Le gouvernement fédéral américain a tout essayé pour stopper le flux de migrants clandestins. Il a augmenté le nombre de patrouilles aux frontières, introduit de nouvelles sanctions, déployé des drones et des capteurs de mouvement, construit et reconstruit des clôtures. Pendant des années, Washington a même discrètement financé la diffusion au Mexique de chants et de courts documentaires sur les dangers encourus par les migrants.
Aujourd’hui, les autorités ont recours à une tactique préventive : depuis l’an dernier, des agents de l’Arizona prennent contact avec des chaînes de télévision, des radios et des journaux du Mexique et d’Amérique centrale pour leur demander d’informer la population du danger de franchir illégalement la frontière, surtout en passant par le désert de Sonora.
Après s’être montrés sceptiques, les médias ont finalement répondu favorablement à la demande. Des journaux des Etats mexicains du Chiapas et du Michoacán ont publié des reportages fondés sur leurs informations. Des organes de presse du Salvador et du Guatemala leur ont emboîté le pas. Certains ont publié des photos de planques surpeuplées et de sauvetages d’urgence fournis par la Border Patrol [la police des frontières américaine].
« Les migrants sont maltraités, roués de coups, ridiculisés, et les femmes souvent violées », pouvait-on lire dans un article du quotidien salvadorien El Diaro de Hoy. La campagne a rencontré suffisamment de succès pour être étendue, cette année, aux villes américaines abritant une forte population mexicaine comme Los Angeles, Phoenix, Chicago, Seattle et Atlanta. L’objectif est de convaincre les immigrés installés aux Etats-Unis d’avertir les membres de leur famille des conditions périlleuses du passage de la frontière, en particulier en Arizona.
« Notre message est le suivant : ‘Si vous décidez de venir, ne passez pas par l’Arizona’« , explique le porte-parole de la Border Patrol, Andy Adame. « Nous constatons une forte augmentation des exactions commises par les passeurs, des braquages à la kalachnikov, au revolver et à l’arme blanche, et ce non seulement dans le désert mais aussi dans les planques où des clandestins sont ligotés à l’aide de ruban adhésif. »
Il est difficile de mesurer l’effet que cette campagne aura sur les migrants. Le nombre d’arrestations à la frontière a déjà considérablement diminué. On a dénombré 340 000 personnes l’an dernier, contre 1,6 million en l’an 2000, une chute que de nombreux experts attribuent à la diminution du nombre de candidats à l’émigration.
Les émigrés connaissent depuis longtemps les dangers encourus à la frontière. Voilà des années que le gouvernement et les médias mexicains mettent en garde contre les températures extrêmes, la criminalité et le renforcement des mesures répressives. Depuis 2004, la Border Patrol a dépensé environ 1,1 million de dollars par an pour financer la diffusion de corridos [ballades populaires mexicaines], de courts documentaires et la mise en place de campagnes d’affichage sur les tragédies qui surviennent à la frontière.
Cette initiative, baptisée No Mas Cruces [qui signifie à la fois « Plus de traversées » et « Plus de croix », faisant référence au sort des migrants les moins chanceux], n’est pas officiellement subventionnée par le gouvernement américain afin de rendre « le message plus acceptable pour les intéressés », explique Kerry Rogers, la porte-parole du Bureau des douanes et de la protection des frontières.
Malgré des critiques quant au manque de transparence, l’opération est considérée comme un succès par les autorités. L’une des chansons a été sélectionnée pour les Latin Grammy Awards et, selon Kerry Rogers, la campagne inclura cette année une exposition qui se déplacera dans plusieurs petites villes mexicaines.
95% des migrants illégaux parviennent à entrer aux Etats-Unis
Au Centre d’études comparées de l’immigration de l’université de Californie à San Diego, David Fitzgerald et ses collègues se penchent depuis plusieurs années sur ce que les candidats mexicains à l’émigration savent des dangers de la traversée et dans quelle mesure cela influence leur décision. Selon les résultats de leurs recherches, ceux qui considèrent que l’économie américaine est mal en point et que le passage de la frontière est très dangereux sont moins enclins à émigrer.
Mais, toujours selon David Fitzgerald, plus de 95 % des Mexicains qui ont tenté de s’introduire illégalement aux Etats-Unis y sont parvenus, même après avoir été arrêtés à plusieurs reprises avant de réussir.
Pour Andy Adame, de la Border Patrol, et Chris Leon, du Bureau des douanes et de la protection des frontières, ces campagnes d’information ont un rôle crucial à jouer. Depuis le mois d’octobre, 83 personnes ont trouvé la mort à la frontière de l’Arizona et, récemment, les routes sont devenues plus dangereuses du fait des mesures de surveillance accrues mises en œuvre par les autorités.
De nombreux migrants se fondent également sur les informations fournies par des proches qui les ont précédés. « Très souvent, ils contactent quelqu’un qui a déjà franchi la frontière et qui leur dit : ‘Oui, je suis passé il y a cinq ans. C’était facile' », explique Andy Adame. « Mais les choses ont beaucoup changé depuis, y compris au niveau de la surveillance de la frontière, ce qui oblige les passeurs à faire de plus grands détours. »