Recouverte à plus de 60 % au début des années vingt, Haïti, aujourd’hui, ne compte plus que 2 % de couverture végétale. Nombreux sont les facteurs qui expliquent les causes de la déforestation accélérée du pays. Mais quels qu’ils soient, les pressions accrues sur l’environnement risquent de nous conduire à une catastrophe d’une ampleur inédite jusqu’ici.
Qualifiée de phénomène de régression des surfaces couvertes de forêt, la déforestation découle des actions continues de déboisement et de défrichement. En Haïti, ces interventions sont aussi liées à l’extension des terres agricoles, à l’exploitation des ressources du sous-sol, à l’urbanisation et à l’exploitation anarchique de certaines essences forestières.
Les premières agressions contre l’environnement démarrent quelque peu avant les années soixante. Selon les estimations, en 2006, la surface boisée n’occupait que 2 % du pays contre 60% au début des années vingt.
Les causes humaines
Placée sur la trajectoire des cyclones, Haïti est aussi exposée à d’autres phénomènes. Pas toujours naturels. La déforestation en est un. « Les causes principales de la déforestation actuelle sont humaines », croit comprendre Michel William, un agronome qui anime des émissions sur l’agriculture. Pour lui, la coupe des arbres pour la fabrication du charbon de bois et de planches pour la construction est la principale cause de la déforestation dans le pays.
Le bois est hypersollicité. Il est utilisé pour la cuisson, dans les boulangeries, les blanchisseries et les distilleries. La production du charbon de bois pour la cuisson représente plus de 72 % des besoins énergétiques du pays et 60 % de ceux de la capitale, selon une étude publiée par Eddy Saint Gilles, spécialiste en environnement.
Les paysans ainsi que les grands propriétaires venus des grandes villes s’approprient le charbon pour des miettes qui ne peuvent pas compenser les arbres coupés. L’agronome William promeut des moyens pour substitution au charbon de bois, comme l’utilisation du gaz propane liquéfié dans les blanchisseries et à usage domestique.
Michel William est intrigué par la paupérisation de la paysannerie vivant avec moins de deux dollars par jour et ayant comme seule source de revenu le charbon de bois. « L’État, préconise-t-il, doit accompagner les gens à travers une banque de développement. La subvention d’une partie des efforts du producteur est la seule façon de lutter contre la déforestation ».
Les causes naturelles
Pratiquée avec intensité sur les montagnes, la coupe abusive des arbres augmente l’érosion et enlève un important système de protection contre les ouragans. Des experts des Nations unies vont jusqu’à dire que « la ville des Gonaïves aurait pu être protégée des glissements de terrain s’il y avait eu des forêts sur les montagnes de la vallée lors du passage de l’ouragan Ike en 2008 ».
Disposant d’1/32 de terre pour sa survie, le paysan haïtien pratique une agriculture encore rudimentaire. Il défriche pour trouver de l’espace pouvant développer des cultures aratoires et saisonnières (maïs, sorgho, pois congo…). Il met parfois le feu au moment de préparer la terre.
Le reboisement est aussi perçu comme une crise de surconsommation due à une augmentation rapide de la population. En effet, la mondialisation de l’économie expose les forêts tropicales à la pression du marché international. En Haïti, ces préoccupations sont aussi de mise. Selon les Nations unies, depuis les années soixante, la population haïtienne augmente d’environ un million de personnes tous les dix ans, dépassant plus de 10 millions actuellement.
Les causes politiques
L’État répond absent depuis plus de vingt ans. Les autorités locales s’affaiblissent. Aucune mesure n’est prise pour stopper la déforestation qui s’aggrave au vu et au su de tout le monde. Quand la police, détentrice de la violence légitime dans le pays, tente d’agir, les agents sont parfois soudoyés par les grands commerçants transportant des tonnes de charbon vers la capitale. Il faudrait donc revaloriser les structures administratives locales, propose William qui dénote une mauvaise politique de gestion des terres par les autorités. Le déboisement découle aussi du manque d’appui du pouvoir central au secteur paysan depuis plusieurs années.
La politique de transformation des terres arides en zones franches dans de nombreux points du pays participe aussi à la déforestation. Pour établir les structures de base de ces zones franches, on procède à des travaux de forage et de déboisement. Des villages écologiques sont transformés en bidonvilles pour accueillir les ouvriers de ces industries de la sous-traitance. Après Caracol et Codevi à Ouanaminthe, c’est la côte Sud qui est visée. Au moins deux zones franches y seront installées.
Le spécialiste en environnement, Eddy Saint-Gilles, fait un plaidoyer émouvant pour la question environnementale. À son avis, la dégradation de l’environnement telle qu’elle se manifeste en Haïti doit interpeller tout le monde. Car l’environnement est un bien commun qui n’a pas de frontière. Pour continuer à bénéficier des avantages de la nature, il faut changer de paradigme en étant plus optimistes, plus perspicaces dans nos interventions et surtout plus réalistes dans nos actions.
Mais avec un taux annuel de reforestation de 0,7 % et près de 20 millions d’arbres abattus chaque année, le reboisement est-il encore possible en Haïti ? Il faudra commencer par s’engager. Si chaque Haïtien plante au moins un arbre tous les mois, on y arrivera un jour, indubitablement.
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