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Le coin de l’histoire,par Charles Dupuy : Marc Antoine, député du peuple

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Hôtel Vincent Ogé au Dondon vers 1950. Cette maison appartient aujourd’hui à la paroisse qui en a fait une école presbytérale.
 

Marc Antoine est né au Dondon, le 15 juin 1910. Il devait avoir quelque 16 ans lorsque mourut prématurément son père, Albert Antoine. Faute de ressources, l’adolescent abandonna ses études au Collège Notre-Dame pour aller aider sa mère, née Louise Ménard, dans ses activités de commerce. Notons que Marc Antoine se définira toujours comme un commerçant, une carrière qu’il occupera jusqu’à la fin de ses jours. Au fil du temps, on le verra élargir amplement ses champs d’activité dans ce domaine. C’est ainsi qu’à l’époque où florissait le commerce de la figue-banane en Haïti, Marc Antoine deviendra détenteur d’une sous-agence de la Standard Fruit pour l’achat de la figue-banane destinée à l’exportation. Travailleur infatigable, il montait presque au même moment une petite usine à traiter le café en cerises jusqu’à le rendre apte à l’exportation.

C’est en 1937, sous la présidence de Vincent, qu’il s’engagea en politique. Il n’avait que 27 ans lorsque mourut subitement le député de la Grande-Rivière-du-Nord. Dès l’annonce de nouvelles élections, Marc Antoine se porta candidat à la députation. Triomphalement élu, il renouvellera son mandat et siégera ainsi à la Chambre des députés jusqu’à la chute de Lescot. Au fil des années il tissera des liens d’amitié durables avec ses collègues parlementaires qu’il quittera toutefois sans amertume pour retourner à ses activités de commerce au Dondon, ce cher Dondon qui restera toujours au cœur de ses pensées.

Toujours en 1937, il construisait au centre de Dondon une imposante bâtisse qui abritera à la fois sa résidence, son commerce et un hôtel, l’hôtel Vincent Ogé (1). Juste en face, il aménagea un joli parc public avec un petit kiosque en son milieu que, prudemment, il baptisa Parc Sténio Vincent. C’est parce qu’il faut savoir qu’en Haïti les détenteurs du pouvoir sont des gens plutôt chatouilleux et Marc Antoine ne voulait plus commettre d’impair. Je vous explique. Au moment de la construction de sa résidence au Dondon, les ouvriers qu’il avait engagés se rendirent dans les environs du village afin de trouver les pierres nécessaires au chantier. C’est ainsi que par le plus grand des hasards, ils découvrirent une grotte indienne avec une profusion d’objets taïnos, d’artefacts abandonnés par les indiens arawaks. La découverte de cette grotte fit grand bruit dans les journaux de l’époque et c’est bien fièrement que le député Marc Antoine se rendit au Palais national afin d’annoncer lui-même la nouvelle au président Vincent. Après avoir amplement décrit la grotte au chef de l’État, celui-ci demanda au député quel nom il comptait lui donner. Tout naïvement, celui-ci répondit que la grotte portait déjà son nom, Marc Antoine.

Ce ne fut que lorsqu’il eut quitté le bureau du président que, tout soudainement, Marc Antoine se rendit compte qu’il y avait oublié son chapeau. Lorsqu’il retourna dans le bureau de Vincent pour reprendre son couvre-chef, celui-ci dira au visiteur qui l’avait suivi: «comme vous le voyez, cet homme a une grotte qui porte son nom». (2) Marc Antoine comprit alors que, sans le vouloir, il venait de causer une petite blessure d’orgueil au président qui s’attendait tout naturellement à ce que la grotte portât son nom. Il apprit donc sa leçon et ne renouvela pas la faute quand il fallut trouver un nom pour le parc qu’il venait d’aménager en plein cœur de son village, ce fut, bien entendu, le parc Vincent.

Bien des années plus tard, quand il apprit le décès de Vincent, Marc Antoine quitta précipitamment le Cap où il habitait pour se rendre à l’enterrement du président. C’était en 1959. Alors qu’il s’attendait à trouver une foule très dense aux funérailles, l’ancien député du Dondon eut la surprise de se retrouver avec les trois seuls autres citoyens qui s’étaient déplacés pour conduire Sténio Vincent en sa dernière demeure. Il s’agissait de Léon Laleau, son ancien ministre; d’Ernest Chauvet, le directeur du Nouvelliste et enfin d’Arnaud Merceron, qui fut le chef de sa maison militaire.

Dans sa livraison du lendemain, Le Nouvelliste ne manqua pas de fustiger la conduite ingrate de la société de Port-au-Prince à l’égard de cet homme qui avait dirigé les destinées de la nation pendant plus d’une décennie. C’est que la classe politique craignait de déplaire à Duvalier, un noiriste déclaré, en allant assister aux funérailles d’un chef d’État mulâtre. Notons en passant qu’afin de récompenser Arnaud Merceron pour cette belle marque de fidélité, Duvalier le nomma aussitôt ambassadeur d’Haïti en Espagne.

Peu avant son élection à la présidence par les députés et sénateurs, Élie Lescot se fit un devoir de rencontrer ces derniers un à un et en tête-à-tête. C’était pour s’assurer de leur vote et négocier ce à quoi ils s’attendaient en échange. Dernier parlementaire à être reçu, Marc Antoine exprima le vœu que sa ville natale, le Dondon qu’il représentait, soit doté d’un dispensaire dont la commune était encore, hélas, privée. «Cette demande vous honore! s’écria Lescot. Vous êtes le premier à m’adresser une requête qui ne soit pas personnelle. Regardez, dit-il, en montrant ses notes, tous vos collègues n’ont fait jusqu’ici que solliciter des emplois pour leurs parents et leurs amis. Comptez sur moi, mon cher ami, Dondon aura son dispensaire!» Cinq ans plus tard, Lescot était chassé du pouvoir et Dondon n’avait toujours pas de dispensaire.

Élie Lescot et Marc Antoine resteront bons amis malgré tout. C’est ainsi qu’au moment de son exil, alors que le gouvernement haïtien refusait de verser sa pension à l’ancien président Lescot, Marc Antoine, dans le but de secourir la famille Lescot dans son malheur, prit personnellement l’initiative d’organiser une collecte de fonds auprès des amis capois de Lescot. C’était bien sûr avec l’autorisation de ce dernier qui prit d’ailleurs la peine de bien faire comprendre à ses éventuels donateurs qu’il ne sollicitait pas l’aumône, puisqu’il était entendu que, le temps venu, il remettrait leur argent à tous les généreux souscripteurs.

Quelques années plus tard, en effet, Marc Antoine retournait les valeurs avancées à chacun de ces amis de Lescot avec les remerciements empressés de celui que seul son honnêteté avait acculé à de tels expédients. Il faut signaler cependant que le montant de cette collecte fut plutôt maigre. Marc Antoine dut même en ajouter de ses propres deniers pour la rendre décente. On aura compris qu’au fil des années, les époux Lescot étaient devenus très proches de la famille Antoine. Chaque fois qu’il se rendait au Cap, c’est toujours chez Marc Antoine que séjournait l’ancien président Lescot.

Marc Antoine est mort à Philadelphie le 6 juin 1980. il laissait dans le deuil une nombreuse descendance (dont sa fille l’ex-première ministre, Claudette Werleigh). Ses funérailles furent chantées en la cathédrale du Cap-Haïtien.

(1) Cette maison a été remise par les héritiers de Marc Antoine à la paroisse du Dondon qui en a fait une école presbytérale.

(2) Cette fameuse grotte et son contenu d’une valeur inestimable aurait été malheureusemnt vandalisée au fil des années.

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