Burkina Faso: Kaboré élu président dès le premier tour
M. Kaboré a obtenu la majorité absolue avec 53,49% des suffrages.
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Agence France-Presse
OUAGADOUGOU
Ancien baron du régime de l’ex-président Blaise Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré a été élu président du Burkina Faso dès le premier tour et devenant ainsi le premier chef d’État démocratiquement élu depuis 1978.
M. Kaboré a obtenu la majorité absolue avec 53,49% des suffrages (1 668 169 voix) contre 21,65% (924 811 voix) recueillis par son plus sérieux rival Zephirin Diabré, qui avait reconnu sa défaite quelques minutes avant l’annonce des résultats provisoires par la Commission électorale indépendante.
Lors d’une élection suivie par toute l’Afrique après l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui a renversé Blaise Compaoré, M. Kaboré récolte ainsi un score historique dépassant de loin les scores obtenus par le «Beau Blaise» durant ses 27 années au pouvoir.
Acclamé par plusieurs milliers de personnes réunies devant le siège de son parti, M. Kaboré a déclaré à ses partisans: «Nous devons nous mettre au travail immédiatement. C’est tous ensemble que nous devons servir le pays».
«Aux jeunes, aux femmes et aux anciens», M. Kaboré a promis sa «détermination pour ouvrir des opportunités de lendemains meilleurs».
Le prochain président a aussi adressé ses «chaleureuses félicitations aux organes de la transition», mis en place après la chute du régime de Compaoré et qui ont organisé le scrutin.
Quelque 5,5 millions d’électeurs étaient inscrits sur les listes électorales d’un pays qui espère désormais être sur la voie de la démocratie après une histoire marquée par de nombreux coups d’État.
Cette élection doit tourner la page d’une année de transition tendue et surtout de 27 ans de régime Compaoré.
Ce scrutin, couplé à des législatives, était organisé un an après l’insurrection populaire qui a chassé du pouvoir Blaise Compaoré en octobre 2014, alors qu’il tentait de modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat.
Le président de la Céni, Barthélemy Kéré, a reconnu «quelques anomalies», tout en estimant que le déroulement du scrutin avait été «globalement satisfaisant».
«Nous arborons un large sourire, nous poussons des soupirs de soulagement», avait déclaré lundi Me Halidou Ouedraogo, président de la Codel, la plateforme de la société civile qui a observé les élections.
La Codel a jugé «crédible ce scrutin qui marque un tournant décisif dans l’histoire politique du Burkina Faso» et «appelle les candidats et partis politiques à respecter le verdict des urnes».
«Atmosphère paisible»
Initialement prévues le 11 octobre, ces élections avaient été reportées en raison du putsch raté le 17 septembre de l’ancien bras droit de M. Compaoré, le général Gilbert Diendéré. Cette tentative de coup d’État, dans un pays qui en a connu beaucoup, avait été mise en échec par la mobilisation de la population et de l’armée loyaliste.
Quatorze candidats dont deux femmes étaient en lice pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois.
Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a salué lundi «la manière pacifique» dont ont été conduites les élections et plus particulièrement la «forte participation des femmes au processus électoral».
M. Ban a «encouragé tous les dirigeants politiques et les protagonistes nationaux à maintenir cette atmosphère paisible» dans ce pays pauvre de 18 millions d’habitants d’Afrique de l’Ouest.
Roch Marc Christian Kaboré est resté 26 ans compagnon de Blaise Compaoré, occupant des postes prestigieux (Premier ministre, président de l’Assemblée) avant de tomber en disgrâce, et de quitter le régime juste dix mois avant sa chute.
Le parti de Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), n’avait pas de candidat à la présidentielle, une loi controversée interdisant de scrutin les pro-Compaoré ayant soutenu la révision constitutionnelle en 2014. Toutefois le CDP pourrait réaliser un bon score aux législatives dont les résultats ne sont pas encore connus.
Un ancien baron rassembleur et opportuniste
Homme de consensus, mais aussi taxé d’opportunisme par ses adversaires, Roch Marc Christian Kaboré, élu nouveau président du Burkina Faso, est un ancien baron du système de Blaise Compaoré qui a changé de camp juste avant la chute du régime.
Sa victoire dès le premier tour illustre bien sa personnalité: M. Kaboré a su rassembler aussi bien des anciens du régime que ses opposants, les paysans d’un pays très rural mais aussi les citadins des grandes villes, Ouagadougou et Bobo Dioulasso.
Cadre du système de Compaoré resté 27 ans au pouvoir et ancien dirigeant du parti de l’ancien président chassé par la rue, M. Kaboré est perçu comme «intelligent et cohérent» mais aussi comme un homme d’appareil reconnu pour ses qualités d’organisateur
Issu de l’ethnie majoritaire Mossi (53% de locuteurs), catholique pratiquant dans un pays à majorité musulmane (60%), cet ancien banquier de 58 ans au physique imposant est un personnage affable et modéré «sachant écouter» et adepte du consensus. Ses détracteurs l’accusent de manquer de poigne.
Souvent habillé en boubou bazin ou en Faso Danfani («made in Burkina»), M. Kaboré est un bon vivant, selon ses proches.
Fils de ministre, «né avec une cuiller d’argent dans la bouche» pour ses détracteurs, Roch, comme on l’appelle le plus souvent, a toutefois adhéré jeune à des idéaux de gauche, s’engageant après son retour d’études en France, à Dijon, à l’Union de lutte communiste-reconstruite. Il profite de l’accession de Thomas Sankara, le père de la révolution d’inspiration marxiste pour devenir directeur de la Banque internationale du Burkina (BIB), avant même son 30e anniversaire.
Après l’assassinat de Sankara en 1987, Compaoré prend le pouvoir et Roch accomplit une carrière fulgurante auprès du «Beau Blaise». Plusieurs fois ministre, il devient un des personnages clé du régime occupant les fonctions les plus prestigieuses comme Premier ministre, période pendant laquelle il gère la dévaluation historique du Franc CFA, ou président de l’assemblée nationale. Il ne néglige toutefois pas les postes stratégiques comme président du Congrès pour la démocratie et le Progrès (CDP), le parti-état qui remporte tous les scrutins et dont on dit qu’il «gère le pays». C’est le temps du «tuuk giili» («rafle tout» en langue mooré).
Une disgrâce comme tremplin
Considéré comme le plus probable successeur de Compaoré, M. Kaboré a même été en 2010 un des initiateurs du projet de révision constitutionnelle qui devait permettre à Compaoré de briguer un nouveau mandat, mais qui sera finalement à l’origine des journées d’insurrection d’octobre 2014 et l’écroulement du régime.
En 2012, Roch tombe brutalement en disgrâce pour des raisons obscures et se retrouve confiné au rang de «conseiller politique» du parti. Il claque ensuite la porte en janvier 2014 pour fonder le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) avec d’autres anciens caciques du régime. Cette disgrâce sera son tremplin.
Aujourd’hui, il défend que «la social-démocratie est la voie pour le développement» tout en fédérant derrière son MPP une vingtaine de petits partis d’obédience socialiste et même un parti sankariste.
Disposant de moyens colossaux, il a été omniprésent pendant la campagne et a su faire fructifier son image de rassembleur et d’homme d’expérience.
«Nous avons l’expérience de l’ancien système et nous savons comment améliorer les choses», dit-il tout en assurant être «en rupture totale avec l’ancien système».
Bassolma Bazié, secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), principale centrale syndicale du Burkina, est lui sceptique: «Roch a occupé de hauts postes auprès de Compaoré. On ne peut pas dire qu’il n’est pas comptable du régime. Compaoré avait une ligne politique social-démocratie et Roch est resté dans la même logique, de ce point de vue on ne peut pas s’attendre à un changement quelconque».
Le nouveau président lui promet de s’attaquer au chômage des jeunes, endémique dans le pays, de moderniser le système de santé promettant notamment la gratuité des soins pour les moins de 6 ans, et de mettre l’accent sur l’éducation.