Widgetized Section

Go to Admin » Appearance » Widgets » and move Gabfire Widget: Social into that MastheadOverlay zone

Le coin de l’histoire,par Charles Dupuy : Quand Duvalier poussait le “cri de Jacmel“

Partager/Share this

En 1960, soit trois ans après son entrée en fonction, le revenu per capita du citoyen haïtien chutait de sept dollars. Duvalier désigne aussitôt les entreprises militaires de ses ennemis contre son pouvoir comme les vraies responsables de la situation lamentable de l’économie. Sans désemparer, il consolide son système répressif et totalitaire, investit sans compter dans les équipements de terreur. Sa politique d’austérité frappe les employés publics dont les appointements sont réduits de vingt pour cent et qui ne seront payés qu’avec des arriérés de salaire tels qu’on en aura que rarement vu au pays.        

Le 25 juin 1960, c’est-à-dire après que son gouvernement eut absorbé en un peu moins de trois ans quelque vingt millions de dollars d’aide américaine, Duvalier profitait de son passage à Jacmel où il s’était rendu afin d’inaugurer le nouveau port de la ville pour provoquer le Département d’État en agitant l’épouvantail du communisme. Il prétend alors que «le point de rupture est atteint», qu’il veut changer de camp, tourner dos au bloc occidental et accepter désormais les propositions qui lui viendront de Moscou. «Nous voici parvenus à la limite humaine de nos capacités à la patience, déclare-t-il. Nous sommes à la limite du temps des sacrifices […] Depuis trente-trois mois, mon gouvernement et son peuple ne vivent que de promesses, de sourires, d’encouragements, de recommandations, d’hésitations, d’attentes lentes et d’incompréhension […]

Deux grands pôles d’attraction, l’un dans le Nouveau Monde, l’autre dans la vieille Europe, attirent actuellement les peuples. Si, en dépit de ses allégeances et de ses témoignages d’appartenance et d’amitié, il est rejeté par l’Ouest, il devient logique et même légitime [qu’un leader du tiers-monde] se tourne vers l’Est qui garde toujours les bras tendus pour l’accueil fraternel.» C’est le fameux Cri de Jacmel comme l’appelleront les intellectuels de gauche et la foule hurlante de ses partisans.

Le moins surpris par ce discours fut l’ambassadeur américain, M. Gerald A. Drew, pour la bonne raison que Duvalier lui en avait fait parvenir une copie un peu auparavant. Toutes ces rodomontades devaient toutefois rester lettre morte, ne rien produire sinon qu’une détérioration sensible des relations personnelles entre Duvalier et Drew. (Duvalier prendra d’ailleurs pour principe de se mettre toujours à dos les ambassadeurs américains, Newbegin, Thurston, Timmons, qu’il accusera tous d’agir de mauvaise foi en tentant de le brouiller avec le gouvernement ami des États-Unis.)        

En 1962, les résultats de la saison touristique furent particulièrement décevants et les récoltes de café tout aussi désastreuses. Alors que les prix du sisal, du café et du cacao s’effondraient sur les marchés internationaux, les échéances du service de la dette arrivaient de façon inexorable. Après avoir honoré ses redevances envers la Eximbank, la Bird, le FMI et la BID, le gouvernement se retrouva devant des caisses désespérément vides. Le budget de douze millions de gourdes de dépenses mensuelles fut ramené à onze millions, les fonctionnaires restèrent de longs mois sans recevoir leur chèque de paie, le marasme économique étendait ses ravages dans toutes les couches sociales. Bien que l’opinion fût persuadée que la famille présidentielle continuât de s’enrichir et d’approvisionner ses comptes secrets dans les banques suisses, le peuple subissait en silence les restrictions budgétaires, les mesures de rigueur, la dictature et sa terreur.        

En ce qui concerne l’aide étrangère, Duvalier voulait en détenir l’absolu contrôle. Pendant qu’il signait une entente avec le FMI autorisant son gouvernement à retirer six millions de dollars en vue de stabiliser la gourde, il réclamait des Américains cette «injection massive de dollars frais» indispensable à la régénération de l’économie nationale. Notons que Duvalier refusera toute vérification comptable relative à l’assistance financière qu’il recevait de Washington. Il en faisait une question de principe.

Quand, en 1963, l’administration américaine fermera le robinet de l’aide économique et appliquera les plus sévères mesures de rétorsion diplomatique contre son gouvernement, Duvalier qui avait déjà englouti un total de 116 millions sous forme de prêts et de dons, clamera alors que la dignité nationale était menacée et proposera au peuple de se résigner à survivre dans l’austérité renforcée. Reconnaissant leur impuissance durant ces années d’incurie au cours desquelles Duvalier saccageait la comptabilité publique, les ministres des Finances de l’époque, Hervé Boyer ou Clovis Désinor, confiaient à leur entourage que leur rôle ne consistait finalement qu’à gérer la misère.
       

Tant qu’il sera aux affaires, Duvalier ne pourra annoncer que des moments difficiles, des temps d’austérité, de rigueur économique et de pauvreté matérielle. Pour expliquer l’état lamentable des comptes publics, d’une année fiscale à l’autre, Duvalier, selon son humeur, invoquera les dettes accumulées par son prédécesseur, la pingrerie de l’administration américaine ou bien encore la perfidie de ses opposants. 

Charles Dupuy

Achetez le livre « Le coin de l’histoire »coindelhistoire@gmail.com(514) 862-7185

Partager/Share this

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.