elle de sa Mission fondamentale de construction d’infrastructures de base dans les domaines de l’éducation et de la santé ?
Le Gouvernement s’offusque parce que la représentante de la Banque Mondiale critique l’utilisation abusive et non transparente des fonds alloués dans le cadre du Programme Petro Caribe. Effectivement, on ne peut promouvoir l’Etat Providence avec l’argent d’autrui. Le pays qui fournit cette assistance, le Venezuela, est en proie à des problèmes sociaux gravissimes. Quelle est la durabilité de programmes dont le financement ne provient pas de fonds endogènes inscrits au Budget de la République?
La reconstruction des bâtiments publics traîne. Des enclos de tôles colorées gênent la circulation automobile dans plusieurs endroits de la capitale. Que se passe-t-il derrière ? Les promesses se multiplient. Les unes sont tenues, d’autres non ou pas encore, selon certains. La sécurité est mise à mal par les nombreux cas d’assassinats de policiers et de civils malgré un léger progrès dans ce domaine. Des groupes armés s’affrontent par endroits ou attaquent les transporteurs maritimes vers La Gonâve.
Ces situations compromettent la stabilité tant indispensable à rendre ce pays ouvert aux affaires. Le Président Martelly crée souvent ses propres situations de crise et d’instabilité, affectant le programme de son Ministre du Tourisme, une Ministre cohérente dans ce gouvernement toujours menacé de renvoi par un Sénat en mal de majorité.
Le Pouvoir Exécutif n’est pas encore parvenu à faire adopter une loi des Finances au parlement. Depuis deux années fiscales consécutives, le pays vit sans Budget régulièrement voté au Parlement. Malgré les restrictions sur les importations de produits avicoles de la République Dominicaine, le déficit de la balance commerciale se creuse davantage dans les échanges commerciaux entre les deux pays qui se partagent l’ile d’Hispaniola. Le pays importe presque tout ce qu’il consomme.
Les transferts de fonds de la Diaspora, évalués à près de 2 milliards de dollars américains l’an n’arrivent pas à estomper les manques à gagner du marché touristique et le repli de l’aide humanitaire gérée par des Organisations Non Gouvernementales. La valeur de la gourde s’en ressent sur le marché des changes. Elle s’échange à 44 gourdes 15 pour un dollar américain.
Le Cadre de Coopération de l’Aide au Développement (CAED), créé par le Gouvernement pour remplacer la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), co-présidée par le Premier Ministre et l’ex-Président américain Clinton est une structure mort-née. Les démarches du Gouvernement en vue de la réactivation de l’aide directe butent sur la mauvaise gestion des fonds du Programme Petro Caribe et la perception élevée de la prévalence de la corruption en Haïti.
Le Premier Ministre et certains Parlementaires, faisant partie d’une délégation qui a visité certains pays de l’Union Européenne, se sont laissés berner à Bruxelles par des promesses de déblocage de centaines de millions d’Euros, pendant que l’Europe est en crise économique.
La grève de la Douane a affecté la collecte de ressources nécessaires au financement des dépenses de l’Etat. La baisse du pouvoir d’achat de la population est criante en cette période de fin d’année 2013. C’est dans ce contexte économique morose que le Conseil Supérieur des Salaires (CSS) a pris la décision de porter le salaire minimum des employés du secteur de la sous-traitance à 225 gourdes par jour. Ce qui provoque la colère d’ouvriers le jugeant nettement insuffisant.
Plus de 4 millions d’haïtiens vivent avec moins de 40 gourdes par jour. Ils sont des centaines à prendre le chemin de la mer tous les mois. Par centaines, ils sont rapatriés par les gardes côtes américains au large des Bahamas, quand ils ne périssent pas en mer par dizaines.
L’haïtien n’est bienvenu nulle part dans l’hémisphère. Sa prolifération, la couleur de sa peau, sa qualité comme main d’œuvre non formée inquiètent les pays de la région. Ils sont estimés à près de 20.000 à avoir franchi les frontières du Brésil, dont près de 12,000 sont clandestins. Des pays comme l’Equateur, le Pérou et la Bolivie sont inquiets de cette migration insupportable.
En Haïti, des déplacés vivent encore sous des tentes de fortune, près de 4 ans après le séisme du 12janvier 2010. Les dizaines de milliers de logements sociaux promis par le candidat Martelly tardent à sortir de terre. Les 3000 logements construits au pied du morne à cabris et baptisés « Village Lumane Casimir » ne sont pas encore occupés. Toute maison inoccupée et inhabitée est sujette à détérioration. Heureusement, à la fin de 2013, le Président Martelly a commencé à remettre des clefs à des futurs habitants.
Des composantes du programme « Edé Pep », comme Aba Grangou, Ti Manman Chéri, Koré Etudyan, Koré Peyizan, Koré Andikapé, Koré Granmoune, Panyé Solidarité, Kantine Mobile et Bon Solidarité enrichissent des importateurs de produits alimentaires et leurs associés, soulagent la faim de quelques milliers mais ne solutionneront pas le problème. Qui pourrait le croire ?
Haïti est la cible d’une conspiration internationale, menée par la République Dominicaine. La nouvelle division du travail, créée par la mondialisation de l’économie, consécutive à la chute du Mur de Berlin et de l’effondrement du communisme, avait consacré Haïti comme un marché pour l’économie de la République Dominicaine.
C’était l’un des objectifs de l’embargo (1991-1994) et des deux occupations militaires, survenues à dix ans d’intervalle, en 1994 et en 2004. Le gouvernement voudrait reconstituer l’armée, s’attaque aux intérêts de multinationales en République Dominicaine en s’opposant à tort ou à raison à la vente des produits avicoles en provenance de la République Dominicaine. Que se passe-t-il au sujet de l’exploitation de nos ressources minières ?
La décision de la Cour Constitutionnelle Dominicaine, de ravir les droits acquis de centaines de milliers de descendants d’haïtiens nés après 1929, s’inscrit dans une logique de déstabilisation du pouvoir politique haïtien. C’est peut-être ce qui est perçu comme une aide de millions de dollars américains pour financer la subversion en Haïti.
CONCLUSION
L’année 2014 sera pour Haïti celle de tous les espoirs ou celle de tous les dangers.
De tous les espoirs :
- Si le Chef de l’Etat accepte de faire le ménage dans son entourage, modifie ses méthodes de gestion du Pouvoir (transparence et rigueur, meilleure allocation des dépenses exclusivement au profit du nécessaire et du durable), remanie son gouvernement, rétablit la cohésion et l’harmonie dans le fonctionnement des trois (3) Pouvoirs de l’Etat, par le dialogue et la concertation.
- Si le Chef de l’État accepte d’organiser un dialogue avec tous les secteurs vitaux de la vie nationale en vue de dégager un consensus sur: 1. la désignation d’un comité de gestion du CEP chargé d’organiser les prochaines élections pour le renouvellement des 2/3 du Sénat, des Cartels municipaux et de la Chambre des députés; 2. sur une réforme en bonne et due forme de la Constitution de 1987 amendée; 3. la formation éventuelle d’un gouvernement de consensus pour le reste de son mandat.
- Si les elites haïtiennes, toutes catégories confondues, prennent enfin leurs responsabilités, s’élèvent à la hauteur des exigences de ce premier quart du XXIe siècle.
- Si les partis politiques se regroupent suivant leurs tendances et affinités, corrigent leur déficit de crédibilité, désignent moins de candidats aux élections.
- Si les étudiants haïtiens cessent d’être les otages d’idéologies dépassées, surannées et défaillantes.
- Si le peuple haïtien décide de prendre enfin son destin en main.
Dans le cas contraire, l’année 2014 sera celle de tous les malheurs. Les manifestations de rues s’intensifieront, les investissements s’éloigneront de nos rives, le chômage et la misère augmenteront, la gourde se dépréciera davantage, le cout de la vie s’aggravera surtout si les prix des carburants augmentent, la violence et l’insécurité feront rage dans le pays, le tout risquera même de compromettre le mandat du Président Martelly et de faire basculer le pays dans plus d’instabilité, avec son lot de boat people et de refugiés déferlant sur les côtes américaines voire celles des pays voisins.
Dans une telle situation, le grand perdant serait évidemment Haïti. Seule la MINUSTAH sortirait gagnante de cette vision apocalyptique. Son mandat continuera d’être renouvelé chaque année.
D’importantes institutions locales comme internationales auront raison de rechercher un régime de substitution pour qu’Haïti ne devienne pas définitivement une entité chaotique ingouvernable.
Michel Soukar.