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Le coin de l’histoire, par Charles Dupuy : Amélia Célestine Nord dite Cécé

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Marie–Louise Amélia Célestine Nord, née Pierrot, était la nièce de la reine Marie-Louise Coidavid et fort probablement sa filleule puisqu’elle portait son prénom comme que le voulait la tradition de l’époque. Rappelons que Jean-Louis Pierrot et Henri Christophe avaient épousé deux sœurs, des demoiselles Coidavid, nées sur l’habitation Bédiou, dans les environs de Ouanaminthe.

         En 1845, Amélia Pierrot et Pierre Nord Alexis unissaient leur destin en l’église paroissiale de l’Acul-du-Nord. Le jeune homme était âgé de vingt-sept ans tandis que la mariée atteignait tout juste la vingtaine. Nord Alexis venait de recevoir le grade de lieutenant-général et occupait la fonction d’aide-de-camp du président Jean-Louis Pierrot, son beau-père. Pierre Nord Alexis était le fils de Nord Alexis, un haut dignitaire de la Cour de Christophe et sa mère, Blézine Georges, était une fille naturelle du roi. Enfant, Pierre Nord Alexis avait été inscrit comme page au Palais de Sans-Souci tandis qu’Amélia Célestine, fille de Jean-Louis Pierrot et cousine germaine des princesses royales se trouvait placée au sommet de la hiérarchie sociale de l’époque. Après son mariage et pour le reste de sa vie, Amélia Célestine sera habitée par un rêve, un seul, celui de faire de son mari le président d’Haïti. La convergence d’intérêt du couple est bien connue et la très âpre et longue lutte de Nord Alexis afin de parvenir à la présidence sera aussi celle d’Amélia Célestine, Cécé, sa dévouée compagne et sa plus fidèle conseillère.

         Quand le couple entra à Port-au-Prince pour s’installer victorieux au Palais national, les hommes de Nord Alexis entonnèrent leur chant de guerre à la gloire d’Amélia Célestine, dite Cécé. «Cécé té dit con ça, faut robe à li toucher salle à Palais, oh! Cécé té dit con ça, pas jété tripe pou mété paille, oh! Cécé té dit con ça, Alexis Nord grand moun nan toute corps li! Cécé té dit con ça, la quitter pouvoi lè li vlé!» Et c’est au pas de ce joyeux refrain militaire que les troupes du nouveau président entrèrent triomphalement dans la capitale. Amélia Célestine qui, voulait à toute force que son mari parvienne à la présidence et qui l’avait toujours poussé à s’emparer du pouvoir, exercera une influence déterminante au Palais national. Bientôt, tout le monde politique apprit à mesurer son ascendant sur Nord Alexis et, pour régler certaines question d’intendance, on allait très vite comprendre qu’il valait beaucoup mieux rencontrer la femme du président plutôt que ses ministres.

Le Président Nord Alexis en tournée à travers les rues de la capitale

Le curé de la paroisse de Port-au-Prince à l’époque, le père Jean-Marie Jan, le futur Mgr Jan, l’évêque du Cap, en savait quelque chose. Il se plaisait à raconter comment, pendant une période de trois ou quatre mois, les curés et prêtres des paroisses avaient été privés de leur paie. Bien naturellement, ils firent tous entendre leur détresse aux responsables publics. Ce fut en vain. Leurs démarches resteront sans suite jusqu’au jour où le brave père Jan demanda une entrevue avec Amélia Célestine, alla rencontrer la première dame comme certaines personnes lui avaient recommandé de le faire. Cette dernière reçut le curé qu’elle écouta patiemment avant de lui promettre que dès le mois suivant, il encaisserait, lui, ainsi que ses collègues de toutes les paroisses, tout l’argent qui leur était dû. Évidemment, pour ses peines et soins, Madame Nord, femme dotée d’un solide sens des réalités, réclamait une petite retenue sur la paie, un très maigre pourcentage en vérité, d’ailleurs c’était sa seule et bien modeste exigence. Le mois suivant, comme promis, tous les membres du clergé recevaient l’argent du mois ainsi que les arriérés, mais défalqué d’un petit montant dont s’était approprié celle qui s’était si bien démenée pour leur rendre ce menu service.

         Amélia Célestine ne tardera pas bien longtemps avant de devenir la tête de turc des classes populaires de la capitale. Aussitôt qu’une calamité frappait la nation, l’opposition pointait un doigt accusateur sur la malheureuse Amélia. Quand, par exemple, le 5 juillet 1908, un incendie ravagea quelque mille habitations dans le quartier du Morne-à-Tuf, à Port-au-Prince, les mauvaises langues répandirent la rumeur selon laquelle le feu avait été allumé par les agents du gouvernement dans l’intention de détruire les dépôts d’armes des éventuels conspirateurs. «Savane Cécé», c’était le nom assez original que la malice populaire trouva pour désigner les quartiers dévastés par l’élément destructeur.

         Le couple présidentiel resta uni en toute circonstance et, Nord Alexis, s’il ne disposait pas des lumières intellectuelles de Firmin, son grand rival politique, était loin d’être le militaire grossier et ignorant que ses adversaires ont réussi à imposer à l’imagination populaire. Attaché à la terre d’Haïti et aux valeurs qui en font la richesse, il était un des derniers représentants des nationalistes de la vieille école et ne cessa jamais de vouer tous ses efforts à l’intérêt public. Qui sait que Nord Alexis qu’on nous présente sous les traits caricaturaux d’un vieillard inculte prenait souvent plaisir à réciter des poèmes à sa femme, laquelle appréciait, ô combien, ces trop rares tête à tête romantiques avec son époux.

Pierre Nord Alexis, 17ème Président d’Haiti ( 21 Décembre 1902 – 2 Décembre 1908.)

Un jour que les ministres attendaient d’être introduits dans la salle de réunion du conseil, ils furent étonnés d’entendre le président déclamer des alexandrins à sa femme. Après plusieurs minutes, l’un de ces messieurs finit par reconnaître ce qu’il croyait être un poème d’André Chénier. Retenons que le jeune Nord Alexis avait fréquenté les écoles lancastriennes ouvertes sous le règne de Christophe, et il serait étonnant que le fils d’un dignitaire de la cour royale de Christophe, et de surcroît, le petit-fils de ce dernier, soit un parfait ignorant, un illettré absolu comme on se plaît encore à le répéter.

         À ce sujet, je dois signaler que j’ai personnellement lu des lettres écrites par Madame Nord Alexis, elle signait Amélia Nord, lettres adressées aux sœurs Maria et Émilie Magny, la première était ma grand-mère maternelle. Je puis assurer que l’écriture, fine, délicate et distinguée, pouvait se comparer à celle d’une maîtresse d’école et que les phrases en étaient fort bien tournées. Dans une de ces lettres datées de 1903, elle invitait les demoiselles Magny à monter à bord d’un aviso de la marine haïtienne qui se trouverait à telle date dans la rade du Cap-Haïtien et qui pourrait les débarquer aux Gonaïves juste à temps pour assister aux cérémonies du centenaire de l’indépendance. À n’en point douter, Amélia Nord, la femme de Nord Alexis, tout comme son mari d’ailleurs, avait reçu la meilleure éducation que l’on puisse donner aux jeunes gens de leur époque.

         Le 11 octobre 1908, après une courte maladie, Amélia Nord rendait tout paisiblement l’âme au Palais national. Le lendemain on lui célébrait des obsèques grandioses au cours desquels son mari se montra inconsolable. Il trouva tout de même suffisamment de courage pour se tenir debout devant le cercueil de sa compagne et prononcer d’une voix forte : «j’ai toujours eu pour devise: Dieu, ma patrie, ma femme. Ma femme n’est plus mais Dieu et ma patrie me restent, je ne faillirai point.» Pour le ministre de France toutefois, Monsieur Carteron, depuis le décès de Cécé, Nord Alexis n’était plus du tout le même homme. Dans une lettre envoyée au Quai d’Orsay, il écrivait: «le général Alexis […] est gravement touché au cœur, et je sais que la nuit, durant de longues insomnies, il pleure abondamment». Le ministre Carteron décrira la défunte, la fille de l’ancien président Pierrot, comme une personne «très volontaire n’ayant eu qu’un seul but dans la vie: faire arriver son mari à la présidence et elle y est parvenue.

Elle était du reste dévouée à un point extraordinaire à ce dernier, partageant sa prison dans les mauvais jours, sa tente à l’heure des combats. Très bonne avec ses amis, elle n’épargnait pas ses ennemis et bien des décisions où étaient engagées la vie et la fortune des gens ont été prises sous son influence discrète. […] Elle veillait sur les jours du président avec une attention tellement scrupuleuse que c’est elle-même qui, chaque jour, lui préparait sa nourriture. Elle dirigeait sa maison en ménagère experte, méticuleuse et ne dédaignait aucun profit.»        

Le départ de la vénérée Cécé marquait le début de la fin du régime de Nord Alexis. En cette année 1908 en effet, le général rebelle Antoine Simon, le délégué des Cayes, mettait en déroute les troupes gouvernementales du ministre Cyriaque Célestin près de l’Anse-à-Veau et entrait triomphant dans la capitale. Tout le monde l’avait prédit, sans Cécé, Nord Alexis ne pouvait aller bien loin. 

C.D. 

coindelhistoire@gmail.com (514) 862-7185

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