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Le coin de l’histoire,par Charles Dupuy : Le gouvernement d’Henri Christophe

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The king of Haiti's dream - Five Shouts Out

  


      Tous les observateurs, tous les historiens qui se sont intéressés à l’administration de Christophe sont unanimes à reconnaître la prospérité phénoménale de son régime. Tous les visiteurs étrangers qui ont parcouru le royaume, Lord Popham, Hill, Mackensie ou White, ont attesté de son opulence. En quatorze ans de pouvoir, Christophe aura démontré ses étonnantes capacités administratives et conduit le pays qu’il dirigeait à un niveau de prospérité tel que la suite de l’histoire haïtienne n’en offrira plus d’exemple.

         La grande réussite de Christophe, la base de ses succès économiques, fut sans doute d’avoir mis en place une structure de production au sein de laquelle les élites politiques assuraient l’encadrement des masses paysannes. C’est ce que les historiens appelleront l’«ordre christophien». Une rigoureuse discipline soutenait cette hiérarchie sociale où chacun, des plus grands aux plus petits, devait se soumettre à la loi, suivre la ligne de conduite qui lui était assignée. Habité par l’obsession de la prospérité et de la performance, Christophe se sera abondamment inspiré de la politique agraire de Toussaint Louverture dont il fut l’un des généraux-planteurs. Il constitua en aristocratie terrienne tous ses hauts dignitaires et proches collaborateurs politiques. Comme ces grands propriétaires ne recevaient aucune rémunération de l’État, c’est donc de la terre, de l’ancienne habitation coloniale dont ils venaient d’hériter en quelque sorte qu’ils devaient tirer la totalité de leurs revenus. Le Code rural du Royaume leur fait d’ailleurs explicitement l’obligation de mettre en valeur la terre concédée dont le quart des profits bruts était versé en impôt à l’État. Toute la fortune du pays reposait sur son agriculture. Celle-ci était partout dans un état florissant et Christophe lui consacrait tout son temps et toute sa force de travail.

         Si le Code rural contraint le cultivateur à travailler entre 9 à 10 heures par jour, dimanche et jours de fête exceptés, il prévoit aussi des mesures qui le mettent à l’abri de l’exploitation systématique du propriétaire terrien. Il peut porter plainte des abus devant les tribunaux. Il reçoit les meilleurs soins de santé en cas de maladie et, survenant son décès, l’éducation de ses enfants mineurs sont à la charge de l’employeur. Chaque habitation compte un dispensaire-hôpital lequel est régulièrement inspecté par les fonctionnaires et les propriétaires coupables de négligence sont durement sanctionnés par la loi.        

         Redoutant d’éventuelles tensions sociales après la distribution des biens domaniaux effectuée par Pétion dans l’Ouest et le Sud en 1812, Christophe résolut de faire d’importantes concessions foncières en cédant des propriétés du domaine public à des acquéreurs auxquels la couronne accorda de grandes facilités de paiement. Plus de trois cents citoyens de toutes conditions firent l’acquisition de ces terres de l’État. Pour s’acquitter de leur dette, ils remirent le quart des revenus annuels de leurs plantations jusqu’au complet amortissement de la créance. Un quart des bénéfices allait à l’État et un autre aux cultivateurs.

         Trois mois après la vente de ces exploitations, elles avaient toutes été restaurées. Les anciennes sucreries, les manufactures, les plantations sucrières, caféières, cacaoyères ou cotonnières produisaient à plein rendement, entraînant une extraordinaire expansion du monde rural. À entendre Madiou, la prospérité agricole était alors parvenue à son comble. (Vol. V, p.432) Dans Le paysan haïtien, Paul Moral soutient qu’à la toute fin de son règne, Christophe regroupa les agriculteurs dans des ateliers établis sur des terres relevant du domaine public. Ces colonies agricoles étaient un début de réponse à la brûlante question agraire opposant la culture des vivres à celle des denrées commerciales. Il en découla le régime des «deux-moitiés», (récoltes partagées entre propriétaires et métayers) qui, au fil des années, s’imposera comme méthode d’exploitation des grandes propriétés en Haïti.

         Le commerce, l’industrie agricole, les métiers étaient fort en honneur dans le royaume. Chef d’État vigilant, appliqué, laborieux, Christophe était aussi commerçant et industriel. Fabricant de sucre et distillateur, il possédait à Sans-Souci une des plus belles rhumeries du pays, il stockait son sucre, son café et autres denrées qu’il vendait aux agents des maisons anglaises ou américaines. Personne avant lui ne pouvait ni négocier, ni non plus arrêter un prix de vente. (V. Leconte, Henri Christophe dans l’Histoire d’Haïti, 2004, p.452)     

         Dans ses Mémoires, le baron de Vastey, l’un des plus fidèles auxiliaires politiques de Christophe, rapporte que durant l’année 1817, pas moins de 150 navires de commerce étrangers sont entrés dans la rade du Cap-Henry. Du 1er avril au 6 juin 1815, toujours dans le seul port du Cap, nous dit Madiou, «vingt-six bâtiments avaient été expédiés, exportant dix millions de sucre et autant de café et de coton, et au 6 juin, il y en avait sept en chargement ou en partance. Dès les mois de juillet, août, septembre et octobre, il y en eut cinquante d’expédiés du même port, et en deux mois, trois millions de sucre, café et coton avaient été exportés des autres ports». (Vol V, p.319) Haïti exporte du sucre et du café mais aussi du cacao, du coton, du tabac, du rhum, de la mélasse, de l’indigo, de l’huile de ricin et du bois de campêche. Les ventes de ces denrées sont massives et se comptent en dizaines de milliers de livres.

         Selon Madiou toujours, le royaume exportait vingt-cinq millions de café soit le quart de ce que, jusqu’en 1789, produisait en cette denrée toute l’ancienne colonie française de Saint-Domingue. Le commerce se faisait avec les États-Unis, la Suède, le Royaume-Uni, le Danemark, la Hollande, les colonies espagnoles et, indirectement, la France. Haïti importait des étoffes, du drap, de l’acier, de la bijouterie, du vin et des spiritueux. L’Écosse fournissait le beurre, le poisson salé et les articles de pêche, de Suède venaient les cylindres pour les moulins à sucre et les coffres en fonte pour chauffer les étuves des sucreries.

         Bien qu’il ne soit resté aucune trace des archives pouvant attester de la prospérité du royaume, et en dépit du fait que les chiffres qui nous soient parvenus ne sont que fragmentaires, les signes de richesse de l’État n’en restent pas moins évidents et tangibles. D’une année à l’autre, le budget du royaume s’équilibrait avec des excédents qui dépassaient le million de dollars. Dans sa proclamation au peuple du 1er janvier 1808 publiée par La Gazette officielle d’Hayti, Christophe le confirmait: «C’est avec une satisfaction toujours renaissante, disait-il, que le vrai haïtien voit augmenter de jour en jour la prospérité de l’État et la fortune des particuliers. Les étrangers […] étendent journellement leurs spéculations et remplissent nos ports de leurs vaisseaux».      Christophe entretient une armée de vingt mille hommes qu’il loge dans des casernes flambant neuves. Les navires de sa marine sont montés par des équipages disciplinés et, selon l’appréciation des officiers anglais, n’auraient pas déparé les flottes des grandes puissances maritimes de l’époque. Composée d’une frégate, d’une corvette, de plusieurs bricks et goélettes cette flotte protégeait la navigation amie près des côtes haïtiennes et la défendait de la piraterie alors généralisée dans la mer des Antilles. En 1817 elle capturait un bateau négrier portugais en route vers Cuba, libérait les 145 Africains qui se trouvaient à son bord lesquels furent accueillis par le peuple en liesse. Le commerce devint florissant dans les grands centres, où des Français, des Allemands, des Américains, des Anglais et des Hollandais vinrent s’établir en qualité de négociants. À ce propos, signalons que Christophe favorisa la naturalisation des étrangers, en particulier des Noirs américains dont un certain nombre émigra dans le pays où ils reçurent le meilleur accueil.

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Christophe jette les bases d’une véritable industrie en créant une verrerie, une filature qui produit une cotonnade d’assez bonne qualité pour confectionner les uniformes militaires, une fonderie qui fournit les armes et les munitions de l’armée et une fabrique qui approvisionne les soldats en poudre. Cette armée était très bien équipée et entraînée par des instructeurs étrangers, des officiers prussiens qui, de plus, dirigeaient la fonderie de boulets et de canons. Christophe ouvre 16 écoles publiques, des écoles de métier, une Académie royale où l’on enseignait la médecine, l’hygiène et la chirurgie, fonde une Académie royale de musique, un Collège de jeunes filles, une école de dessin et de peinture, des corps de musique militaire, un ensemble philharmonique.

         Les voyageurs anglais qui ont visité les écoles du royaume ne tariront pas d’éloge sur la discipline des élèves et la bonne tenue générale de ces établissements. Christophe attira dans son royaume une demi-douzaine d’instituteurs anglais des écoles lancastriennes et leur procura tout ce qu’ils pouvaient réclamer pour la commodité de leur mission, la construction de leurs bâtiments scolaires ou l’acquisition du matériel pédagogique. L’anglais était l’instrument intellectuel de ces maisons d’enseignement dont le dernier, selon Leconte, resta en fonction sous la présidence de Boyer. Le président Nord Alexis aura été le plus illustre de ces élèves formés selon la méthode lancastrienne. Christophe entretenait un intérêt passionné pour l’enseignement public. «Aucun enfant de dix ans ne devait être rencontré dans les rues s’il ne pouvait justifier qu’il était écolier ou apprenti d’un atelier quelconque, nous dit le docteur Appolo Garnier, et les parents étaient sévèrement punis du vagabondage de leurs enfants.» (La Nouvelle Ronde, 1er février 1926) Le programme de scolarisation du royaume servait d’instrument stimulateur de richesse, profitait aux classes populaires et facilitait la mobilité sociale.

         L’Almanach Royal de 1817 publie la liste des palais et châteaux du roi. On y dénombre neuf palais, ceux du Cap-Henry, de Sans-Souci, de Fort-Royal, du Limbé, du Môle, de Dessalines, de Saint-Marc, de Port-de-Paix et des Gonaïves. Les châteaux sont au nombre de quinze, Délices-de-la-Reine, Tenez-y, l’Étang, Grand Pont, Mettez-y, Protège, l’Intermédiaire, La Vigie, La Gloire, Bellevue-le-Roi, la Réserve, la Conquête, la Victoire, Constance et Bonne Fortune. Ces résidences étaient distribuées un peu partout sur le territoire, on en retrouvait à Jean-Rabel, à la Petite-Rivière-de-l’Artibonite et son magnifique palais aux 365 portes. Sans être vraiment des châteaux comme ils en portaient pompeusement le titre, il s’agissait plutôt d’élégants pavillons de chasse où tout rayonnait de luxe, de somptuosité et de magnificence.

         Christophe accorda une attention particulière à la protection des eaux et forêts, à l’irrigation des terres, au dessèchement des marais, à la construction des ponts et chaussées, à l’entretien des routes publiques. De ses imprimeries royales sortaient les décrets officiels mais aussi les premiers livres et les premiers journaux haïtiens. Un observatoire scientifique recueillait les données météorologiques sur tout le territoire de ce royaume où les édifices étaient rutilants de propreté, les rues pavées avec soin, les lampadaires nombreux et les places publiques méticuleusement entretenues. Selon Rémy Zamor, le voyageur qui perdait un objet sur une route du royaume était assuré de le retrouver 48 heures plus tard au poste de police le plus proche. (Histoire d’Haïti de 1804 à 1884, p.83) Christophe contrôlait tout, avait l’œil à tout, galvanisait par son magnétisme et sa fermeté, œuvrait avec acharnement pour l’avancement de son pays et le bien-être de son peuple.

         Pendant que la république de l’Ouest vivotait dans le marasme économique et financier, sautait d’une crise monétaire à l’autre, les finances de Christophe affichaient une solidité sans faille, sa monnaie était en or et frappée à son effigie. Le royaume regorgeait de telles richesses que Christophe entra en sérieux pourparler avec la couronne d’Espagne afin d’acheter la partie orientale de l’île, la future République dominicaine, dont la province de Laxavon se trouvait déjà sous sa domination. Entreposé dans des voûtes secrètes et placé sous la surveillance d’une garde vigilante, le trésor du royaume était, comme on l’imagine, colossal. C’est cette fortune que Boyer allait joyeusement dilapider après que les fonctionnaires de la République l’eurent, un matin, emportée de la citadelle. Une citadelle qui étonne encore par ses dimensions titanesques et inscrite par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

         S’il faut en croire le colonel Vincent qui l’a bien connu au Cap-Français et aussi Pamphile de Lacroix, dont il a été le collaborateur, Christophe était un homme instruit, de belle prestance et de bonnes manières. Contrairement à la plupart des officiers-généraux de l’armée coloniale, il savait lire en plus de s’exprimer dans un excellent français. Cela suffirait-il pour expliquer ses succès d’homme d’État? Faut-il y voir plutôt le beau résultat de sa cruauté que l’on disait implacable? Certainement pas. Pour entraîner tout un peuple dans les voies de la civilisation, vers le développement économique et le progrès social, il fallait bien plus que le fouet et la matraque, il fallait de l’énergie créatrice, une méthode efficace, un talent administratif exceptionnel, il fallait du génie.    

HAITI CONNEXION CULTURE: Réponse de Charles Dupuy à la mise au point de  Roseline P. Laroche

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