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Communauté haïtienne de Camagüey, années 2010 © Y. Garcia Garcia
Si l’émigration haïtienne en République dominicaine n’est que trop bien connue et fait souvent les grandes manchettes de la presse nationale et internationale, celle des travailleurs haïtiens qui ont quitté leur pays à destination de Cuba n’est pas très souvent mentionnée, on pourrait même dire qu’elle est complètement ignorée du grand public. De nos jours, en effet, on semble avoir oublié l’ampleur de l’immigration haïtienne dans l’île voisine de Cuba et c’est tout à fait vrai qu’elle n’est pas souvent évoquée par la chronique. Pourtant ce sont des dizaines de milliers de travailleurs haïtiens qui auront pris le bateau durant les années les années 1910 et 1920 pour se rendre à Cuba où les grandes compagnies sucrières réclamaient à grands cris cette main-d’œuvre qui leur était indispensable (1). En effet, ces émigrés étaient des coupeurs de canne à sucre et presque tous étaient originaires de la presqu’île du Sud.
Ce fut une émigration de masse, une sorte d’exode, une véritable saignée démographique que le président Paul Magloire aura l’occasion d’évoquer en 1952 à l’Hôtel de ville des Cayes dans un discours qu’il prononça lors d’une tournée dans le département du Sud. Dans ce fameux discours, Paul Magloire évoquera le départ massif de ces travailleurs haïtiens à destination de Cuba où ils allaient «remuer de leurs muscles, disait-il, un terre qui n’était pas la leur, laissant aux seules femmes la garde des champs abandonnés et des canaux déssechés».
Quand, dans le courant des années 1930, les prix du sucre commencèrent à fléchir sur les marchés internationaux, les grandes compagnies sucrières mirent les coupeurs de canne à sucre haïtiens au chômage et le gouvernement de La Havane pensa aussitôt à se débarrasser de ces travailleurs qui étaient devenus soudainement de parfaits indésirables sur le sol cubain. En conséquence de quoi le dictateur cubain de l’époque, Gerardo Machado y Morales organisera de véritables rafles de travailleurs saisonniers haïtiens dont il avait l’intention de se débarrasser et qu’il allait effectivement refouler par milliers dans leur pays d’origine. Lorsque, quelque temps plus tard, L’Action Nationale, un journal dirigé par Julio Jean-Pierre Audain, le chef de cabinet du président Sténio Vincent, commença la «publication d’une série d’articles dans lesquels on traitait Fulgencio Batista, le successeur de Machado, de “vulgaire sergent hissé au pouvoir au moyen d’un pronunciamento“, celui-ci fit embarquer les Haïtiens par centaines sur des vaisseaux cubains et les jeta sur les côtes d’Haïti les plus proches. Après quoi, la loi cubaine prohiba formellement l’immigration haïtienne considérée comme nuisible.» (Démosthène Petrus Calixte, Calvaire d’un soldat, 1939, p.69)
Ces déplacements de populations auront des effets prolongés sur le monde rural haïtien et aussi, bien entendu, à Cuba où quelque deux cent mille travailleurs migrants haïtiens s’étaient installés dans les provinces de Camaguey et d’Oriente. Ce sont surtout dans ces provinces que les descendants de ceux qui n’ont pas été déportés auront laissé les traces, encore visibles aujourd’hui de leur cuisine, de leur musique, de leur danse, bref, de leurs us et coutumes. En effet, il subsiste encore à Cuba des marques révélatrices de cette émigration haïtienne puisque les descendants de ces ouvriers agricoles, de ces coupeurs de canne, n’ont pas oublié leurs origines, leurs racines, bref, leur héritage culturel qui se manifeste par leur façon de cuisiner et aussi par leur musique, leurs chants et leurs danses. Disséminée un peu partout dans le sud du territoire cubain, ces descendants d’Haïtiens se réunissent aujourd’hui dans des associations qu’ils appellent «souvenance», cela, afin de jouer de la musique, de danser, de fêter, de s’amuser comme leurs arrières-grands-parents leur avaient appris à le faire et ainsi conserver la mémoire du pays de leurs ancêtres.
(1) À la même époque des milliers de travailleurs haïtiens partaient à destination de Panama où ils allaient participer à la construction du canal qui, sans eux, n’aurait sûrement pas été inauguré en 1914.
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Charles Dupuy
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