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Joseph Antoine Tancrède Auguste, 20ème president d’Haiti (8 Aout 1912- 2 Mai 1913 )
Le président Tancrède Auguste était né au Cap-Haïtien le 16 mars
1856. Sa femme, Rose Durand, une Capoise elle aussi, était la sœur du
célèbre poète Oswald Durand. Installé à Port-au-Prince dès l’année
1886, Tancrède Auguste se lança dans le négoce bancaire et
l’importation. Il renonça bientôt à ces occupations commerciales pour
devenir ministre de l’Intérieur et de la Police générale de Florvil
Hyppolite. Renommé pour sa rare capacité à déjouer les complots et
l’efficacité de ses interventions policières, Tirésias Simon-Sam, le successeur d’Hyppolite, lui laissa la direction de ce ministère où il s’était
bâti une telle réputation de fin limier que l’évocation de son seul
nom effrayait les éventuels conspirateurs.
Accusé de fraude et d’abus de confiance, condamné par contumace lors du procès de la Consolidation, il ne put revenir en Haïti qu’en 1907 après que le président Nord-Alexis eut signé le décret qui lui accordait son pardon
et le réintégrait dans toutes ses dignités. Il faut savoir
qu’entre-temps sa femme, dans le but de le soustraire aux
condamnations pécuniaires infligées par le tribunal, avait réglé rubis
sur l’ongle la très coquette somme réclamée par la commission de
liquidation.
Après avoir essuyé ces déboires de carrière, soit qu’il fût
réellement dégoûté du monde, soit qu’il jugeât plus prudent de se
faire oublier, Tancrède Auguste tourna le dos à la chose politique
pour ne se consacrer qu’à ses terres de Châteaublond. Châteaublond
c’est cette belle propriété qu’il transforme en une véritable
entreprise industrielle administrée selon les rigoureuses traditions
du labeur assidu et de l’économie productive. Il augmente son bien au
fil des acquisitions et des héritages, ajoute les plantations de
Caradeux, de Rocheblande, de Dumornay, de Fleuriau, de Digneron à son
domaine, ce qui lui vaut l’honneur de figurer bientôt parmi les plus
riches propriétaires terriens de la plaine du Cul-de-Sac.
Sa fortune bien assise, il lui ajoutera une petite usine sucrière qui, après
mille avatars, sera plus tard connue sous le nom de la Hasco. Il
revient brièvement à la vie publique quand Nord-Alexis le nomme
ministre de l’Intérieur en 1908 et, en 1910, on le retrouvera à la
tête du comité chargé d’organiser les secours aux sinistrés après le
passage dévastateur d’un cyclone dans la presqu’île du Sud. Il est
intéressant de noter que, se conformant à une coutume bien ancrée chez
les propriétaires des grandes exploitations rurales de l’époque, il
prendra l’initiative d’ouvrir et d’entretenir à ses frais une petite
école destinée aux enfants des ouvriers de ses plantations.
Ancelinette Rose Joseph Durand Auguste
Le 8 août 1912,
dans les heures qui suivirent l’explosion du Palais,
Tancrède Auguste était élu président de la
République par l’Assemblée
Nationale. Madame Tancrède Auguste eut la
surprise d’apprendre
l’élection de son mari à la présidence d’Haïti
en lisant les journaux
parisiens. Elle était en voyage d’agrément avec
sa fille Lucie et se
trouvait précisément en France lorsque survint
l’horrible catastrophe
et tous les malheureux événements qui en
découlèrent.
Bien entendu, la mère et la fille précipitèrent leur retour à Port-au-Prince pour, écrivait Le Nouvelliste, «fortifier de leur affection le chef de
l’État dans sa tâche difficile et délicate». Le quotidien n’oublia
naturellement pas de présenter ses «bien respectueux hommages de
bienvenue» dans la capitale à Madame la présidente et à sa fille.
Comme on peut
l’imaginer, les deux dames descendirent du bateau
irradiantes de bonheur et reçurent l’accueil
empressé de son
excellence le président de la République entouré
des très nombreux
amis venus assister au moment tant attendu de
leur débarquement.
Vu les
circonstances, Tancrède Auguste avait érigé sa résidence
privée du Bois-Verna en siège provisoire de la
présidence. C’est ainsi
donc que sa femme eut la désagréable surprise de
trouver son salon
encombré de visiteurs officiels, de voir la
maison familiale
transformée, et cela avec tous les inconvénients
que l’on suppose, en
résidence officielle du chef de l’État. Cette
situation devait
entraîner de tels désagréments qu’il était
inconcevable qu’elle pût
durer bien longtemps.
Tancrède Auguste alla donc s’installer dans le quartier du Bas-peu-de-chose avec ses officiers d’ordonnances et la cohorte de ses aides de camp. Peu après, il promulguait une loi consacrant la somme de trois cent cinquante mille dollars à la construction d’un nouvel édifice destiné à remplacer le Palais National détruit par l’explosion de 1912. Conçu par l’architecte
haïtien Georges Baussan, ce nouveau Palais sera construit avec les
seuls fonds de l’État haïtien et ne sera terminé qu’en 1921 à cause
des retards malencontreux occasionnés par la Grande Guerre (NDLR: la 1ère guerre mondiale).
Le Palais National encore en construction en 1920 apres l’explosion de 1912
Entre-temps, le président se rendait au Cap-Haïtien afin de
négocier
la paix avec les turbulents chefs Cacos. Il ne
manqua pas d’aller
visiter son cousin Jérôme Adhémar Auguste lequel
était d’ailleurs le
maire de la ville. On raconte que les deux
cousins se trouvaient
paisiblement assis sur le balcon de la résidence
du magistrat à la rue
espagnole, quand un quémandeur fit parvenir une
lettre au président
qui, après l’avoir parcourue, la déchira et en
jeta les miettes qui se
répandirent dans la rue. Étonné, Adhémar Auguste
s’adressa sur un ton
de reproche au chef de l’État pour lui signifier
qu’ici, dans cette
ville, on ne jette rien dans les rues. Le
président s’excusa, fit
venir un de ses aides de camp qu’il chargea de
ramasser les moindres
morceaux de papier qui s’étaient répandus sur la
voie publique.
On sait que peu après cette grande tournée qu’il avait effectuée du 25
novembre au 11 décembre 1912 dans le Nord, le président montra, à son
retour dans la capitale, des signes de fatigue et de surmenage qui
inquiétèrent son entourage. Le 2 mai 1913, il mourait des suites d’une
«anémie pernicieuse aplasique» dont ses médecins se révéleront
incapables de le guérir. Cette mort parut assez suspecte pour que l’on
rivalise en conjectures avant d’adopter l’explication qui semblait la
plus plausible pour certains: l’empoisonnement criminel. On prétendra
ainsi que le président qui avait l’habitude de boire un grand verre de
lait chaque après-midi vers les quatre heures, se sera fait offrir le
mortel breuvage lors de son séjour au Cap chez des hôtes très au fait
de ses petites manies.
Tancrède Auguste était le grand-père de Jacques Roumain, l’auteur du
célèbre roman “ Gouverneurs de la rosée”. Roumain était le fils
d’Auguste Roumain et d’Émilie Auguste, une des filles du président. On
notera que c’est ce jeune aristocrate élevé dans l’aisance et la
facilité qui se fera le chantre des opprimés, luttera pour le triomphe
des idées de la gauche révolutionnaire et fondera le Parti communiste
haïtien. Pendant toute la présidence de Borno, Roumain sera
particulièrement persécuté pour ses activités subversives et pour les
chroniques injurieuses qu’il publiait contre la dictature bicéphale,
celle qu’exerçaient alors le président Louis Borno et le général
américain John Russell. À plusieurs reprises, Roumain fut traduit en
justice et condamné pour outrage au chef de l’État qu’il s’entêtait à
dénoncer comme traître à la patrie.
Jacques Roumain
De leur côté, les
partisans de Borno répliquaient en faisant grief à
Roumain d’être le petit-fils d’un incendiaire,
accusation qui avait la
singulière vertu de faire sortir le jeune poète
hors de ses gonds. Il
faut savoir qu’à l’époque on considérait que le
président Leconte
avait été victime d’une conjuration, d’un infâme
complot. Un complot
qui aurait été tramé, disait-on, par nul autre
que Tancrède Auguste.
Auguste ayant succédé à Leconte, on en concluait
un peu vite qu’il
était celui à qui le crime avait profité.
C’étaient des arguments
plutôt puérils et largement fondés, on en
conviendra, sur
l’irrationalité et la mauvaise foi.
Il n’empêche que le 3 mai 1930,dans un fameux discours qu’il prononça peu de jours avant de quitter le pouvoir, Borno déclarait à la radio: «les incendiaires […] on les trouvera dans les rangs des politiciens […] assassins du président Leconte et de ses pauvres soldats paysans, fils d’incendiaires et
incendiaires eux-mêmes […] Je les dénonce à la nation!» L’allusion à
Tancrède Auguste et à son petit-fils Jacques Roumain est ici bien
évidente et ces accusations porteront Roumain à déclarer
solennellement dans les colonnes du quotidien Haiti-Journal que jamais
plus il n’acceptera de poste dans la fonction publique. Quelques
années plus tard, le président Lescot le nommait chargé d’affaires
d’Haïti à Mexico. Il acquiesça à sa nomination et c’est dans cette
capitale étrangère qu’il termina Gouverneurs de la rosée avant de
revenir mourir à Port-au-Prince en 1944.
Signalons en
passant que Jacques Roumain qui était un proche parent
de Jérôme Adhémar Auguste venait assez souvent
passer ses vacances
d’été au Cap en compagnie de ses nombreux
cousins et Gisèle Lebon, une
de ses cousines, nous apprend dans ses Mémoires
que lors de ces
visites, le jeune Roumain émerveillait tout le
monde avec ses rares
talents de fin causeur, sa vaste culture et son
aimable caractère.
Pour finir, il est peut-être amusant de noter que le fils du président
Borno, Henri Borno, devait épouser la très exquise et très jolie
Simone Auguste, une petite-fille du président Tancrède Auguste et la
cousine germaine de Jacques Roumain. Comme le monde est petit!
Charles Dupuy
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