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Le Coin de l’Histoire,par Charles Dupuy : Nord Alexis et le procès de la Consolidation

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Nord Alexis, général, homme politique et président de la République d’Haïti du 21 décembre 1902 au 2 décembre 1908

         Né en 1818 au Cap-Henry(l’actuel Cap-Haitien), sous le règne de Christophe, fils d’un grand dignitaire du Royaume, Nord Alexis arriva au pouvoir en 1902 et fera de la lutte à la corruption le pivot central et la règle essentielle de son administration. Rappelons qu’à la fin du 19ème siècle, l’État haïtien croulait sous le poids de ses dettes intérieures et des obligations qu’il avait contractées envers les banques étrangères. Après de laborieuses négociations avec les créanciers de l’État, le ministre des Finances, M. Pourcély-Faine, proposa de consolider ces dettes accumulées et, par la loi du 21 décembre 1897, les regroupa sous forme de bons. Il s’agirait jusque-là d’une opération financière tout à fait normale si des fonctionnaires véreux n’avaient voulu s’enrichir en tirant des bénéfices illégitimes de ces opérations.

Toute une masse de faux bons avait été mis en circulation que l’État haïtien serait obligé un jour ou l’autre de rembourser à leurs détenteurs pour la simple raison qu’ils portaient le sceau officiel du ministre des Finances. Les divulgations circonstanciées des dessous de l’affaire allaient susciter le déchaînement de la presse d’opinion et le procès auquel il donna lieu restera le plus sensationnel dans les annales judiciaires haïtiennes. 

                 

         Après l’arrivée de Nord Alexis au gouvernement, on ne tarda pas à découvrir les mystères troublants de ce scandale financier et à en dévoiler les plus obscures combinaisons. Tout un système criminel de corruption, d’abus de confiance, de faux et d’usage de faux documents sera ainsi révélé au public et scruté au grand jour. Après les révélations produites par Alexandre Lilavois dans une série d’articles à sensation parue dans Le Nouvelliste, les autorités engagèrent les procédures administratives afin d’établir les bilans vérifiés de la gestion économique de Tirésias Simon-Sam. Très vite, l’action publique sera mise en mouvement sur injonction du président Nord Alexis à son ministre de la Justice. Celui-ci forma donc une Commission d’enquête et de vérification sur la Consolidation de 1900 dont certaines dispositions semblaient suspectes et entachées d’illégalité.

Cincinnatus Leconte | Haiti, Historical figures, Leader

Cincinnatus Leconte 21e président de la République d’Haïti ( – 

         Peu après, le ministre des Finances, Edmond de Lespinasse, jugé trop timoré dans la conduite de l’affaire, fut contraint de remettre sa démission après qu’il eut déclaré aux parlementaires ne pas entrevoir l’avantage ni non plus l’urgence qu’il y avait d’accuser les responsables fautifs de spéculation et d’abus de privilège. Le rapport de la Commission d’enquête et de vérification confirmera l’émission massive de bons frauduleux et divulguera les pratiques de malversation de l’ex-président Simon-Sam, de sa femme Constance, (une nièce du président Salomon) leur fils Lycurgue et Démosthène que l’opinion accusait à tort ou à raison d’avoir détourné 12 millions et demi de francs-or, de la haute administration de la Banque nationale, de plusieurs anciens ministres et de quelques grands négociants étrangers.

Les commissaires avaient jugé les charges retenues contre les accusés et leurs complices amplement suffisantes pour qu’ils répondent des faits qui leur étaient reprochés. Les parlementaires et les journalistes réclamaient à cor et à cri le jugement des prévaricateurs, la mise sous séquestre de leurs biens, leur arrestation pour gains illicites, abus de confiance et détournement de fonds publics. L’opinion publique horrifiée fulminait, demandait justice et châtiment. 

 

         Le procès de la Consolidation souleva la curiosité, la colère et l’indignation morale du peuple de Port-au-Prince. Du 28 novembre au 25 décembre 1904, il se rendra tellement nombreux aux audiences des assises criminelles que, pour assurer la protection des accusés, les forces de police durent prendre des mesures extraordinaires de sécurité. En haut lieu, en effet, on craignait tant et si bien qu’une populace en furie ne réservât un mauvais parti aux inculpés, que l’on disposa la moitié des effectifs de police autour des locaux du tribunal, tandis qu’un régiment entier de soldats occupait les rues conduisant au siège du procès.

Photos de Notables: Auguste, Jean Antoine Tancrède » Notables d ...

Tancrede Auguste,president d’Haiti (8 Aout 1912 –2 Mai,1913)

         Pour la première fois, le grand public pouvait désigner du doigt les fraudeurs, les prébendiers, les administrateurs corrompus, les responsables de la faillite publique dont le commissaire du gouvernement, Maître Pascher Lespès, fustigeait les turpitudes avec une éloquence emphatique et des effets de style qui portaient à fond. Maître Lespès lancera de foudroyantes attaques contre la Banque nationale qui, «depuis sa création, disait-il, pareille à la pieuvre, pompe notre sang, c’est-à-dire notre or avec ses tentacules, n’aurait pas manqué de fournir des généraux à cette légion du vice et de la corruption [il montre alors de la main les accusés, “les consolidards“] dont chaque être taré qui la compose pue le crime par tous les pores». Il s’agissait de punir des bandits, de les dissuader à reproduire leur stratagème, de sanctionner leurs activités véreuses, leur conduite déshonorante et immorale.

         Immédiatement après l’arrestation des prévenus dans le courant du mois de juin 1903, la France et l’Allemagne, envoyaient leurs bateaux de guerre rôder dans le golfe de la Gonâve afin d’intimider le gouvernement haïtien et obtenir la libération de leurs ressortissants inculpés dans cette grossière affaire de fraude financière. Pour le Quai d’Orsay et pour le ministre de France, M. Pierre Carteron, les employés français de la Banque nationale ne relevaient pas des lois haïtiennes et, par conséquent, n’avaient pas à rendre compte de leurs actes malhonnêtes au gouvernement de Port-au-Prince. Malgré toutes ces rodomontades, Nord Alexis gardera sa rigueur intransigeante et ira jusqu’au bout de ce procès qu’il voulait pédagogique contre les dilapidateurs des deniers publics.

         En tout état de cause, quarante-six accusés que s’employaient à défendre pas moins de quatorze avocats dont Michel Oreste, Edmond de Lespinasse, Seymour Pradel et Dantès Bellegarde, comparurent devant le tribunal. Soixante-dix témoins furent appelés et entendus à la barre. La Banque de l’Union parisienne s’était fait représenter par deux avocats du Barreau de la Seine qui furent admis à assister aux audiences.

Le 25 décembre 1904, à minuit, au terme de ce procès retentissant, mais honnête et loyal, le jury condamnait le directeur de la Banque nationale, Marie-Joseph de la Myre-Mory, son vice-président, Georges Ohlrich, ses employés, Rodolphe Tippenhauer, Jean-Baptiste Poute de Puybaudet et Anton Jaegerhuber aux travaux forcés pour faux, usage de faux, vol et recel. Vingt et un grands fonctionnaires dont le président Simon-Sam, sa femme Constance, leurs fils Démosthène et Lycurgue, seront condamnés par contumace à des peines de réclusion, déclarés incapables d’exercer une fonction publique et privés de leurs droits civils. Leurs biens meubles et immeubles furent saisis et vendus au bénéfice de l’État.

Parmi les «consolidards» condamnés on comptait les anciens ministres et hauts fonctionnaires Gédéus Gédéon, Stéphen Lafontant et Pourcély-Faine, Frédéric Bernardin, Edmond Défly, Admète Malebranche, Fénelon Laraque, Brutus Saint-Victor, Hérard Roy, (acquitté) François Luxembourg-Cauvin, Cincinnatus Leconte, Tancrède Auguste et Vilbrun Guillaume-Sam.

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Vilbrun Guillaume Sam, president d’Haiti(4 Mars 2015-27 Juillet 1915)

         Dans une lettre envoyée au secrétaire d’État américain John Hay, le ministre plénipotentiaire des États-Unis en Haïti, M. William F. Powell, affirma qu’«aucun reproche ne peut être fait au gouvernement quant à la conduite du procès. Le procès était absolument équitable et impartial. Les accusés et leurs avocats avaient toute la latitude nécessaire pour défendre leurs clients, et pour examiner et réexaminer les témoins, et pour appeler les témoins en leur faveur». Ce sentiment était d’ailleurs largement partagé par les journalistes étrangers, par les représentants de la cour d’appel de Paris et par tous les diplomates accrédités en Haïti qui furent unanimes à reconnaître qu’aucune erreur factuelle ou de justice n’avait terni le bon déroulement des débats.

       Nord Alexis accordera sa grâce aux condamnés étrangers qui purent retourner librement dans leurs pays. Après la chute du gouvernement, les condamnés en fuite rentrèrent de leur exil sans être inquiétés par la justice, se diront même les victimes d’une odieuse vendetta politique. Entre 1911 et 1915, trois «consolidards», Cincinnatus Leconte, Tancrède Auguste et Vilbrun Guillaume-Sam, accéderont à la première magistrature de l’État. Comme eux, tous les «consolidards» réintégreront la vie publique sans crainte de suite fâcheuse.

       La grande victime de toute l’affaire sera Nord Alexis lui-même. On pourrait penser que sa lutte contre le vol et la crapulerie allait lui valoir la reconnaissance de l’opinion, hélas non, la classe politique haïtienne et les grands financiers étrangers, le commerce allemand en particulier, ne lui pardonneront pas la ténacité et le courage moral qu’il avait démontrés durant le procès et ne lui feront jamais grâce d’avoir fait garrotter les concussionnaires, les pillards des fonds publics avant de les déférer devant le tribunal correctionnel pour qu’ils répondent de leurs actes crapuleux devant la justice.

Le civisme intraitable de Nord Alexis, son dévouement à la cause publique, son sens de l’honneur et sa probité foncière lui vaudront le tir groupé des politiciens condamnés, de leurs avocats et de certains intellectuels acrimonieux qui nourriront le plus vif ressentiment à son encontre, traceront un portrait assez peu flatteur du premier président haïtien ayant eu l’audace de rompre avec la tradition de complaisance envers les corrompus. Ils se vengeront très férocement contre celui qui tentait d’imposer une nouvelle éthique des valeurs, un nouveau contrat moral dans l’administration des affaires. 

Pour avoir fait traduire les coupables en justice et pour les avoir châtiés, ses ennemis s’appliqueront à dépeindre Nord Alexis comme un “grand fauve“, un animal sauvage, un fossile dégénéré consumé par l’ambition et l’orgueil, un dictateur ignorant et une brute sans âme. Gardien de la sécurité publique et de la morale d’État, Nord Alexis réagissait simplement en homme de qualité et à la droiture irréprochable qui n’attendait pas moins des grands responsables publics.

Charles Dupuy
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