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Que dire d’être Noir dans la « république » de Pétion-Ville ?

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par Nicole Siméon

Ce n’est pas une nouvelle, en Haïti le noir est soit sale, soit diabolique. C’est surtout lié, dans un contexte socio-économique comme le nôtre, à « ces gens-là », ceux qui sont pauvres et analphabètes. Pour prendre leurs distances avec le noir de leur peau, des jeunes gens subissant la pression sociale, n’hésitent pas à utiliser des produits pour « se blanchir » et paraître plus beaux, au détriment même de leur santé. Pourtant l’exercice- si elle devait s’appliquer à la majorité- serait de taille : près de 98% des habitants de ce pays sont … NOIRS !
 Parmi eux, MOI. Je suis une Négresse et je n’ai pas de raisons particulières de m’en mortifier et surtout je ne peux rien y changer. Raison de plus pour ne pas porter l’opprobre de ma couleur. C’est aux racistes de mon propre pays de rougir.
 La discrimination contre une personne noire dont je fais les frais quand je visite un magasin de la rue Louverture ou au supermarché de la Rue Ogé à Pétion-ville annonce-t-elle l’établissement – dans un proche avenir – d’un ordre nouveau ? Y a-t-il quelque chose que les Noirs de ce pays doivent craindre? Car subir le racisme à l’étranger, c’est une chose. Tout aussi inacceptable mais compréhensible. Mais le subir chez soi en est une tout autre.
 C’est d’autant plus avilissant pour ceux qui sont derrière une telle violation qu’ils ont oublié qu’eux aussi sont « ces gens-là » ailleurs qu’en Haïti ou en Afrique. Alors, pourquoi reproduire des comportements qui les humilient et les réduisent, en dehors de toute rationalité,  au rang de parias, dans un pays qui les a accueillis, qui leur a donné une patrie et qui a fait leur fortune et leur bonheur ?
J’ai 37 ans, j’ai un bac +8 (diplômée en Linguistique, en Histoire  de l’Art et en Journalisme), j’habite à Pétion-Ville, je fais de la correspondance ponctuelle pour le plus grand quotidien de France. Depuis deux ans, j’occupe un poste de directrice régionale dans une organisation internationale qui fait notamment de la formation et de la production en journalisme et en communication sociale. J’ai des horaires de fous du lundi au dimanche, mais je gagne ma vie à la sueur de mon front. Donc, quand je franchis la porte d’un magasin ou d’un supermarché en citoyenne lembda, le bon sens voudrait qu’on me traite comme une cliente qui vient dépenser son argent, sans aucune discrimination relative à la couleur de ma peau.
 
 Alors, je suis en droit de demander pourquoi quand je m’arrête à la fin d’une dure journée de travail pour faire mes courses, on me refuse l’accès à ces magasins sous le prétexte que je porte un sac à dos dans lequel se trouve mon ordinateur (Macbook dernier cri), mon appareil photo (Nikon D80), mon enregistreuse (Marantz) et autres bricoles que, pour rien au monde, je ne laisserai dans une voiture sur un parking même -dit- sécurisé à Port-au-Prince. S’il y a suspicion de vols à l’étalage, les mesures pour les contrer me paraîtraient plus que normales si elles concernaient Blancs et Noirs.
 Donc, je ne vous cache pas ma colère quand -en vue d’organiser une petite fête d’anniversaire pour ma fille qui célèbre ses trois ans- je vais au  supermarché de la rue Ogé après le boulot pour échanger vite fait- fiche de caisse et reçu de carte de crédit en main- un produit défectueux. Déjà, le préposé aux casiers me tape sur l’épaule sur le pas de la porte et annonce la couleur : « Madame, ou dwe banm valiz ou « Je me tourne vers lui pour m’exécuter quand je vois passer devant moi une femme blanche qui m’a même un peu bousculée parce que, en fait, je bouche le passage. Distraitement, je la regarde alors investir les premiers rayons du magasin et que vois-je ? Elle porte, elle aussi, un sac à dos marque Jansport, comme le mien. Mais aux yeux de cet homme, la femme qui venait de passer était invisible ! Alors, je ramasse le peu d’énergie qui m’est restée de ma journée pour lui crier : Ou avèg ? Pou kisa ou pa pran valiz madanm sa a ki pase devan nou la ? » Il a dû se dire -à mon ton- qu’il ne fallait pas qu’il me cherche trop, parce qu’il me lance un inaudible « ok, ok, ale non ».  Fin de l’épisode.
 
 Je rentre dans le supermarché et je me mets en quête d’un « superviseur »  comme me l’a recommandée une caissière à qui j’ai expliqué mon cas. Après vérification du produit et quelques doutes sur mon honnêteté, on me fait finalement passer à la caisse avec un « just come » – Philippin, me dit-on- le fameux superviseur, qui ne parle ni créole ni français, juste un anglais approximatif. N’ayant sans doute rien compris à ma requête, il me rend l’argent. Je lui explique alors que je ne suis pas là pour récupérer l’argent mais pour « échanger » le produit. Il me dit alors que je peux échanger le produit, mais que je dois d’abord sortir pour déposer mon sac dans les casiers à l’entrée. Je lui, rétorque qu’il n’en était pas question et que s’il veut m’accompagner au premier étage, libre à lui mais que je ne vais pas quitter le magasin pour revenir. Dédaigneusement, il fait signe à un jeune homme qui s’approche et lui demande de me mettre dehors. Comme pour narguer le hasard ou pour me confirmer que je suis victime d’un profilage racial, une femme- ai-je besoin de le préciser- une Blanche- passe avec un sac à dos. Je ne saurai dire si c’était la même ou pas, mais ça a fait un déclic en moi et, à partir de là, j’étais hors de moi.  Cinq minutes plus tard, je repartais, bouillonnante de colère, avec mon nouveau produit.
 
Ce n’était pas ma première expérience de ce genre. Au magasin de la rue Louverture, il y a quelque mois, c’était le même scénario. Le vigile m’a interdit l’entrée du magasin, parce que j’ai refusé de laisser mon sac -hors format des petits casiers disposés à cet effet- sur la table d’emballage où n’importe qui peut s’en emparer et partir avec. L’homme, armé, a littéralement braqué son fusil sur moi et, là c’est moi qui me suis dit qu’il ne fallait pas trop le chercher. Je lui ai proposé de me fouiller à l’entrée et à la sortie du magasin et j’entreprends de lui expliquer que ma naïveté m’a déjà coûté un appareil photo volé dans mon sac, mais il est resté sourd à ma demande. N’ayant aucune intention de me laisser faire, j’ai réclamé de parler à un « responsable » en disant que je suis une cliente et qu’ils n’ont pas le droit de me refuser l’accès au magasin alors que je les autorise, je leur demande même de me fouiller. J’insistais sous les yeux passifs de clients pénétrant et sortant du magasin, quand un type – un autre- est sorti du magasin pour me dire avec un regard insultant : « Nou di fi a li pa p antre nou fini ! Pou ki sa nou kanpe n ap pale avè l la ! ». Fin d’épisode. Je suis partie, en rage, sans les tissus de rideaux que mon amie Isabelle m’avait dit que je trouverais dans ce magasin.
 
Mais le pire, ce n’est pas l’incident en lui-même sur lequel j’ai pris de la hauteur en me disant que ces Haïtiens exécutent les ordres de leurs patrons et ne se rendent même pas compte de ce que cela impliquait pour leurs propres statuts aux yeux de ces mêmes personnes… le pire c’est de retrouver cette même amie  -Française, blonde aux yeux bleus- deux jours plus tard, qui m’avoue s’être toujours rendu à ce même magasin de la rue Louverture, avec tout son barda, et que jamais personne ne lui avait interdit l’accès. « Ma chère, appelons un chat un chat, tu as un problème de couleur. » Elle a raison. D’autres amis blancs m’ont confirmée qu’ils n’ont jamais été inquiétés avec leurs sacs encombrants.
 
Alors, je pose la question : Au nom de quel régime inégalitaire des commerçants osent pratiquer le profilage racial pour l’accès à un petit magasin? Ne devraient-ils pas de préférence investir dans des caméras de surveillance comme l’indiqueraient le bon sens,  la décence, le respect des personnes et, par la même occasion, le respect pour eux-mêmes ?
 Ce raccourci facile qui voudrait que tous les Noirs entrant dans un magasin soient potentiellement des voleurs alors que les Blancs et les Arabes d’Haïti sont considérés comme des clients réglementaires est non seulement insultant pour ma personne, mais est aussi scandaleux et révoltant à l’échelle d’un pays de Noirs.
 Le plus effrayant dans tout ça,  ce sont les Noirs préposés à administrer ces traitements dégradants à leurs compatriotes et obéissant dans l’abêtissement le plus total qui se prennent au jeu et se croient réellement supérieurs aux autres. Dépourvus de sens critique, ils ne pensent même pas à remettre en question leur propre situation ni le traitement qu’ils subissent eux-mêmes.
 A l’heure ou en Europe ou en Amérique, on fait des pas immenses contre la discrimination, le racisme, le profilage racial, la xénophobie, voulons-nous vraiment perdre nos acquis et embrayer la marche arrière sur cette question aussi dans la première République noire du monde ?  À quand la ségrégation ?
 
  •La discrimination est le fait de traiter de manière inégale et défavorable un ou plusieurs individus. De manière plus précise, il s’agit de distinguer un groupe social des autres en fonction de caractères extrinsèques (fortune, éducation, lieu d’habitation, etc.) ou intrinsèques (sexe, origine ethnique, etc.) afin de pouvoir lui appliquer un traitement spécifique, en général négatif. C’est l’acte de mettre de côté ou de distinguer une personne pour la couleur de sa peau, son genre, sa sexualité, sa religion, un handicap, etc..
 Le profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose tels que facteurs telles la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différentiel. Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée.
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  Le racisme est une idéologie qui, partant du postulat de l’existence de races humaines, considère que certaines races sont intrinsèquement supérieures à d’autres. Cette idéologie peut entraîner une attitude d’hostilité, ou de sympathie systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes de couleurs. Dans le cas de l’hostilité ces actes se traduisent par une forme de xénophobie ou d’ethnocentrisme. Certaines formes d’expression du racisme, comme les injures racistes, la diffamation raciale, la discrimination négative, sont considérées comme des délits dans un certain nombre de pays. Les idéologies racistes ont servi de fondement à des doctrines politiques conduisant à pratiquer des discriminations raciales, des ségrégations ethniques et à commettre des injustices et des violences, allant jusqu’au génocide.
 •La ségrégation raciale est une séparation organisée, de droit ou de fait, entre des groupes différenciés par la couleur de la peau, à l’intérieur d’un même pays. La séparation peut être physique avec des lieux interdits à certains groupes (restaurant, toilettes, école, cinéma, logement) ou prendre la forme de discrimination (à l’embauche, à la location, aux droits civiques).
  La xénophobie est une hostilité systématique et irrationnelle à l’égard d’une ou de plusieurs personnes, essentiellement motivée par leur nationalité, leur culture, leur genre, leur religion, leur idéologie ou leur origine géographique; elle peut aussi être définie comme une « hostilité à ce qui est étranger ». La xénophobie peut se manifester par une attitude allant d’un simple préjugé défavorable à des actions violentes.

Nicole Siméon





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