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Alvin P. Adams « Bourik Chaje » est mort

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Alvin Adams »Bourik Chaje » avec Jean-Bertrand Aristide

Chers amis,

Notre ami Charles Dupuy vient de me faire parvenir la nouvelle de la mort de l’ancien Ambassadeur des USA en Haiti Alvin P. Adams, plus connu comme Bourik Chajé.  J’ai réagi spontanément à cette nouvelle en écrivant à Charles un peu pour discuter le titre de l’article du New York Times selon lequel Alvin Adams a aidé Haiti dans sa marche vers la démocratie.  J’ajouterai quand même ici à ce que j’ai dit dans la lettre à Charles que les États-Unis et Haiti seraient mieux servis, MALGRÉ TOUT, s’ils envoyaient des ambassadeurs comme Alvin P. Adams.

Qu’il repose en paix.

 

Henri Piquion

 

N.B. Charles et moi sommes d’accord pour que je fasse circuler la lettre.

Mon cher Charles,

Je te remercie d’avoir partagé cette nouvelle avec moi.  C’était un homme, il devait mourir. C’était un homme attachant qui a peut-être, malgré tout, voulu du bien pour notre pays.

Mais il est exagéré de prétendre qu’il a aidé Haïti dans sa route vers la démocratie. Il aurait peut-être voulu le faire, je n’en sais rien, mais je sais qu’après la chute et le départ de Prosper Avril, chute et départ dont il est ouvertement à l’origine, il a laissé faire ce qui s’appelait alors « le secteur démocratique » qui a installé ce « Conseil d’État » dont le seul objectif était de bloquer le gouvernement d’Ertha Pascal Trouillot au point qu’Alvin Adams lui-même a facilité une rencontre entre la présidente et le président George H.W. Bush, ce qui a permis à Ertha de continuer, mais a aussi ouvert la porte à la tentative avortée de la « communauté internationale » (sic) de contrôler les élections technologiquement et par l’envoi massif de superviseurs dont certains ne savaient pas très bien dans quel pays ils étaient.  (Cette dite « communauté internationale » s’est bien rattrapée depuis)

Ertha Pascal Trouillot recevant un dignitaire

Alvin Adams était intéressant à plusieurs points de vue.  Il n’était pas un ambassadeur classique.  Il était content qu’on l’appelle « Bourik chagé » Il était partout, avec tout le monde. Il s’invitait dans des réunions politiques où pour le moins on ne l’attendait pas.  Il racontait sous forme de blagues des anecdotes à finalité politique dont on ne pouvait pas savoir s’il les avait imaginées ou si elles étaient vraies.  Un exemple :  Il s’amène un  jour à une réunion de « la table de concertation » où l’on discutait de l’après Avril.  Il a fait le tour, salué presque tout le monde, puis a rejoint un petit groupe auquel il a raconté « confidentiellement » que la veille, qui était le 10 mars 1990, il a téléphoné très tôt chez Avril pour lui parler.  Son interlocuteur lui a répondu qu’Avril n’était pas disponible.  Il insiste et demande à qui il parle.  Réponse :  « Je suis le général Alerte ».  Le général lui demande à son tour à qui il parle, et lui de répondre « Sé bourik la oui.  »  Alerte a raccroché… Rires.  Il était fier de son coup, si c’en était un.

Voilà un peu l’homme.  Il jouait à être sympathique et passait pour être un politicien intelligent.  Mais il ne l’était pas autant qu’il le pensait et n’a pas autant contribué à notre marche vers la démocratie que le dit Le New York Times.  Au contraire il a contribué à faire échouer des négociations que le Parlement haïtien menait avec Aristide et Washington.

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President Ronald Reagan stands with former Ambassador Alvin P. Adams, Jr., June 1, 1983 in the Oval Office. Adams, 73, died Saturday from an apparent heart attack after more than a 30-year career in foreign service. (Courtesy Ronald Reagan Library)

Il fréquentait, DIT-ON, une maison où vivaient deux sœurs que René Théodore fréquentait aussi.  Ils étaient en quelque sorte des quasi beaux-frères.  Cette fraternité a joué dans la désignation par Aristide de René Théodore comme Premier Ministre.  Théodore est donc « Premier Ministre désigné« .  Il y avait plus qu’un consensus sur cette formule qui va être proposée par la suite et expérimentée avec Malval:  Le président est en exil, mais SON Premier Ministre est en Haiti.

Le jour du retour de Théodore presque tout ce qui respire à Port-au-Prince était à l’aéroport pour le recevoir.  L’armée et la police étaient bien représentées et des dispositions avaient été prises pour assurer la sécurité du « Premier Ministre désigné« .  Dès l’atterrissage de l’avion une voiture « blindée » de l’ambassade des USA contourne tout le monde et le dispositif de sécurité en place pour aller chercher Théodore au moment où il descend de l’avion « pour sa sécurité« .  Insultée, vexée, humiliée l’armée a décidé que jamais Théodore ne sera Premier Ministre.  Il ne l’a jamais été.

C’était une faute diplomatique made in USA (J’ai le droit de faire avec arrogance ce que je veux partout) et une grave erreur politique due à la certitude psychologique que les Haïtiens ne méritent pas beaucoup d’égards et qu’ils accepteront tout, surtout venant de moi, ambassadeur des États-Unis.  Ceux qui ne le savaient pas ont découvert alors que les USA resteront pareils à eux-mêmes même quand leur ambassadeur se fait appeler « Bourik chagé« .

 Ce nom lui vient de la réponse qu’il a donnée à un journaliste qui essayait de le questionner le jour de son arrivée.  Il  a évité de répondre en déclarant que « Bourik chagé pas kampé« .  Cette réponse, qui n’était à mon avis qu’une esquive, a été interprétée de mille façons.  J’ai même entendu dire que c’était sa façon d’annoncer qu’il avait mission de jeter Avril.

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Rene Theodore

Jeter Avril !!!

Quand Avril a pris le pouvoir le 17 – 18 septembre 1988 à la suite du soulèvement des « petits soldats » le samedi précédent, tout le monde était d’accord pour le laisser organiser les élections attendues depuis 1987 et même depuis 1957.  On savait qu’il avait l’intelligence de comprendre que c’est ce qu’il fallait faire, non seulement pour le pays mais pour sa propre survie politique et qu’il avait la force d’imposer ces élections (de telles élections) à ceux qui ne voulaient pas en entendre parler.  Mais ce qu’on ne  pouvait concevoir, c’est qu’il était littéralement prisonnier de sa force. Car la force n’est pas une abstraction ou un don de Dieu.  C’est une synthèse matérialisée d’hommes et d’armes.

Ceux qui faisaient la force d’Avril n’ont jamais pu comprendre qu’ils déstabilisaient son gouvernement (leur gouvernement) en se faisant les agents les plus actifs de l’insécurité devenue l’air du temps.  Ils n’ont jamais pu comprendre qu’en réclamant sur tous les murs du pays « Avril pour 5 ans – Avril pour 15 ans – Avril pour 25 ans« , ils ont détruit la fragile base de repli sur laquelle Avril pouvait compter dans le milieu politique, la société civile et la population en général.  Tous ces individus et ces groupes d’individus, pour des raisons différentes et parfois contradictoires voulaient la tenue rapide d’élections plus ou moins propres. Même les duvaliéristes (françoisistes et jean-claudistes) voulaient des élections au plus vite pour se recycler dans la démocratie.  Paradoxalement ceux qui voulaient le moins les élections sont ceux qui vont en bénéficier

Les hommes d’Avril l’ont isolé du reste du pays.  Même les demandes de rencontres avec le Président étaient bloquées par son secrétariat composé de militaires qui avaient tant de lumières et donc de certitudes qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait autour d’eux dont ils étaient aussi les acteurs.

 

 Alvin Philip Adams Jr. (August 29, 1942 – October 10, 2015)

C’est dans ce contexte qu’à la mi-février 1990 (je n’ai pas la date précise, mais c’était peut-être le mercredi 14 février) « Bourik chajé » invite chez  lui quelques leaders politiques avec la question suivante :  Comment renvoyer Avril sans qu’il y ait effusion de sang?  Cette question était la suite de leur analyse qu’Avril, malgré sa déclaration qu’un  peuple qui ne sait pas lire n’est pas prêt pour la démocratie, n’était pas à l’origine de la campagne pour qu’il garde le pouvoir.  (Plusieurs, et j’étais du nombre,  pensaient même qu’il se mettrait en danger en abandonnant le pouvoir au su de ses troupes.)

Pendant la discussion Alvin Adams arrêta ses interlocuteurs en leur disant :  On arrête tout.  Je vais rencontrer le Président.  « Rendez-vous ici même à 2 heures « .  À 2 heures l’ambassadeur apprend à ses invités qu’il a rencontré Avril qui est d’accord pour partir le 3 mars 1990 (le 3 mars, pas le 10 mars).  Entre le 3 et le 10 mars, date à laquelle Avril est effectivement parti il y a une histoire qui ne fait pas partie de la problématique d’aujourd’hui.  Je te la raconterai un autre jour, mon cher Charles.

Alvin Adams est mort.  Ceux qui l’ont vu dans notre pays ont certainement retenu qu’exceptionnellement on peut être à la fois Ambassadeur des États-Unis et un être humain sensible à la culture des autres et désireux de communiquer avec eux.

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