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Avec sa longévité politique exceptionnelle, tête à claques, René Préval sur lequel on va continuer à gloser à n’en plus finir avait (hé oui ! déjà à l’imparfait) une gamme de jeu qui lui vaut maintenant les jugements déplaisants et les condamnations les plus extrêmes, les plus implacables, du «félin» (Rébu, p. 175) habile «voire avide de pouvoir» (Ibidem, p. 183) au chef d’Etat qui, selon Youri Latortue (p. 40), s’est «appuyé presqu’aveuglément sur les institutions de Breton Woods (FMI, Banque mondiale)» et sous « le parapluie de la Minustah pour boucler ses mandats» (Chancy, p. 98), en passant par le «ni plus crétin ni plus intelligent» (p. 84) de Vernet Larose pour fixer favorablement, aux yeux de la postérité, l’image d’un «rassembleur» (Lambert, p. 195) qui «mise sur les compromis, même les plus improbables» (idem).
En politique, on peut aussi naître une seconde fois … devant l’Histoire. Pour René Préval qui a surtout appris à encaisser, dopé par son remarquable savoir-faire politique de manoeuvrier, affaibli par les ravages du séisme du 12 janvier 2010 et discrédité par la «fin catastrophique» (Lambert, p. 175) de son second mandat, notre tour d’horizon, commencé par un Himmler Rébu corrosif mais tout de même pétri d’admiration compulsive, s’achève avec un grand collaborateur et partenaire qui se considère lui-même comme un animal politique. Marquée par la mise à l’écart du candidat naturel Jacques E. Alexis par la plateforme INITE, cette «fin catastrophique», esquissée à grands traits par Joseph Lambert, c’est tout un roman d’aventures, mieux, un thriller. L’échec de son «dauphin» Jude Célestin aux élections de 2010 – 2011 en dit long. Tout le monde est bien d’accord, mais c’est ainsi : une si piteuse sortie ! Il faut y revenir en long et en large !
Autobiographies et analyses, bilans et réquisitoires, ces ouvrages d’inégale valeur frappent par leur intérêt documentaire autant que par leur profondeur et leur subjectivité : il faut les lire pour mesurer le chemin parcouru depuis le début de l’ère post-macoute. Dans le traitement des dossiers brûlants, de la lutte contre la corruption et la contrebande, de l’insécurité, de la décentralisation, de l’organisation des élections, de la «souveraineté nationale», de la stabilité démocratique, de la croissance économique, les rôles qu’a tenus René Préval avec beaucoup de chance et de succès personnel ne donnent aujourd’hui à ses détracteurs et à ses anciens partisans aucun droit de nous imposer leurs vérités. Voir en lui un être faible et timoré, c’est le contresens à éviter. Tout, dans sa personnalité (subjuguée par la passion du pouvoir) comme dans son action (volontariste par endroits), semble démentir la transcendance d’une vision moderne du pays, la présence de l’esprit conservateur ou rétrograde, la manifestation d’une âme sombre.
Suscitant d’immenses déceptions et controverses, le mode de gestion politique de René Préval – cet être de transition par nature et, de surcroit, par conviction – a fasciné et dérouté à la fois. Une si visible constante cache quelques arrière-pensées et malentendus. Rien que de vives et passionnantes analyses. Pour un personnage complexe, insaisissable. Dont la dimension cérébrale, calculatrice, «pragmatique» (Latortue, p. 41) ne cessa d’inspirer une sorte de perplexité aux hommes politiques, à l’opinion publique, aux diplomates, aux commentateurs. A cet égard, lorsqu’on compare les vues sarcastiques de Himmler Rébu aux observations originales et perspicaces de Vernet Larose, on voit tout un fossé. Au-delà des clichés datés, leurs schèmes de réflexion ne sont pas les mêmes. Désabusé et excité à la fois par son rôle de donneur de leçons et de prophète de malheur, le premier abonde en interprétations synthétiques, effrénées, délirantes même. Avec des conclusions définitives, des raisonnements acérés et souvent agrémentés de dossiers explosifs, et la passion d’être judicieux. Professeur de carrière, Vernet Larose, le second, a su se colleter avec ses codes historiques, des concepts universels, sa logique instructive, avec son style syncopé pour réussir, influencé par la sociologie et les relations internationales. Ce n’est pas seulement l’un de nos plus rigoureux analystes politiques. Il est aussi un patriote convaincu qui a foi au changement démocratique. Les drames du passé, les conflits houleux inter-lavalassiens, les violences ne s’y entendent pas mais se devinent en demi-teinte derrière ces livres écrits avec une énergie désespérée.
A grand renfort de tapage médiatique et de «clameur publique», le procès intenté contre René Préval par la postérité ne fait que commencer. D’autres contemporains – dont moi-même – viendront, surprenants, impitoyables ou sereins. Or, soyons-en sûrs, leurs travaux permettront davantage de porter un ensemble de révélations sur ce chef d’Etat atypique et enjoué, séducteur et discret. Et si René Préval, président en des temps si bouleversés, en ces temps de «criseurs», n’était qu’un miraculé, un homme chanceux, tout de prudence, de méfiance, de bon sens ? Au fond, c’est la principale question qui se pose désormais. Un mode d’emploi ? Logique, plutôt. Un modèle de réussite pour boucler complètement son mandat ( et sans crises politiques?) dans un pays en proie à la pauvreté, aux catastrophes environnementales et aux aléas dévastateurs.
Pierre-Raymond Dumas