Serge Moise
Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer.
François de la Rochefoucauld
En effet depuis la nuit des temps, l’homme s’est révélé l’unique animal à être toujours en guerre avec lui-même, devenant par ce fait même, son principal et pire ennemi.
Un bref survol des points chauds du globe suffirait à en convaincre les plus sceptiques. L’essentiel des bulletins de nouvelles, relate de façon continue, les atrocités commises chaque jour, ici et là, sur des enfants, des femmes et des hommes de tous âges, comme étant des faits divers.
Et Haïti, tel un microcosme, n’échappe pas à la règle.
La trame événementielle depuis la chute de la dictature s’est révélée une suite de crises : crise sociale, cycle d’instabilité politique, crise institutionnelle, crise économique, en plus des catastrophes naturelles, sans oublier « l’aide des pays amis » que les mauvaises langues appellent, l’industrie de la misère.
A travers cette situation chaotique interminable, la principale préoccupation des acteurs de la scène politique semble être l’organisation des « élections/sélections » qui n’ont rien apporté de nouveau, sinon l’aggravation de la misère et de l’insécurité sur tout le territoire national.
« Depi lan guynen nèg pa vlé wè nèg » nous dit la malice populaire. Nos fins lettrés font une lecture savante du vocable haïtien qui se traduit par : « haïr les siens ».
Ce n’est donc un secret pour personne, les analphabètes comme les nantis du savoir, pour paraphraser Serge Beaulieu, admettent avec un certain stoïcisme le fait que le vivre-ensemble, la convivialité, encore moins la fraternité demeurent des vertus qui nous sont étrangères.
Et avec l’exode massif de nos concitoyens, en République Dominicaine, aux États-Unis, au Canada et en France, la fracture s’est amplifiée puisqu’un peuple acculturé, dans son errance, se comporte comme un liquide qui prend la forme du vase qui le contient. Donc au lieu d’une diaspora, nous en avons au moins quatre, comptant chacune environ deux cents leaders autoproclamés, lesquels ont chacun leur propre vision du développement de l’alma mater. Cette dernière se retrouve broyée entre des tonnes de bonnes intentions mais hélas aucun projet commun porteur de progrès et de prospérité pour tous.
Pourtant, il existe bel et bien quelques projets valables « CNRJ » et « FHS » entre autres, qui ne pouvant être dénigrés, feront l’objet d’un silence opaque et insidieux. Comportement typique des crabes dans le panier.
Incapables de réaliser la synthèse de leurs différentes approches en tenant compte du paradigme culturel haïtien, car le développement d’un peuple passe par ses créneaux culturels nous a appris le concepteur du tiers-monde, l’agronome René Dumont, cette multitude de leaders, sans mettre en doute leurs bonnes intentions, se perdent en conjectures, à travers d’interminables dialogues de sourds, se gargarisent de leurs titres académiques : baccalauréat, licence, maîtrise, doctorat, PhD mais n’accouchent au bout du compte rien de bien concret.
Ils ont certes beaucoup appris mais force est de reconnaître qu’ils ont très peu retenu car « c’est à ses fruits qu’on reconnaît l’arbre ». Si ce n’est nous les véritables responsables de cette faillite, les pauvres seraient-ils donc les vrais coupables de tant de misères et d’atrocités dont ils sont les premiers à en pâtir?
Nous devons à nous-mêmes et aux autres, de faire notre mea culpa, d’admettre que nous avons lamentablement échoué, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre pays, qu’il nous faut, autant que faire se peut, sortir des sentiers battus, éliminer coûte que coûte cette méfiance qui nous divise systématiquement et fait de nous des frères ennemis, changer radicalement nos manières de penser et d’agir, mettre tout en œuvre afin de créer des emplois à travers le pays, nous montrer enfin, les dignes héritiers de nos ancêtres et ne pas démériter de la nation.
Assurément nous le pouvons, ce qui manque c’est simplement la volonté, le savoir et le savoir-faire sont à portée de la main. Il est vrai que nous faisons face, entre autres, à un déficit au niveau de l’éthique et des valeurs cardinales, un nivellement par le bas qui nous prive de notre capacité de nous indigner à bon escient mais nous n’avons pas atteint le point de non retour.
Un dernier sursaut demeure encore possible et souhaitable.
Et puisqu’en dépit des conditions infrahumaines dans lesquelles vivotent la grande majorité de nos concitoyens, ces derniers font preuve d’une si grande résilience, la conférence nationale, ce dialogue franc, ouvert et constructif s’avère le paradigme incontournable.
La tragicomédie n’a que trop duré, le prix déjà payé, hélas beaucoup trop élevé, plus tard risque d’être trop tard. Faisons mentir nos éternels détracteurs. Tous ensemble, prenons-nous par la main afin qu’Haïti redevienne dans un avenir prévisible, ce symbole de dignité et de fierté, le phare de la race : « la Perle des Antilles »
Serge H. Moïse
avocat
* Homo homini lupus : L’homme est un loup pour l’homme