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Des idées pour le développement : D’un milliard en 1988 à 126 milliards en 2014

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Je suis tombé sur la loi des finances 1987-1988 publié dans le journal officiel Le Moniteur du lundi 28 septembre 1987. Il a été informatif à plus d’un titre. Premier constat : il respectait bel et bien le délai constitutionnel ; le pays était doté d’un nouveau budget bien avant le nouvel exercice fiscal. Deuxième observation : l’enveloppe budgétaire dépassait à peine un milliard de gourdes, plus exactement 1,36 milliard de gourdes. Tandis que pour l’exercice fiscal 2013-2014, les ressources budgétaires s’élèvent à 126,41 milliards de gourdes.

Existe-t-il effectivement un si grand écart entre les deux périodes ?

Pas vraiment si l’on regarde ces montants en dollars américains puisque le taux de change à l’époque était de l’ordre de 5 gourdes pour un dollar américain en 1987 contre 44 gourdes aujourd’hui. L’enveloppe budgétaire s’élevait donc à 272 millions de dollars américains en 1987-1988 contre 2,87 milliards en 2014.
Rappelons, à titre de comparaison, que la fortune du Mexicain Carlos Slim Helu, l’homme le plus riche du monde, s’élève en 2013 à 73 milliards de dollars américains alors que celle de Bill Gates, l’Américain, suit avec 67 milliards de dollars. Voilà par définition ce que l’on appelle un pays pauvre : un État 25 fois plus pauvre qu’un individu.
En dehors du montant, ce qu’il convient de noter entre les deux budgets c’est la différence au niveau des allocations budgétaires par secteur et ministère. En 1987, seulement 5 % du budget était consacré à l’investissement. Avec 187 millions de gourdes, soit 14 % du budget, le ministère de l’Éducation nationale disposait de l’enveloppe la plus importante. Les Forces armées d’Haïti suivaient avec 168,5 millions de gourdes, soit 12,4 % du budget. On l’appelait d’ailleurs une armée budgétivore. Puis, on retrouvait le ministère de la Santé publique avec 146 millions de gourdes, soit 10,7 % de l’enveloppe budgétaire alors que le ministère de l’Économie et des Finances disposait d’un montant de 101,84 millions de gourdes, 7,5 % du total.
L’éducation constituait donc une priorité à l’époque si l’on se fie aux crédits budgétaires alloués à ce secteur. Il en est de même de la santé publique, des postes budgétaires qui représentent des dépenses de capital humain.
Outre les 168,5 millions des Forces armées, le ministère de l’Intérieur et de la Défense nationale disposait de 51,3 millions de gourdes. Il existait également à cette époque un commissariat à la Promotion nationale et la Fonction publique qui était assez bien garni avec plus de 19 millions de gourdes.
Selon la loi des finances 1987-1988, le salaire du président du Conseil national de gouvernement, le lieutenant général Henri Namphy, s’élevait à 50 000 gourdes, les membres du conseil percevaient 27 500 gourdes comme les ministres alors que les secrétaires d’État recevaient 22 500 gourdes. Méfiez-vous des salaires des officiels, m’avait pourtant averti un cadre du ministère de l’Économie et des Finances qui me faisait remarquer que les frais de toutes sortes peuvent constituer un vrai pactole pour ces autorités. Les ressources totales du budget 2013-2014 atteindront 126,41 milliards de gourdes dont 46,24 milliards de dépenses courantes et 77,54 milliards, soit 61,3 %, de dépenses d’investissement. Il s’agit là du point le plus positif du budget 2013-2014. Le ministère des Travaux publics, Transports et Communications se taille la part du lion avec un montant de 26,3 milliards de gourdes, soit 20,8 % du total. En 1987-1988, ce même ministère disposait de 72,9 millions de gourdes, soit 5,4 % du budget de l’époque.
S’ensuit le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle avec 16,1 milliards de gourdes, soit 12.8 % du budget global. Il est suivi de près par le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) avec un crédit budgétaire de 11,7 milliards de gourdes, soit 9,3 % du total.
On retrouve respectivement le ministère de la Justice avec 10,3 milliards de gourdes, soit 8,2% du budget et le ministère du Plan et de la Coopération externe avec une enveloppe de 9,37 milliards de gourdes, soit 7,4% du total.
Certaines priorités ont donc changé. Les travaux publics prennent le dessus sur l’éducation qui demeure quand même prioritaire. Cela peut vouloir dire que les gouvernements successifs depuis les 26 dernières années n’ont pas su résoudre le problème éducatif. Et c’est aussi cela l’une des caractéristiques du sous-développement : dépenser beaucoup d’argent sans atteindre des objectifs précis. Les problèmes persistent alors indéfiniment. Le secteur de la justice représente, à côté du système éducatif, deux illustrations parfaites. On dépense depuis des années pour réformer le système judiciaire, mais les signes probants d’amélioration se font encore rares. Quant à l’éducation, on dit même que le niveau est sévèrement détérioré.
Or, justement, dans un pays comme Haïti, l’obligation de résultat devrait s’ériger en principe cardinal. Pour y parvenir, ces objectifs doivent être clairement établis et les actions à entreprendre, assorties de calendrier d’exécution, explicitement identifiées. Et sur ce point, le Dr Kathleen Dorsainvil, dans un article publié dans l’édition du Nouvelliste du 31 juillet 2013, a fait ressortir certaines faiblesses du budget 2013-2014. Les objectifs, a-t-elle indiqué, sont souvent redondants et peu précis.
Elle poursuit : « Quand on observe le budget d’investissement, on se démène dans un capharnaüm de programmes et de projets dont les objectifs, vraie feuille de route des ministères, semblent par moments avoir été mis de côté. Par exemple, le MEF est doté d’une allocation d’environ 771 millions de gourdes pour l’installation de lampadaires solaires dans tout le pays. Ce projet ne figurait pas parmi les objectifs dudit ministère et semble plutôt relever des compétences du ministère des Travaux publics, transports et communications (MTPTC) qui dispose d’un Bureau des mines et de l’énergie. Ce même ministère a une allocation d’environ 254 millions de gourdes pour le relogement des personnes sinistrées et des ouvriers de Caracol. Ce programme ne découle pas des objectifs présentés et semble plutôt relever des compétences du ministère des Affaires sociales (MAS). »
Mme Dorsainvil note que le programme « d’extension des services d’alimentation en eau potable et d’assainissement » figure dans le budget d’investissement de trois ministères : MICT, MTPTC et MPCE pour des montants et des financements différents. Il aurait été, dit-elle, plus judicieux que ces programmes soient pris en charge par une même entité gouvernementale.
Ces exemples laissent présager un manque de planification et de coordination des politiques publiques. Une faiblesse qui ne peut que nuire à l’efficacité des interventions de l’État, donc au processus de développement national. Ne dit-on pas que le sous-développement est avant tout un échec de coordination entre les différents secteurs vitaux d’un pays ?

Thomas Lalime

 


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