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Les livres maudits : chronique des codex disparus

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par Jacques Bergier

« Chaudière, vapeurs et effluves : éloge de la nullité
 
Chroniques du Nazaréen : Chapitre I – 4/4 »

»

 
Dans « Les livres maudits », une de ses oeuvres les plus passionnantes, Jacques Bergier écrit : « Il parait fantastique d’imaginer qu’il existe une Sainte Alliance contre le savoir, une Synarchie organisée pour faire disparaître certains secrets. […]
 
Le thème du livre maudit qui aurait été systématiquement détruit tout au long de l’histoire a évidemment inspiré beaucoup de romanciers, H.P. Lovecraft, Sax Rohmer, Edgar Wallace. Néanmoins ce thème n’est pas seulement un thème littéraire. Cette destruction systématique existe à tel point qu’on peut se demander s’il n’y a pas une conspiration permanente qui vise à empêcher le savoir humain de se développer trop vite. »

File:Eliphas Levi.jpg - Wikimedia Commons
Eliphas Lévi

L’auteur commence ensuite son examen des grands livres secrets (si secrets que seul le titre a souvent pu traverser la nuit des temps) par le plus ancien d’entre eux : le « Livre de Toth ». Bien que solennellement détruit en 360 avant J-C., sur ordre de Toth lui-même, il a paru ressusciter de ses cendres au fil des siècles, « mais on ne voit jamais apparaître le livre lui-même : chaque fois qu’un magicien se vante de le détenir, un accident interrompt sa carrière ». Bergier cite encore :
Les « Stances de Dyzan », manuscrit tibétain qui disparut du coffre de Mme Blavastsky, fondatrice de la société de Théosophie, lorsqu’elle eut annoncé son intention de le publier.


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Helena Blavastsky

« Steganographie », écrit au XVIe siècle par l’abbé Trithème, « détruit par le feu sur ordre de l’Electeur Philippe, le comte palatin Philippe II, qui l’avait trouvé dans la bibliothèque de son père et qui fut terrorisé ». Mais le magicien John Dee (célèbre par son miroir noir) en découvrit un fragment , échappé aux flammes, dans une librairie d’Anvers en 1563. En 1588, le même John Dee offrit à l’empereur Rodolphe II « l’étrange manuscrit Voynich ». Manuscrit chiffré qui a résisté à ce jour à tous les experts de la cryptographie;
Le « manuscrit Mathers » au XIXe siècle, et au XXe siècle « un livre très dangereux et dont la lecture rend fou, et qui s’intitule Excalibur ». C’est le tsar Nicolas II qui, après l’avoir lu, fit brûler « la Révolution par la Science ou la fin des guerres », découvert dans le laboratoire où le savant Mikhaïl Mikhaïlovitch Filippov fut assassiné en octobre 1902.

L’abbé Trithème

Tous les livres maudits ne disparaissent pourtant pas sans laisser de traces. Bergier termine son énumération par un ouvrage de James D. Watson : « La Double Hélice ». Les découvertes qu’il exposait dérangeaient le monde des grandes affaires. Personne ne voulait l’éditer puis quand il a été publié, personne ne voulait en rendre compte. Il a finalement été traduit en français aux éditions Robert Laffont en 1970. Au cours de son étude, Bergier n’a pu s’empêcher de faire allusion à un livre maudit aussi introuvable que ceux dont il a relevé la trace, mais beaucoup plus connu du grand public. A propos du magicien John Dee susmentionné, auteur lui-même au XVIe siècle d’un livre impossible à trouver, « la Monade hiéroglyphique », il laisse échapper un soupir de regret :

THE GRANDMA'S LOGBOOK-----: JOHN DEE: ALCHEMY, DIVINATION AND ...
John Dee

« Tordons le cou à une autre légende, John Dee n’a jamais traduit le livre maudit, le Necronomicon d’Abdul Al Azred, pour l’excellente raison que ledit ouvrage n’a jamais existé. Mais, comme le dit très justement Lin Carter, si le Necronomicon avait existé, Dee aurait été de toute évidence le seul homme à pouvoir se le procurer et le traduire ! Malheureusement, le Necronomicon a été inventé de toutes pièces par Lovecraft, qui l’a personnellement confirmé dans une lettre. Dommage. » Dans la conversation, lorsqu’il évoquait Lovecraft, Bergier voyait en lui un initié, le correspondant terrestre – peut-être à son insu – d’une centrale psychique extra-dimensionnelle, détentrice de connaissances dangereuses pour le développement de l’humanité en cas de divulgation prématurée.

Henry Cornelius Agrippa von Nettesheim - Of Geomancy - Hermetik ...
Henri Corneille Agrippa

L’initié devenu en possession de tels secrets ne pouvait qu’y faire des allusions chiffrées, codées ou encore sous le voile de la fiction. Dans son ouvrage « Admirations », Bergier prête cette dernière attitude à d’autres romanciers, tels que John Buchan ou Talbot-Mundy. Bergier n’était pas loin de penser que le « Necronomicon », faux livre maudit, avait été pour Lovecraft un moyen de soulager sans les divulguer le poids de secrets trop lourds, en quelque sorte une métaphore de ses révélations. Les familiers et lecteurs de Lovecraft ont très vite saisi le rôle clé joué par ce texte dans sa cosmogonie romanesque. Le « Necronomicon » a pris une telle importance mythique que Lovecraft a dû, à la demande instante de ses amis, en préciser l’histoire et la chronologie.

H.P. Lovecraft's 128th birthday | St. Tammany Parish Library
H. P. Lovecraft, circa 1934.


Sa rédaction, vers 730 après J-C à Damas, est l’oeuvre d’Abdul Al Azred, « un poète dément de Sanaa, capitale du Yémen dont on a dit qu’il avait connu la gloire sous la dynastie des califes Umayyades ». Intitulé « Al Azif », le texte arabe sera perdu au XIe siècle. Heureusement, entre-temps, il a été traduit en grec, en 950, par Theodoros Philetas, sous le titre « Necronomicon » : Code des Morts. Le texte est brûlé en 1050 sur ordre du patriarche Michel. Un exemplaire ayant survécu permet à Olaus Wermius de le traduire du grec en latin en 1228. Quatre ans plus tard, les versions latines et grecques sont condamnées par le pape Grégoire IX. Mais une impression en caractères gothiques est signalée en Allemagne vers 1440 (ce qui est un peu grossier, l’imprimerie de Gutenberg n’étant à cette date qu’une vague idée loin de sa concrétisation). Et le texte latin interdit sera néanmoins traduit en espagnol vers 1600. La traduction anglaise prétendument établie par John Dee daterait du début du XVIIe siècle.
 
Le seul exemplaire connu de cette traduction de John Dee est gardé sous clé à l’université de Miskatonic, dans la petite ville d’Arkham, capitale du monde imaginaire lovecraftien. Le « Necronomicon » est cité avec une régularité imprécatoire dans toutes les histoires du mythe de Cthulhu. Mais comme il a l’inconvénient d’être inconsultable, Lovecraft a été amené à imaginer d’autres ouvrages moins dangereux et plus accessibles. Tels les « Manuscrits Pnakotiques » (relatifs à la « Grande Race »), les « Sept livres cryptiques de H’San », les « Chants des Dholes », le « Texte de R’lyeh ». Dans la nouvelle « L’Abomination de Dunwich », il cite encore le « Livre de Dyzan » dont il a emprunté le titre aux stances tibétaines pré-citées.

Paracelsus - Alchemy: The Alchemical Writings of Paracelsus ...
Paracelse


Cette bibliothèque fantôme n’a cessé de proliférer, du vivant même de Lovecraft. Pour lui rendre hommage (et maintenant aussi pour capter une partie de ses admirateurs), ses amis écrivains de la revue « Weird Tales » s’amusaient à citer dans leurs oeuvres des éléments de ce qui est devenu le mythe de Cthulhu (invention posthume) et à ajouter un ou deux personnages à leur panthéon monstrueux. Ils n’hésitèrent donc pas à accompagner le « Necronomicon » de quelques ouvrages aussi peu recommandables. Clark Ashton Smith apporta le « Livre d’Erbon » ou « Liber Ivoris »; Robert Bloch le « De Vermis Mysteriis » de Ludvig Prinn; Robert Howard le « Unaussprechtlichen Kulten » de Von Junzt; J. Ramsey Campbell les « Révélations de Glaaki »; Brian Lumley les « Fragments de G’harne » et le « Ctaat Aquadingen ».
Auguste Derleth, le plus frénétique pasticheur de Lovecraft, dans son obsession minable et erronnée propose plusieurs volumes. Surnommé par Lovecraft « le comte d’Erlette » en raison de ses lointaines origines françaises, il lance d’abord le « Culte des Goules » du comte d’Erlette, suivi bientôt par les « Fragments de Celaeno » et par un troisième livre, une thèse cette fois-ci : « Approches des structures mythiques des derniers primitifs en relation avec le texte de R’lyeh » par le Dr Laban Shrewsbury. Il est le chef de file d’une coutume détestable liée à la mémoire de Lovecraft,  et qui fait partie du prix d’entrée dont tout nouveau contributeur au  » Mythe de Cthulhu  » se croit obligé de s’acquitter : inventer un dieu, une ville et un livre. Parfois une histoire, mais ces différents participants ont été beaucoup moins prolifiques à ce sujet…

Story of Apollonius of Tyana
Apollonius de Tyane

Peut-être même le « Necronomicon » est-il finalement le seul véritable livre maudit, l’archétype de ce genre de volume, dont on reconnaît l’image sous les descriptions du livre non identifié qui apparaît dans le fragment inachevé intitulé Le Livre ou dans les sonnets des Fungi de Yuggoth.

Il est tentant d’imaginer l’œuvre d’Alhazred sur le modèle de ces encyclopédies du Moyen-Âge prétendant offrir une description complète de l’univers connu et faisant une large place aux superstitions populaires et aux récits fabuleux de voyageurs impressionnables. On y trouve très certainement des illustrations diverses, quelques recettes (magiques ou pas) et – puisqu’Alhazred est poète – de nombreux passages en vers.

Ce qui fait du Necronomicon un livre maudit, c’est son contenu. Il est dit que sa lecture peut rendre fou ; d’ailleurs Alhazred lui-même l’était. D’où peut venir un effet aussi dévastateur ? Il ne faut pas l’imaginer comme une sorte de malédiction frappant automatiquement le lecteur dès que celui-ci ouvre le livre. Les dommages psychologiques ne se manifestent qu’après une lecture approfondie. C’est la compréhension de ce que révèle Alhazred, ainsi que de ce qu’il ne révèle pas, qui en est la cause. Pour l’essentiel, il s’agit de l’idée suivante :


Derrière nos perceptions quotidiennes se cachent des choses terribles et insoupçonnées. Le monde n’est pas ce qu’il semble être, tout comme la riante surface de la mer ne donne aucune idée des monstruosités qui se cachent dans ses profondeurs. Il a existé, il existe encore des entités infiniment plus vastes, plus savantes et plus puissantes que l’humanité ; s’il leur en prenait l’envie, elles pourraient nous exterminer en peu de temps. La domination de l’homme sur la Terre n’est qu’une rassurante et trompeuse apparence. Nous ne savons rien, mais c’est finalement préférable pour nous.




Mais pour que ces idées puissent réellement détruire un homme, il faut que celui-ci touche du doigt leur vérité ; par exemple, qu’il n’en prenne connaissance qu’après avoir été pris au milieu d’un faisceau de preuves qui toutes suggèrent la même interprétation. La seule lecture du Necronomicon, si celui-ci est simplement pris pour les élucubrations d’un fou, peut très bien ne produire aucun effet nocif.

On voit donc que pour Lovecraft, c’est la connaissance – et particulièrement la compréhension de cette idée lovecraftienne entre toutes, d’un univers froid et indifférent au milieu duquel l’homme n’est qu’un grain de poussière – qui peut mener un individu à la folie, en détruisant le petit univers mental, fondé sur l’anthropocentrisme, dans lequel il avait confortablement vécu jusqu’alors. Le « Livre de Sable » et le « Roi en Jaune » relèvent par exemple de registres totalement différents, jouant sur l’horreur de l’infini et la révélation du vrai visage humain.

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