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La mobilisation suscitée par la question Petrocaribe a ramené dans l’actualité politique haïtienne le fameux procès de la Consoldation qui s’est déroulé il y a un peu plus de cent ans sous la présidence de Nord Alexis. C’est ainsi que Madame Mirlande Manigat, professeur à l’Université Quisqueya, a publié tout dernièrement un article intitulé, Le procès de la Consolidation: un précédent historique. Il s’agit d’un beau travail, fouillé et complet.
On pourrait penser toutefois que Madame Manigat allait vanter les mérites de l’intransigeant président Nord Alexis, le principal instigateur du procès de la Consolidation. Pour être le seul, entendez bien, le seul chef d’État haïtien à avoir fait traduire en justice les fonctionnaires dépravés, les indélicats, les éternels dilapidateurs de la caisse publique, Nord Alexis n’aurait-il pas gagné peut-être un peu de notre admiration… Non, écrit Madame Manigat. «Il ne mérite certes pas notre adulation béate ni des lauriers.» C’est parce que, voyez-vous, Madame Manigat trouve que Nord Alexis n’est pas allé assez loin dans l’affaire, qu’il aurait dû se montrer encore plus sévère, plus implacable, faire dégorger ces prédateurs jusqu’au dernier centime volé et puis surtout leur refuser son pardon…
On devine que Madame Manigat n’aime pas beaucoup Nord Alexis, ce vieux général coupable d’avoir exercé le pouvoir à la place d’Anténor Firmin ce grand intellectuel à qui il revenait de droit. L’animadversion de notre intelligentsia à l’endroit de Nord Alexis n’est assurément pas encore éteinte. Donc, pour lui, pas d’adulation, pas d’admiration, pas d’acclamations, pas de lauriers, pas de louanges, pas d’éloge, pas de rien du tout.
Quel paradoxe! Pour avoir fait traduire les coupables de dilapidation de l’argent public en justice et les avoir fait châtier, on s’attendrait à ce que cet homme mû par le noble sentiment du devoir d’État et qui plaidait pour une nouvelle éthique des valeurs dans la conduite des affaires de la nation eut droit à quelques marques de reconnaissance, mais non… On pourrait croire que la lutte de Nord Alexis contre la corruption, sa chasse aux parasites, aux éternels pillards des fonds de l’État allait lui valoir la gratitude de l’opinion et de la postérité, pas du tout… On n’a pas encore pardonné à Nord Alexis la ténacité et le courage moral qu’il a démontrés durant le procès de la Consolidation, on ne lui fera jamais grâce d’avoir fait garrotter les concussionnaires avant de les déférer devant le tribunal correctionnel pour qu’ils répondent de leurs actes crapuleux devant la justice.
Son civisme intraitable, son sens de l’honneur et sa probité foncière lui auront valu le tir groupé des politiciens condamnés, de leurs avocats et puis enfin et surtout de certains intellectuels acrimonieux qui nourriront le plus vif ressentiment à son encontre, traceront un portrait très peu flatteur du premier président haïtien ayant eu l’audace de rompre avec la tradition de complaisance envers les corrompus. Pour lui, non, pas d’adulation béate, pas de lauriers, pas d’approbation, pas d’admiration, pas de louanges, pas de rien du tout.
D’ailleurs, peu après la chute de Nord Alexis débarquaient à Port-au-Prince toute la théorie des «consolidards» condamnés par contumace dont les plus effrontés alléguaient avoir été victimes d’une honteuse cabale judiciaire et réclamaient rien de moins que l’annulation du procès de la Consolidation!
Remarquons que, comme par hasard, les plus vilipendés parmi nos chefs d’État sont précisément ceux qui auront combattu les détournements de fonds et laissé de l’argent dans les caisses de l’État. Henri Christophe, pour commencer. Alors que son rival, Alexandre Pétion, était en proie aux plus cruels embarras financiers, Christophe accumulait des fortunes dans son royaume, frappait une monnaie d’or à son effigie, négociait avec l’Espagne l’achat de la partie de l’Est, bref, jamais, de toute son histoire, Haïti n’aura été aussi opulente, aussi riche que sous l’administration de Christophe. Et pourtant, peu de chefs d’État haïtiens auront été aussi critiqués qu’il ne le fut. Pour expliquer les marques de progrès, la splendeur et la richesse de son royaume, ses contempteurs verront en lui l’incarnation de la plus abjecte tyrannie, un oppresseur barbare, un vil despote.
Nommé ministre des Finances par Pétion, Guy-Joseph Bonnet s’étonna de ne trouver que la somme de treize piastres et trente-sept centimes dans les caisses de l’État que venaient de ratiboiser les fonctionnaires malhonnêtes. Il fut bientôt renvoyé et tout le monde chanta alors des hosannas au bon président Pétion. Quant au malheureux Christophe, tous les millions qu’il avait entassés seront confisqués par son successeur, Jean-Pierre Boyer, qui les fit disparaître à tout jamais dans les comptes non-fiscaux de l’État.
Boyer sera tenu en abomination pour l’immobilisme de son administration et son obscurantisme, mais jamais on ne lui reprochera d’avoir dilapidé les fonds publics. Au contraire, à son départ il laissa le trésor en possession de plus d’un million de piastres en réserve, «outre certaines sommes tenues en dépôt à Paris, au crédit de la République» comme il l’écrivait dans sa lettre de démission. Il suffira de quelques semaines à ses successeurs imprévoyants pour dilapider ces fonds amassés à force de rigueur et d’austérité et replonger le pays dans la faillite économique la plus complète. Notons que Boyer est mort à Paris le 9 juillet 1850 dans des conditions matérielles frisant la pauvreté.
Connaissez-vous un président d’Haïti plus détesté qu’Élie Lescot? Pourtant cet homme quitta le pouvoir les poches vides et laissa les coffres de l’État assez grassement garnis de liquidités pour permettre à ses successeurs, Estimé et Magloire, de mener leur politique de prestige et lancer leurs grands projets d’infrastructure. Une performance administrative assez exceptionnelle qui mérite d’être rappelée et saluée parce qu’elle fut obtenue grâce à la discipline budgétaire et à la gestion rigoureuse des deniers publics qu’il sut imposer durant sa présidence, période au cours de laquelle les comptes de l’État furent maintenus à l’abri des déprédations scandaleuses dont ils feront l’objet par la suite.
Au début de son exil au Canada, Lescot déclarait aux journalistes qui l’attendaient à sa descente du train, «je serai obligé de travailler pour faire vivre ma famille». Il ne croyait pas si bien dire, l’administration d’Estimé refusant de lui verser sa pension, il sera contraint, pour ne pas mourir de faim, d’aller vendre des cravates aux coins des rues de Montréal. Je rappelle ici que, pour éviter la saisie de leurs entreprises, les commerçants allemands avaient proposé à Lescot de devenir le président d’une société fictive qui lui rapporterait plus d’un million de dollars par année (c’était en 1942!), à cela, Lescot avait fièrement répondu, «le président d’Haïti ne fait pas le commerce!» Si vous croyez que cet exemple de probité allait servir d’inspiration aux apprentis politiciens, détrompez-vous, au contraire, ils s’appliqueront à piller l’État sans aucune espèce de vergogne, et cela, justement, pour ne pas finir comme l’honnête, le trop honnête président Lescot.
Moralité, on ne frappe que sur les clous droits, pas sur les clous tordus. Si vous pensez que votre intégrité dans la gestion des affaires de l’État, ou que le fait de défendre la caisse publique et de punir les forbans qui la pillent pourrait vous valoir quelque gratitude de la part des futures générations, apprenez, hélas, qu’il n’y aura ni adulation béate, ni lauriers, ni hommages, ni éloges, ni rien du tout. La preuve? Les présidents haïtiens qui ont combattu la corruption et laissé les coffres du gouvernement mieux garnis qu’ils ne les avaient trouvés sont aussi, est-ce une coïncidence? parmi les plus exécrés de notre histoire.
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